CRAIGIE HORSFIELD 

La galerie Nadja Vilenne est particulièrement heureuse d’accueillir Craigie Horsfield, figure majeure de l’art contemporain britannique. Généreuse, l’exposition rassemble une sélection d’œuvres réalisées entre 2005 et 2016, autant de jalons des projets menés par l’artiste à El Hierro (Tenerife) et dans le sud de l’Italie, à Naples, Via Monteoliveto et via Chiatamone par exemple, à Sorento ainsi qu’à Palma de Campania, autant d’approches du réel transcendant les lieux évoqués car, oui, en ces fascinantes dramaturgies, tout est réel ici.

Diplômé de Saint Martin’s School of Art à Londres en 1972, Craigie Horsfield se tourne rapidement vers la photographie, le cinéma et le son. Il quitte la Grande-Bretagne pour des raisons politiques la même année et part vivre en Pologne. Pendant sept années et y suit des cours d’art graphique à l’Académie des Arts de Cracovie, ainsi qu’à l’Académie des Sciences puis choisit de devenir DJ. C’est dès 1969 que Craigie Horsfield commence à réaliser des photographies en noir et blanc. Ses clichés – paysages, portraits d’amis ou de proches, nus ou encore scènes d’intérieurs – restent confidentiels pendant une dizaine d’années, Horsfield choisissant de ne les publier qu’à la fin des années 1980. Ses photographies, par leurs grands formats, convoquent la peinture classique. Elles renouent avec l’idée de tableaux. L’usage de la lumière semble trahir une volonté de dramatisation. Et pourtant, Horsfield décrit bel et bien des lieux et des gens à travers ses titres et manifeste ainsi une authentique intention documentaire. Elle interroge à la fois l’art et la vie, le familier et l’extraordinaire, l’épique et le quotidien, le temps lent et long du présent qui garde trace du passé et amorce le temps à venir. Craigie Horsfield s’est longuement interrogé sur cette question de la temporalité, s’inspirant des écrits Fernand Braudel, fondateur des Annales, pourfendeur des premières réalités mouvantes qui font trop de bruit, défenseur d’un temps long prenant en compte une triple temporalité, celle d’un temps géographique, d’un temps social et d’un temps de l’événement. La réalisation d’une œuvre, que ce soit son tirage, sa contemplation ou son effet émotionnel, s’effectue dans notre espace commun, se déroule dans un présent relationnel, déclare Craigie Horsfield. Mon expérience m’a confirmé, encore plus clairement, dans mon idée de la permanence de l’histoire, dans l’idée que ma propre culture ne faisait qu’un avec celle des siècles précédents. La photographie, précisément, peut prendre en compte cette conception. C’est ce qui la rend inconfortable, dit-il encore.

L’exposition s’articule sur plusieurs temps. Celui d’une dramaturgie solennelle, Procession Blanche et Procession du Christ Mort à Sorrento, relationnelle dans ce bar de la Via Monteoliveto à Naples, festive et carnavalesque Piazza de Martino à Palma de Campania. Celui de l’atemporalité d’une nature morte, bouteilles, ail, grenades, pivoines de la Via Chiatamone à Naples, certaines délicatement imprimées a fresco. Celui, enfin, de la nature et des paysages, un temps suspendu et minéral à El Hierro, un tumulte sur la baie de Naples, vue depuis la Via Partenope, ce jour où, coïncidence étonnante, s’enflamme un bateau alors que, plus loin, la foule admire les éclats d’un feu d’artifice. Pendant un instant, il a semblé que le monde s’était ouvert à une autre époque, car tout ce qui était familier était englouti, écrit Craigie Horsfield. Comme la peau du présent est parfois fine, tendue et presque transparente. Et sous cette peau, l’obscurité turbulente.