Archives de catégorie : Werner Cuvelier

Werner Cuvelier, Statistic Project XVI, Buitenverblijven, 1973

Werner Cuvelier, Statistic Project XVI, Buitenverblijven, 1973, carrousel de 80 diapositives couleurs. Photos Fred Vandaele

Statistic Project XVI, Buitenverblijven

 L’intérêt que Werner Cuvelier porte à l’architecture, qu’elle soit monumentale et patrimoniale, des routes romanes à la pyramide de Cestius, ou domestique, voire vernaculaire, ne se démentira jamais. Het binnen, cette interprétation de sa propre maison, l’occupera durant plusieurs années. Dans le parcours qui nous occupe, cette attention est même très précoce. En 1969-70, Werner Cuvelier rompt avec sa propre pratique picturale ; il peint une série de toiles d’inspiration pop et géométriques, voire pop – géométriques. Il conçoit également des panneaux en reliefs, des objets formels géométriques tridimensionnels. En fait, il remet en question toute sa pratique artistique et le basculement est sidérant. Il expose une sélection de ces œuvres, chez lui, à l’atelier, en février 1970. Parmi celles-ci, un prisme droit en bois vernis de 170 cm de longueur, 85 de hauteur, 110 de profondeur, constitué de lattes verticales et horizontales. En quelque sorte, une charpente de toiture à deux pans. Werner Cuvelier lui assigne pour titre cette paraphrase magritienne : Dit is misschien geen dan ?(35) Ceci n’est peut-être pas un toit. Déjà, l’artiste interroge le spectateur sur la réalité de ce qu’il voit. Un prisme, une charpente, un toit, un volume, une sculpture.

L’architecture qui l’environne ne le laisse évidemment pas indifférent. Ainsi naîtra, en mai 1973, le projet du Statistic Project VIII, simplement appelé : Architecture.  Lors d’un voyage à travers la partie flamande du pays, écrit Werner Cuvelier dans son Tekenboek, je discute d’architecture avec Anne Mie Devolder(36). La question est la suivante : qui construit donc toutes ces hideuses maisons de mauvais goût ? Surgit très vite l’idée de dresser un inventaire. Il sera photographique, en noir et blanc, et compilera les noms des architectes qui se sont ainsi commis dans ces laideurs de tout genre, peut-être même le prix d’achat de ces biens immobiliers. Ce coup de gueule consigné dans un carnet à dessins me rappelle le pamphlet rédigé en 1968 par l’architecte anversois Renaat Braem (1910-2001) Het lelijkste land ter wereld, le plus laid pays au monde dans lequel l’architecte dénonce, en l’opposant au caractère ordonné des territoires nationaux qui l’entourent, le caractère hétéroclite de la Belgique, qu’il voit comme une couverture en patchwork assemblée par un fou, composée de Dieu sait quelles vieilles loques, et parsemée de bazars entiers de cubes hétéroclites, jetés à terre avec mépris par un géant enragé (37).Ce Statistic Project VIII ne verra jamais le jour, bien que Werner Cuvelier ait compilé, parcourant la région gantoise, un petit carnet entier d’adresses, noms des rues et numéros des maison(s38). Ni même la seconde partie du projet consistant à faire soi-même sa maison, en bois, en carton, en trois dimensions et à l’échelle en s’inspirant du module cubique (70 x 70 x 70 cm) de William Graatsma et Jan Slothouber(.39) Par contre, il sera le point de départ du Statistic Project XVI, initialement intitulé Bordellen Project, le projet des bordels, puis plus finement, Buitenverblijven, ce que l’on pourrait traduire par Seconde Résidence ou Abri Extérieur. C’est tout dire.

Dans l’introduction de son pamphlet, ce guide de randonnée dans la jungle belge qui réveillera les somnambules, Renaat Braem fait une cocasse description du bâti urbain et surtout suburbain belge. Les routes sont des rues, écrit-il. Une digue de pierre vous sépare du paysage. Un vrai cauchemar pour les fournisseurs de matériaux.Des briques de toutes les couleurs imaginables et impossibles, du jaune féroce, du blanc maladroit, du vert savoyard au violet toxique, de l’encre bleue bon marché au noir sale des eaux usées. Les toitures crient leur présence par leur complexité, leur texture et leur couleur, l’amiante rose, les ardoises vertes, les tuiles rouges, les tuiles vernies noires, et à l’extérieur des agglomérations, où un arbre occasionnel suggère que nous sommes à la campagne, le chaume des toits taillé de façon fantaisiste des pseudo villas douillettes et autres châteaux à pignons. Vous pourrez vous approvisionner dans les stations-service de style normand, de style colonial, de style flamand, de style moderne ou même industriel. Vous pourrez vous restaurerdans des auberges aux rideaux à carreaux et aux enseignes en fer forgé, des rôtisseries aux façades en pseudo – colombages, des friteries gérées par des chefs chaleureux.Il existe une variété infinie de lieux de consommation, de la très sèche maison du peupleaux accueillants petits cafés aux fenêtres ornées de rideaux rouges et aux parkings discrets. Ce sont nos locaux pays chauds. Et la publicité. Ha, ha, beaucoup de publicité ! Du cola à la bière blonde nationale.

Les voici donc ces bordels et bars sur grand-route qui intéressent Werner Cuvelier. Il décide de dresser l’inventaire de ceux qui jalonnent les chaussées de Courtrai, d’Anvers et de Bruxelles, trois grands axes qui permettent de sortir de la cité scaldienne, ou de la rejoindre.(40) Werner Cuvelier se tourne vers le photographe Fred Vandaele : celui-ci prendra les clichés, 80 diapositives, toutes prises de nuit, de préférence lorsque le bitume suinte de pluie, ce qui accentue le reflet des enseignes et néons.41On devine dès lors dans la nuit toutes ces architectures hétérogènes, telles que les décrit Renaat Braem, un formidable bordel, des chalets, des pavillons quatre façades, des vitrines a front de rue, des fermettes, des paquebots modernistes, des parkings aussi, plus ou moins discrets. Au clair du néon, Fred Vandaele emprunte à dessein le trottoir d’en face, learning from the Kortrijksesteenweg pour paraphraser la célèbre leçon de Las Vegas (1972) de Robert Venturi et Cie, ouvrage qui, à l’époque, vient de paraître et fait un tabac. Pas âme qui vive, pas une furtive silhouette, pas un client, pas une hôtesse, c’est l’être et le néon. Seules règnent ici les enseignes de ces maisons et ces néons qui architecturent le paysage. Micro-dispositifs d’écriture, pratiques vernaculaires qui graphent la nuit en lignes lumineuses rouges, bleues, jaunes, vertes, l’enseigne devient, grâce à une conversion du regard, un véritable signe, non plus de l’information à délivrer, mais du système intellectuel et économique qui l’a produite. Werner Cuvelier ne cherche évidemment pas à dresser un inventaire exhaustif de ces maisons, ni même une topographie de leur implantation. Lorsqu’il classera les diapositives, il bouleversera la transhumance du photographe et ordonnera les clichés par ordre alphabétique des enseignes. De l’Amigo au Witte Paard, les couleurs des néons offre un singulier lexique que Werner Cuvelier révèle par son propre système de pensée, compilant une énumération hétéroclite, une nomenclature où se croisent les langues (le français, le néerlandais, l’anglais), les truisme du genre (Le Pussy Cat, Le Favori, l’Eden, Le Love, le Milady), l’exotisme (le Bellinzona, Le Byblos, Le Capri, le Nefertiti, le Crocodile, le Hawaï), les stars (Le Berkley, le Lido, le Ritz, le 5th Avenue), les fleurs (Le Bacarra, Le Bloemfontein, Le Myosotis, Le Mimosa), les performants (L’Elite, L’Equipe, le Rally, El Toro, De Jager), les chalets (Chalet T’Witte Paard, Chalet Olympia, Chalet Stop) et quelques inattendus (De Toerist, L’Oiseau Rare, Le Clochemerle, L’Elcerlyc (42). A l’heure où la sémiologie et les analyses structurales du langage tiennent le haut du pavé, cette déclinaison alphabétique éclaire ces Résidences Secondaires d’une autre manière et nous confronte, en quelque sorte, à une singulière linguistique des bordels.

Werner Cuvelier portera toujours un grand intérêt à la linguistique et aux analyses du langage. Deux projets datés de la même époque en témoignent. En juillet 1974, il se propose d’aborder certains textes, qu’il s’agisse de prose ou de poésie, qu’ils soient littéraires, scientifiques ou philosophiques, en néerlandais, en français, en anglais, en espagnol, en allemand  et d’en analyser le contenu, de distinguer les phrases principales et secondaires. Il compte réordonner les mots en catégories, verbes, substantifs, participes, réordonner les mots suivant leur longueur, réordonner les lettres. Pourquoi ne pas le faire avec L’œil et l’esprit de Maurice Marleau-Pont (y43), cet essai sur la vision, sur l’art et sur la science ? Ce pourrait –être le sujet du Statistic Project XI, à faire paraître aux éditions Cuvelier(44). Le Statistic Project XV (45) touche également au langage : dresser un aperçu historique des mots à la mode, décennie par décennie. Dynamique apparaîtra sans doute dans la liste après-guerre, existentialisme durant les années 60, intégration durant les années 70. Sonder le passé afin de mieux le comprendre, écrit-il en exergue des quelques lignes qui esquissent le projet.

Nous voici bien loin de l’architecture, point de départ de ce chapitre. Qu’on se rassure, nous y reviendrons. Le Statistic Project XVII, prévu pour l’été 1974 devrait nous révéler une route de l’architecture romane, de Soignies en Hainaut à Lérida en Espagne(46).

 

35 L’œuvre fera office de carton d’invitation. Werner Cuvelier nodigt u uit op zijn  atelier Lievekaai, 6 Gent, 28.02.70 vanaf 14 u.

36 Anne Mie Devolder étudie l’architecture à Sint Lukas Gent durant les années 1970-1975. Elle étudie également la philosophie à l’Université de Gand (1971-73)

37 Renaat Braem, Het lelijkste land ter wereld. Davidsfonds, Leuven 1968.

38 Annexe auTekenboek I

39 Tekenboek I, p. 17

40 Tekenboek I p.21

41 Le Statistic Project XVI, Buitenverblijven, sera montré pour la première fois lors de Kunst als Film, dia-werken, films, video’s van belgische kunstenaars,Elsa von Honolulu Loringhoven galerie. 14-15-16 mars 1975. Jan Vercruysse a rassemblé pour l’occasion une exemplaire sélection de photographes et vidéastes belges : Dias : Peter Beyls, Jacques Charlier, 50/40, Werner Cuvelier, Yves De Smet, Luc Deleu, Paul Gees, Jacques Lennep, Danny Matthys, Jacques L. Nyst, Hugo Roelandt, Wout Vercammen. Films : Eduard Bal & Guy Schraenen, Jacques Charlier, 50/40, Leo Copers, Paul De Gobert, Luc Deleu, Yves De Smet, Filip Francis, Philippe Incolle, Guy Mees, Jacques Lizène, Jacques Louis Nyst, Bernard Queeckers, Rudi Rommens, Maurice Roquet, Fred Vandaele, Wout Vercammen.. Vidéo : Jacques Charlier, 50/40, Leo Copers, Erik Devolder & Carl Uytterhaegen, CAP Vidéo (Courtois – Evrad – Lennep – Lizène – Nyst), Danny Matthys, Guy Mees, Hubert Van Es, Jacques Louis Nyst, Marc Verstockt. La galerie Richard Foncke projettera également l’œuvre lors de la Amsterdam Arts Week, Nieuwe Kerk & Brakke Grond, en mars 83. A l’occasion de la foire 5 galeries belges sont invitées au Brakke Grond, dont la galerie Richard Foncke.  Exposer les bordels gantois à Amsterdam dont le Red Districtest bien connu ne manque pas d’humour.

42 Ce dernier serait-il une francisation de Elckerlijc ? Ce serait drôle. Elckerlijc est une moralité écrite vers 1470 en néerlandais, et imprimée pour la première fois en 1495. Le titre complet est Den Spyeghel der Salicheyt van Elckerlijc – Hoe dat elckerlijc mensche wert ghedaecht Gode rekeninghe te doen(Le miroir du salut d’Elckerlijc – Comment chaque personne doit suivre les instructions divines)

43 A noter que Werner Cuvelier parle beaucoup de Merleau-Ponty avec Sylvio Senn, assistant du professeur Boehm à l’Université de Gand. A deux, ils ont pour projet de réunir une douzaine d’artistes afin de discuter de L’œil et L’Esprit, une rencontre qui sera décrétée œuvre d’art elle-même. Statistic Project X. Tekenboek I, p.13

44 Tekenboek I, page 16

45 Tekenboek I, page 20

46 Tekenboek I, page 21

 

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Werner Cuvelier, Statistic Project XII, Las Hortichuelas, 1974

Werner Cuvelier, Tekenboek I
Werner Cuvelier, Statistic Project XII, Las Hortchuelas, technique mixte, 35 x 70 cm, 1974-94

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 Classer, ordonner, collectionner sont pour Werner Cuvelier des activités centrales, critiques et cruciales. Le réel est partout, même en vacances. En témoigne ce Statistic Project XII, intitulé Las Hortichuelas, du nom de  cette bourgade espagnole où Werner Cuvelier réside durant l’été 1974. Situé au cœur du  parc naturel du Cabo de Gata et à seulement deux kilomètres de la côte méditerranéenne, Las Hortichuelas appartient à la municipalité de Níjar, dans la province d’Almería, communauté autonome d’Andalousie. Non loin se situent les villages de Las Negras, Rodalquilar et Fernán Pérez. Et ceci n’est pas un détail topographique anodin. Las Negras fera, en effet, l’objet du Statistic Project XXXVIRetrato de Las Negras, une analyse démographique et onosmatique de ce village de 138 âmes. Six carnets de dessins sont également consacrés à Las Negras. (1978-1982)

Pour ce douzième projet, Las Hortichuelas, il ne s’agira pas de collecter des données immatérielles mais des objets, des traces matérielles. Le projet est déambulatoire : Marcher de la mer à la maison, s’arrêter tous les cent pas afin de ramasser quelque chose à portée de main. Emballer ces objets dans des petits papiers numérotés. Les coller sur une grille, en marge d’une carte d’Europe, d’une carte d’Espagne, d’une carte locale et d’une photo du rambla où ces objets ont été trouvés. Respectant le protocole établi, Werner Cuvelier collecte donc, des cailloux, des brindilles, des fragments végétaux, un fossile de coquillage, des gravillons et de la terre, un fragment d’emballage de graines Carancha, un tesson et des fragments de carreaux de céramique. Prélève les-t-il à des fins d’analyses statistiques ou matérielles ?  En fait, il cultive plutôt son jardin imaginaire, celui du souvenir d’un lieu parcouru. Ne sommes-nous pas à Las Hortichuelas, ce qui évoque l’horticulture, le jardin et potager ? La collection restera en l’état durant vingt ans. Werner Cuvelier finit par renoncer aux multiples cartes géographiques envisagées et décide, en 1994, de flanquer cette grille d’artefacts et objets naturels d’une seule image, celle de la route sinueuse qui descend vers la Méditerranée et qu’il a lui même empruntée, s’arrêtant tous les cent pas. Le format de l’œuvre est désormais canonique : deux carrés de 35 x 35 cm, soit un ensemble de 35 x 70 cm, référence au module de William Graatsma et Jan Slothouber.

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Werner Cuvelier, Statistic Project VII, version II, Boehm – Cuvelier, les documents, les dessins préparatoires

Werner Cuvelier, Tekenboek I
Werner Cuvelier,
Statistic Project VII   Boehm – Cuvelier
7 feuillets stencils 21 x 27 cm, EN – NL, 300 exemplaire, 1973
Werner Cuvelier,
Statistic Project VII   Boehm – Cuvelier, dessin préparatoire
crayon sur papier, 21 x 27 cm, 1973
Werner Cuvelier,,Statistic Project VII    dessin préparatoire 27 x 32 cm 1973
Werner Cuvelier,
Statistic Project VII, dessin préparatoire   technique mixte sur papier 20 x 20 cm 1973

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Werner Cuvelier, Statistic Project VII, Boehm – Cuvelier, Version IV, Kansas, 1973

Le travail initié chez Plus Kern constitue la deuxième version du projet. Werner Cuvelier envisage une troisième version à l’échelle européenne, en traduisant le questionnaire en diverses langues, en français, anglais, suédois, danois, finnois, italien, etc. Il s’agira d’interroger six personnes, trois femmes et trois hommes par pays. Initiée, cette version ne sera pas finalisée. Enfin, puisque le Rapport Meadows provient du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology), il conçoit une version américaine, qu’il mènera avec l’Université de Kansas City grâce à la collaboration du sculpteur Bill Baglay. Trente personnes participeront au panel. Cette fois, Werner Cuvelier abandonne le système binaire et permet aux personnes interrogées de rester sans opinion. 

Werner Cuvelier,
Statistic Project VII  (4th Version) – Boehm / Cuvelier 1973 – Kansas USA, planche I-VIII
Encre de chine sur papier, (8) x 21 x 27 cm
1973

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Werner Cuvelier, Statistic Project VII, Boehm – Cuvelier, les images

Werner Cuvelier,
Statistic Project VII  Boehm – Cuvelier, questionnaire (1) Version II
Technique mixte sur papier, 70 x 70 cm
1973
Werner Cuvelier,
Statistic Project VII  Boehm – Cuvelier, questionnaire (2) Version II
Technique mixte sur papier, 70 x 70 cm
1973
Werner Cuvelier,
Statistic Project VII  Boehm – Cuvelier, questionnaire (3) Version II
Technique mixte sur papier, 70 x 70 cm
1973
Werner Cuvelier,
Statistic Project VII  Boehm – Cuvelier. Version II
Encre et crayon sur papier 70 x 70 cm
1973
Werner Cuvelier,, Statistic project VII. Boehm -Cuvelier.Version II. Crayon sur toile, 275 x 290 cm, 1973.
Werner Cuvelier,
Statistic Project VII  Boehm – Cuvelier. Version II
Encre et crayon sur papier 70 x 70 cm
1973
Werner Cuvelier,
Statistic Project VII  Boehm – Cuvelier. Version II
Huile sur toile, 70 x 70 cm
1973

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Werner Cuvelier, Statistic Project V, les documents, les images

Werner Cuvelier
Statistic Project V, 1973
1. documenta 4 – Kassel 68, 2. Sammlung Karl Ströher, 3. Sammlung Peter Ludwig
4. When Attitudes become form – Bern 69-70, 5. Sonsbeek buiten de perken – Arnhem 71
6. Documenta 5 – Kassel 1972
Technique mixte, huiles sur panneaux (6) x 35 X 35 cm et (1) x 70 x 70 cm,
dessins sur papier  (6) x 35 x 35 cm et (2) x 55 x 73 cm
Werner Cuvelier, Statistic Project V, 1973, synthèse
2. Sammlung Karl Ströher
6. Documenta 5 – Kassel 1972
1. documenta 4
4. When Attitudes become form – Bern 69-70
5. Sonsbeek buiten de perken – Arnhem 71
3. Sammlung Peter Ludwig
Werner Cuvelier, Tekenboek I (1970-1996), 20,7 cm X 16 cm
Werner Cuvelier, Tekenboek I (1970-1996), 20,7 cm X 16 cm
Werner Cuvelier, Tekenboek I (1970-1996), 20,7 cm X 16 cm
Werner Cuvelier, Statistic Project V, Plus Kern March 73. Stencilé, 33 x 21 cm, 16 pages, NL – EN, 365 ex

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Werner Cuvelier, Statistic Project VII, Boehme – Cuvelier

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Statistic Project VII Boehm – Cuvelier, l’artiste et le philosophe

Le Statistic Project VII voit le jour au printemps 1973 (1) et s’inspire de la toute récente publication du Rapport Meadows, The Limits to Growth, édité à l’initiative du Club de Rome, ce groupe de réflexion réunissant des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 52 pays, préoccupés des problèmes complexes auxquels doivent faire face toutes les sociétés, tant industrialisées qu’en développement. Réunie pour la première fois en avril 1968, l’organisation acquiert une notoriété mondiale à l’occasion de la publication de Les Limites à la croissance en 1972 qui constitue la première étude importante mettant en exergue les dangers, pour l’environnement et donc l’humanité, de la croissance économique et démographique que connaît alors le monde. Des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology sous la direction de Dennis Meadows modélisent (2) l’empreinte écologique humaine et les principales interactions du  système Terre : population, économie, énergie, production agricole et industrielle, etc. Le rapport établit les conséquences dramatiques qu’aurait une croissance économique et démographique exponentielle sur le long terme dans un monde fini : raréfaction des ressources non renouvelables, épuisement des sols, pollutions aux conséquences multiples et, pointent-ils déjà, des effets climatiques. Ceci donne l’idée à Werner Cuvelier de se tourner vers le philosophe Rudolph Boehm afin que celui-ci rédige une série de questions s’inspirant de la situation. Rudoph Boehm lui adresse cinq questions dans le courant du mois d’avril 1973. 1. Pensez-vous que la situation dans le monde d’ici à l’an 2000 va s’améliorer ou s’aggraver ? 2. Pensez-vous que l’on puisse faire quelque chose ? 3. Vous sentez-vous coupable ou innocent ? 4. Pensez-vous que quelqu’un vous aime autant que vous pensez que quelqu’un pourrait vous aimer ? 5. Pensez-vous qu’il est préférable de vivre comme si l’on ne devait pas mourir ou de vivre en tenant compte du fait que l’on va mourir ? Et le professeur Boehm commente : Pourquoi ces questions ? Pour voir ce qui en ressort. Si vous voulez poser d’autres questions, faites-le. Les questions posées sont simplistes. Toutes les questions sont telles qu’elles vous obligent à répondre par oui ou par non. (3) Nous sommes à quelques mois du premier choc pétrolier d’octobre 1973. C’est dire qu’en s’inspirant de cet avertissement du Club de Rome, l’artiste et le philosophe œuvrent en plein réel.

Werner Cuvelier renoue avec la méthodologie du Statistic Project II, mais cette fois ce n’est plus le problème de l’art qu’il aborde mais bien le problème du monde. Il compte constituer un panel de trente personnes à qui soumettre le questionnaire et se propose de le composer en fonction de cinq catégories sociales : des travailleurs, des philosophes, des scientifiques, des jeunes et des artistes. Cette première version ne verra pas le jour. Se profile, en effet, l’opportunité d’une exposition de groupe à la galerie Plus Kern 4 : Werner Cuvelier y exposera donc trois dessins questionnaires, proposant au public du vernissage de répondre aux questions en noircissant des cases, à côté de leurs noms, prénoms et profession. Soixante personnes se prêteront au jeu parmi lesquelles on pointera quelques personnalités du monde de l’art gantois : Staf Renier, Emiel Hoorne, Fred Vandaele, Bernard Dewerchin, Jan Hoet, Yves De Smet, Leo Copers, Jenny Van Driessche, Amédée Cortier ou Marc De Cock ( 5). Non sans humour, le duo conseille aux indécis de répondre que : oui, la situation va s’aggraver avant l’an 2000 ; non, ils ne peuvent rien y faire et ne s’en sentent pas coupables. Non personne ne les aime comme ils pensent qu’ils pourraient être aimé.  Oui, il est préférable de vivre comme si l’on ne devait pas mourir. Rien n’empêche toutefois de choisir les réponses opposées, précise R. Boehm( 6). Le travail initié chez Plus Kern constitue la deuxième version du projet. Werner Cuvelier envisage une troisième version à l’échelle européenne, en traduisant le questionnaire en diverses langues, en français, anglais, suédois, danois, finnois, italien, etc. Il s’agira d’interroger six personnes, trois femmes et trois hommes par pays. Initiée, cette version ne sera pas finalisée. Enfin, puisque le Rapport Meadows provient du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology), il  conçoit une version américaine, qu’il mènera avec l’Université de Kansas City grâce à la collaboration du sculpteur Bill Baglay (7). Trente personnes participeront au panel.

La finalité, bien sûr, est de traduire les résultats en dessins et maquettes tridimensionnelles. Dans son Tekenboek, son carnet de dessins, Werner Cuvelier ajoute qu’éventuellement il utilisera une bâche pour support, een zeildoek, ce que l’on peut littéralement traduire par morceau de voile. A l’heure où s’approche le premier choc pétrolier mondial – et les premiers dimanches sans voiture à l’automne 1973 -, le choix de ce support est pour le moins piquant.(8)

Werner Cuvelier conçoit un jeu de cubes (9), des blocs en rangées supérieures lorsque les réponses sont dites positives (A), en rangées inférieures lorsqu’elles sont considérées comme négatives (B). Deux dessins tridimensionnels compilent ces résultats, en cinq rangées de blocs, le premier est une simple compilation des cinq questions, énonçant celles-ci en toutes lettres ainsi que les noms des participants ; le second regroupe les questions en rangs serrés, un bloc des blocs, également dans l’ordre d’inscription des participants, de 1 à 60. Et les identités y sont à nouveau listées. La bâche, quant à elle, complexifie le système. Elle est le cœur même de l’analyse statistique. Le système binaire qui prévaut ici – on pense bien sûr aux notion d’entiers positifs et négatifs de toute théorie informatique – y surgit en sept colonnes horizontales de 300 cubes, chacune regroupant les cinq questions. Il ne s’agit plus d’individualiser les réponses, mais bien de les quantifier. Le philosophe – et Rudolph Boehm se fend d’un texte extrêmement détaillé – tente d’arriver à une déclaration générale sur le caractère des personnes interrogées, non plus en tant qu’individus mais en tant que groupe. L’artiste, lui, renverse les valeurs, pousse les blocs à gauche ou à droite. Se croisent ainsi des minorités et des majorités d’optimistes et de pessimistes, de coupables et d’innocents,  de fatalistes et d’illusionnistes. L’image d’origine est confuse, chaotique ; elle semble se clarifier, se lisser au fil des colonnes horizontales en fonction du croisement des classements des groupes, sous-groupes, questions et réponses. Rudolph Boehm est-il dès lors dans la capacité de produire une déclaration morale et éthique par ce jeu quantifiant ? Ses conclusions sont loin d’être claires. Sont-ce des résultats ? écrit-il. Que vaut l’optimisme de ceux qui construisent consciemment leur vie sur une illusion (les immortels) ? Que vaut leur conviction que quelque chose peut être fait ? Que vaut leur opinion que quelqu’un les aime ? Que vaut leur sentiment d’innocence ? Rien. Les questions sont éminemment personnelles, ce sont des questions de vie sur le présent, sur l’avenir, sur le monde. Elles montent en puissance, de la plus contextuelle à la plus essentielle. Elles font appel aux valeurs et convictions personnelles. Non décidément, il n’est pas possible de tirer des conclusions générales en réduisant les individus à des cubes numérotés. Ces conclusions sont-elles incontestables ? Se demande Rudoph Boehm. Au contraire. Mais plus elles seront contestées, mieux nous nous accorderons à dire que nous devrions commencer par nous confronter à des questions comme celles qui sont posées ici, et aussi à la question de savoir quelles autres questions en découleront.

Alors que nous accrochons la bâche du Statistic Project VII au mur de la galerie, Werner Cuvelier me demande si je sais pourquoi le projet se nomme Boehm – Cuvelier et non l’inverse. Après un temps de silence, il me confie : J’ai simplement respecté l’ordre alphabétique. Et il ajoute : Puis, je voulais mettre Boehm en avant. Tout est dit.

J.M.B.

(…)

1Dans le Tekenboek I, pp. 8-9

2 A l’occasion de cette étude, Donella Meadows, Dennis Meadows et Jørgen Randers créent World3, un modèle qui permet une simulation informatique des interactions entre population, croissance industrielle, production de nourriture et limites des écosystèmes terrestres. On se doute que ce développement informatique dans le traitement de données n’échappe pas à l’attention de Werner Cuvelier.

3 Dans Werner Cuvelier, Statistic Project VII   Boehm – Cuvelier,7 feuillets stencils 21 x 27 cm, EN – NL, 300 exemplaire 1973

Drawings. Leo Copers, Amédée Cortier, Raoul De Keyser, Yves De Smet, Roland Jooris, Staf Renier, Fred Vandaele et Marthe Wery. Du 5 au 23 juin 1973. Introduction par Benno Premsela, designer, artiste et collectionneur néerlandais, président du conseil d’administration de la Gerrit Rietveld Academie à Amsterdam.

5 Le sondage d’opinion n’a donc rien d’anonyme, même si Boehm et Cuvelier traiteront les réponses en les regroupant. Ainsi il est amusant de constater, par exemple, que pour Jan Hoet, oui la situation va s’aggraver avant l’an 2000, oui, il peut intervenir sur le cours des choses,  même s’il ne se sent pas personnellement responsable de cette situation. Il estime que personne ne l’aime comme il pense qu’il devrait être aimé. Oui, pour Jan Hoet, il est préférable de vivre comme si l’on ne devait pas mourir.

6 Texte de Rudolph Boehm dans Werner Cuvelier, Statistic Project VII   Boehm – Cuvelier, 7 feuillets stencils 21 x 27 cm, EN – NL, 300 exemplaire, 1973

Tekenboek I, pp. 9. Werner Cuvelier entretient des relations avec l’université du Kansas. Il a été invité à participer à Tempo 1970, Midwestern Music & Art Camp, Université du Kansas School of Fine Arts, Lawrence, Kansas, 22 juin – 24 juillet 1970. Bill Baglay a obtenu sa maîtrise en sculpture à l’université du Kansas. En 1972, il est à Gand afin d’y poursuivre un troisième cycle d’étude.

8 Cette bâche de 275 x 290 cm, conçue en 1973, est exposée à Tournai à l’occasion de Manifestation Collective IX, Sigma 13 Cercle artistique en 1975. C’est le deuxième volet d’une trilogie de manifestations de Negen, le groupe des IX, créé fin 1974 et qui rassemble Yves De Smet, Werner Cuvelier, Leo Copers, Staf Renier, René Heyvaert, Fred Vandaele, Bernard Dewerchin, Peter Beyls. Figure dans les archives de l’artiste cette lettre datée du 3 décembre 1974, adressée à ses collègues : Le lundi 9 décembre à 9 heures 9 minutes, les 9 se réuniront pour la troisième fois dans le cadre de la série d’événements provisoirement dénommée 9 (IX) (…) Quiconque assiste à cette réunion déclare accepter de participer à ces événements. La première exposition aura lieu au musée Dhondt Dhaenens à Deurle du 18 janvier au 2 février A1975, la deuxième à Sigma 13 – Tournai, centre d’art créé en 1968. Le troisième événement, intitulé Genegen, Een collectieve manifestatie van « de IX » à lieuà la Zwarte Zaal (Academie voor Schone Kunst), Gent le 13 mars 1975 et consiste en deux heures d’interventions relatives au temps et à l’espace.

9 Le cube est l’image générique de ce projet, à l’instar de cette petite sculpture de bois vernis de 15 x 15 x 15 cm, œuvre tridimensionnelle très néo – plasticienne qui condense la collecte des données. Collection privée, Anvers.

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Statistic Project V, 1973

Werner Cuvelier, Statistic Project V, 1973. Tableaux de synthèse.

Le Tekenboek I, ce premier carnet de dessins de Werner Cuvelier, est décidément une source précieuse, un ensemble de croquis, de notes, de réflexions sur le travail, une sorte de liste des listes, un fil conducteur très précisément daté, un fil d’Ariane qui permet de reconstituer le cheminement mental de son auteur. Œuvre autonome, ce carnet de 60 pages, évoque pas moins de 70 Projets Statistiques (S.P.), numérotés en chiffres romains, imaginés entre 1970 et 1996. Ainsi y apprend-on que Werner Cuvelier, de passage à Cologne en Allemagne le 7 octobre 1972, décide de prendre pour thème de son Statistic Project V l’exposition When Attitudes Become Forms imaginée par Harald Szeemann à la Kunsthalle de Bern en 1969. Je vais prendre le catalogue de l’exposition When Attitudes Become Forms comme réalité et point de départ afin de montrer l’intérieur de l’art (de binnekant), écrit-il. En fait, il décide d’étendre le champ d’investigation du S.P.I. et extrait de sa bibliothèque six catalogues d’expositions. Les data du Statistic Project V seront constituées par quatre expositions et deux importantes collections d’art: il y a là la Documenta IV, confiée à Arnold Bode en 1968, la désormais mythique exposition When Attitudes Become Forms, organisée à Berne en 1969 par Harald Szeemann, Sonsbeek buiten de Perken – Arnhem 71, mise sur pied par Wim Beeren en 1971 ainsi que la tout aussi mythique Documenta V de 1972 qu’Harald Szeemann vient d’orchestrer. Du côté des collections, il y a toujours celle de Peter Ludwig, le roi du chocolat, ainsi que la Sammlung Karl Ströher, du nom de cet industriel de Darmstadt, fabricant des shampoings Wella. Je pense, note Werner Cuvelier dans la publication (21) qui constitue et accompagne le travail, que ces six manifestations nous donnent une idée claire des arts plastiques dans les années 60. Elles ont eu lieu entre 1968 et 1972. Il sera clair pour tout le monde qu’elles constituent une documentation historique et qu’il s’agit d’une histoire très proche. Le choix de la documentation a été très facile. Certains peuvent en douter, mais je pense que ces manifestations sont les plus importantes. De fait, ce tournant des années 70 est d’une frénétique effervescence, une remise en question explicite et totale de tous les principes de l’art, une irréversible rupture. Live in your head proclame le commissaire démiurge Harald Szeemann à Bern. Vivre dans sa tête. Assurément, c’est également l’attitude de Werner Cuvelier face à ces six catalogues, dont l’un d’eux en deux tomes, déposés sur sa table de travail.

On sourira bien sûr, pour nous qui considérons cette époque et ces expositions comme mythiques et fondatrices, en parcourant les réalités objectives mises à plat par Werner Cuvelier. 403 noms et prénoms d’artistes, soit 39, 69, 71, 80, 150 et 181 unités, 39 artistes recensés dans le catalogue de la Sammlung Karl Ströher, 181 participants à la Documenta V, leur dates de naissances, éventuellement de décès, leur nationalités et lieux de résidence. Werner Cuvelier en est bien conscient et s’en explique :  Avec ces informations, j’ai fait une sorte de statistique artistique dans laquelle le caractère statistique se révèle peu important. Cela ne signifie pas que la valeur statistique soit nulle. A partir des classifications, ces énumérations peuvent soulever bien des questions importantes. Les informations recueillies permettent de voir précisément ces choses, qui sont normalement cachées et qui ne retiennent pas notre attention. Par exemple, le nombre d’artistes belges qui ont participé à ces manifestations : 5 sur 403 = + 1%. Oui, les choses sont relatives, dans tous les sens du terme : mises en relation, elles sont à relativiser. Je suis préoccupé par les pseudo – statistiques, déclare Werner Cuvelier. Et de conclure : je me moque un peu de la science, et surtout des statistiques, en soulignant la relativité de mes résultats statistiques au moyen de couleurs et de sons. En fait, les choses ne sont peut-être pas aussi réductrices, dès le moment où l’on considère que l’intérieur de l’art – de binnekant, ce sont avant tout des hommes (et des femmes quoique celles-ci soient peu présentes, effet du temps) qui naissent, meurent, ont une origine, vivent et créent à un endroit, tous représentés ici en unités visuelles, voire sonores. Le sujet de cette œuvre est l’art en soi, écrit encore Werner Cuvelier, résumant son projet, les artistes et leurs informations constituent le matériel. Cela contraste avec tous les sujets qui ont façonné l’art au cours des siècles passés.

En fait, ce cinquième projet (22) est une remarquable synthèse méthodologique des précédents, une nouvelle perspective et une mise au point à propos de la base statistique. Contrairement aux précédentes qui s’appuyaient sur l’autonomie des tableaux statistiques, la publication qui condense le projet se fonde sur l’œuvre elle-même et celle-ci sera unique, sans déclinaisons, un ensemble de 20 éléments, six panneaux peints, six dessins, six panneaux sonores et deux tableaux de synthèse, en fait six unités textuelles, picturales et sonores représentants les six manifestations et leur synthèse. Pour les formats – et on se souvient que c’est lui, l’artiste, qui décide -, Werner Cuvelier se tourne à nouveau vers les architectes W. Graatsma & J. Slothouber et s’inspire de leur module : les tableaux de synthèse mesurent 70 x 70 cm, les dimensions des autres, 35 x 35 cm, en dérivent. Le carré est la solution la plus neutre. Pour les dessins, le code est simple et précis : À côté des noms et des prénoms des artistes, écrit Werner Cuvelier, sont placés leur date de naissance, leur date de décès éventuelle, leur pays d’origine et enfin le lieu où l’artiste vit et travaille. L’année de naissance est représentée par les deux derniers chiffres : par exemple 1939 = 39 ; 1900 = 00 ; 1889 = 89 … Pour les noms de pays, j’ai pris les deux premières lettres de la notation anglaise. Par exemple France = FR. Pour la composition, j’ai utilisé des colonnes avec 61 noms chacune ; ceci est dérivé de 181 (d5) : 3 = + 61. 181 représente le nombre d’artistes qui ont participé à la Documenta V.J’ai écrit en noir sur un fond blanc pour des raisons de lisibilité. Toutes les lettres sont écrites à la main. Pour les panneaux peints, qui visualisent la participation des artistes aux différentes manifestations, Werner Cuvelier choisit un fond gris : c’est un exposant en arrière-plan, une non – couleur, sans aucune signification esthétique. Les expositions sont représentées en fonction de la couleur de la couverture des catalogues : des barrettes jaune clair pour When Attitude Become Forms, gris clair pour Sonsbeek, orange pour la Documenta V, jaune plus profond pour la collection Ludwig, vertes pour la collection Ströher, deux triangles rouge et bleu pour la Documenta IV, celle-ci bénéficiant d’un catalogue en deux tomes, l’un rouge, l’autre bleu. Enfin Werner Cuvelier développe la sonorisation du travail statistique : chaque couleur correspond à un son. Les six compositions sonores ont chacune une longueur propre variant de 39 (ks) à 181 (d5) unités, qui résultent du nombre d’artistes dans les catalogues respectifs. Chacune des six compositions dure une minute et est divisée en 39, 69, 71, 80, 150 et 181 unités. Ainsi, les sons de la première composition durent 1/39 de minute, ceux de la seconde 1/69, etc. En outre, on peut écouter la composition dans son ensemble, ou partie par partie ou certaines parties ensemble, selon les interrupteurs que l’on actionne. Ainsi peut-on suivre la musique tout en regardant les couleurs, et en conséquence, écouter les couleurs tout en voyant la musique.

En fait, oui, qu’entendons nous, que voyons nous ? Telle reste la question, celle de l’autonomie de l’œuvre d’art. Le philosophe Rudolph Boehm (23), à l’époque professeur à l’université de Gand et qui collaborera aux travaux statistiques de Werner Cuvelier, analyse le dispositif. Regardons ce que nous voyons. À gauche, un panneau de couleurs (= peinture). Les couleurs se présentent comme des données sensorielles immédiates de la plus grande simplicité. Que dire d’autre sur ce qu’il y a d’autre à apprendre ? La chose n’est pas si simple. Sur ce panneau, nous voyons autre chose que ce que nous pensons voir. En fait, nous voyons une représentation de données que nous ne percevons pas immédiatement comme sensorielles. Les couleurs représentent selon des règles strictes, des données statistiques enregistrées dans le panneau de droite (= dessin) Vous savez qu’aujourd’hui, les gens aiment à considérer les données statistiques comme les seules données objectives. Ces données statistiques sont-elles ce que nous percevons réellement sur le panneau de couleurs ? Mais où les voyons-nous ? Seulement sur le deuxième panneau. Mais là encore, elles ne sont montrées qu’à l’aide de caractères. Nous voyons d’abord les couleurs, puis les caractères, puis leur signification, écrit-il encore. Et maintenant, après ces réflexions, nous commençons à voir – peut-être à comprendre – quelque chose de complètement différent par rapport à ce que nous percevons. Une conclusion est certaine : ce que nous voyons dépend aussi de nous-mêmes.

Werner Cuvelier pour sa part précise : Je veux examiner ici si ces séries régulées, par opposition aux séries aléatoires, produisent autant de sensations esthétiques que les œuvres composées par intuition. Si c’est le cas… Werner Cuvelier laisse la réponse en suspension.

Revenons un instant à cette notion de réalité. Werner Cuvelier est en tout cas attentif au monde l’art et à ses réalités du moment. En 1973, la démission de Jean Leering, directeur du Van Abbe Museum, suite à un désaccord avec le conseil d’administration du musée et les autorités de la ville quant à sa politique et ses idées sur la créativité individuelle et collective, le fait réagir. Avec une pointe d’humour et un soupçon de revendication peut-être, Werner Cuvelier rédige quelques Propositions pour le Van Abbe Museum : Les expositions sont organisées autour d’un thème : la structure. Les expositions sont organisées autour d’une technique : la reconnaissance de l’art du dessin. Les expositions sont organisées autour d’un thème : la nature morte. Les expositions sont organisées sur une base géographique : l’art flamand. Les expositions sont organisées sur une base technique : les sculptures. Les expositions sont organisées autour d’une tranche d’âge : les dessins d’enfants. Les expositions sont organisées avec des arrangements combinés : la jeune création flamande. Les expositions peuvent être organisées selon l’âge, le format, par couleur. Ceci constitue le Statistic Project VI (24)

(…)

21Werner Cuvelier, Statistic Project V, Plus Kern March 73, Stencil, 33 x 21 cm, 16 pages, NL – EN, 365 ex

22Exposition individuelle galerie Plus Kern, Statistic Project V. Du 6 au 24 mars 1973. Introduction  par le professeur R. Boehm. Werner Cuvelier expose au ré de chaussée de la galerie, Yves De Smet à l’étage. Exposition avec publication. Les deux tableaux de synthèse seront également exposés en 1975 à l’occasion du millénaire de la Ville cde Gand. Duizend jaar Kunst en Cultuur, Museum voor Schone Kunst, Gent (B). Texte de 1973 de Rudolf Boehm dans le catalogue.

23Werner Cuvelier suit les  cours de philosophie de Rudolf Boehm (1927-2019) en élève libre. En témoignent de nombreuses notes dans le Tekenboek II. De 1952 à 1967 Rudolf Boehm collabora à l’édition des inédits de Edmund Husserl aux Archives-Husserl à Louvain sous la direction de Herman Leo Van Breda. En 1967, Rudolf Boehm est nommé professeur de philosophie moderne à l’Université de Gand. Rudolf Boehm fut un des premiers lecteurs du manuscrit de Totalité et Infinid’Emmanuel Lévinas. Ainsi, il contribua à sa publication dans la collection Phaenomenologica(Editions Martinus Nijhoff), dirigée par son vieil ami et complice, Jacques Taminiaux, professeur de philosophie à Louvain-la-Neuve.Son œuvre s’inscrit dans le sillage de la phénoménologie, même si elle rompt avec celle-ci sur plusieurs points essentiels. Werner Cuvelier et Rudolf Boehm entretiendront une très solide relation de collaboration. Boehm a également étudié les mathématiques et la physique à Leipzig et à Rostock.

24Tekenboek I, page 7

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Werner Cuvelier, Statistic Project I, Documenta IV, Sammlung Karl Ströher, Sammlung Peter Ludwig

Werner Cuvelier
Statistic Project I
Plus Kern, may – june 1972
stencilé, 33 x 21 cm, 32 pages, 500 ex. NL – EN 
Werner Cuvelier
Statistic Project I Documenta 4, K. Ströher, P. Ludwig (voorstudie)
Technique mixte sur panneau, 23 x 15 cm, 1970

Revenons en à ce qui occupe Werner Cuvelier au moment de sa participation au One Day Show à Zaffelare : son Statistic Project I, une analyse statistique de l’art des années 60, fondée sur un scrupuleux dépouillement de quatre publications. Celles-ci concernent une exposition, la Documenta IV (catalogue en deux volumes), et deux collections, celles de deux industriels allemands, Karl Ströher d’une part, Peter Ludwig d’autre part. Ne seront pris en compte que les éléments objectifs concernant les artistes présents dans ces publications : le nombre d’œuvres présentes dans ces collections et expositions, les âges, les lieux de naissance et de vie, les nationalités. Ces éléments constitueront les données statistiques à exploiter, tout d’abord en listes et tableaux commentés, ensuite en dessins, tableaux sur toiles, reliefs et œuvres tridimensionnelles. Dans un premier temps, Werner Cuvelier liste les 183 artistes concernés, de Joseph Albers à Wolf. Tout, ici, est précisément normé, précisément codifié, l’usage des abréviations, la longueur des énumérations en colonnes, l’ordonnancement de l’ensemble,  une trentaine de feuillets tapuscrits de format folio qui feront l’objet d’une publication stencil, une pure esthétique administrative, à la fois autonome et en relation avec la visualisation plastique de l’œuvre.(14) Dans un premier temps, Werner Cuvelier s’intéresse aux œuvres, il en fait le décompte. Joseph Beuys l’emporte haut la main avec 264 œuvres dont 262 figurent dans la collection Ströher (15). Les Américains se taillent évidemment la part du lion : Jasper Johns (4 + 31 + 2 + 13 = 50), Roy Lichstentein (4 + 8 + 12 + 14 = 38), Claes Oldenburg (né en Suède mais résidant à New York, 4 + 3 + 24 + 7 = 38), Robert Rauschenberg (3 + 7 + 3 + 16 = 29) et bien sûr Andy Warhol (3 + 4 + 26 + 20 = 53). Il s’agira ensuite de les classer en fonction de leur représentation dans un, deux, trois ou quatre catalogue. 9 figurent dans les quatre publications, 14 dans trois publications. Les tableaux se succèdent en fonction de la nationalité des artistes, de leur lieu de naissance et de résidence, de leur proportion par rapport aux populations, de leur date de naissance, du nombre d’artistes par âge. Les mieux représentés sont ceux qui sont nés en 1930 et ont donc 41 ans en 1971, constate Werner Cuvelier. Combien de tableaux a-t-il ainsi conçu ?  Il choisit en tout cas d’en publier 11. Les trois derniers sont les plus intrigants. En janvier –février 1972, Werner Cuvelier collabore avec l’Institut de Psycho – Acoustique et de Musique Electronique de Gand afin d’envisager une traduction sonore et mélodique de ces statistiques. Des suites de chiffres déterminent les variations, timbres, vibrations, combinaisons sonores et tonalités. Le tableau X fait état d’une composition initialement destiné à être réalisée sous forme de musique électronique programmée, interprétée le 15 février 1972, sur un harmonium Alexandre avec clairon pour le registre gauche et flûte pour le registre droit.

Nous reviendrons ultérieurement sur la (les) traduction(s) visuelle(s) de ce premier Statistic Project. Ils sont l’objet d’une exposition à la galerie Plus Kern en mai – juin 1972 (16). Une fois de plus, annonce le communiqué de presse (17), Cuvelier apporte des informations sur l’art, mais la visualisation de ces informations devient à son tour un processus artistique. Les tableaux, graphiques, peintures, reliefs, objets et compositions sonores qui en résultent peuvent être considérés comme des œuvres d’art autonomes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur relation avec le matériau utilisé. La valeur statistique, cette mise en œuvres de données objectives, fonde en effet le processus. Elle est à l’origine, rappelle Werner Cuvelier, d’une importance capitale. De par la nature même du travail, dirais-je, mais aussi et sans doute, parce que la déferlante des artistes américains et du Pop Art (18) en Europe, confirmée par l’exploitation de ces quatre catalogues, est de stricte actualité, ce qui suscite bien des réactions dans les milieux artistiques. Pensons, par exemple, aux conversations stratégiques qu’ont, à l’époque, Jacques Charlier et Marcel Broodthaers sur le sujet.(19) Toutefois, écrit Werner Cuvelier dans son Tekenboek I, l’importance de la valeur plastique des résultats l’a vite emporté sur la valeur statistique. Celle-ci ne reprendra de la valeur que placée entre guillemets. Ces guillemets font, en effet, référence au caractère subjectif (par opposition à objectif) de tout ce qui a contaminé le monde auparavant. J’utilise l’art, affirme Werner Cuvelier pour faire de l’art, contrairement à tout ce qui a déjà servi de modèle pour l’art. Werner Cuvelier envisage la chose comme une sorte de renonciation – le mot est fort – une renonciation à être créateur (20). Jacques Charlier, lui aussi, se définissait comme présentateur des documents professionnels qu’il distillait dans le champ de d’art. Néanmoins, nuance Werner Cuvelier, c’est moi qui fais le travail, c’est moi qui décide des couleurs, c’est moi qui décide du format. Seules les proportions et le nombre de couleurs découlent des données statistiques. Il conclut, enfin : Ce projet peut être considéré comme une question philosophique, et donc extrême, pour les artistes, les collectionneurs, les directeurs de galeries, les critiques, les historiens et autres personnes impliquées dans l’art… une question sur le comment et le pourquoi des choses.

L’exposition du Statistic Project Ià la galerie Plus Kern ferme ses portes le 1 juillet 1972. La veille, soit le 30 juin, s’est ouverte à Kassel la Documenta V,les cent jours d’Harald Szeemann.

(…) 

14Werner Cuvelier, Statistic Project I, Plus Kern, may – june 1972, stencil, 33 x 21 cm, 32 pages, 500 ex. NL – EN.

15Ströher a notamment acheté une exposition entière de l’artiste allemand, exposition présentée au musée de Mönchengladbach. Il a d’ailleurs également acquis Raumplastik, l’œuvre présentée à la Documenta 4 dont la plupart des travaux exposés se trouvent aujourd’hui au Hessisches Landesmuseum de Darmstadt, ville d’origine du marchand de shampoing et autres lotions capillaires

16Exposition du 12 mai au 1erjuillet 1972. Arie Berkulin, artiste néerlandais, que la galerie Plus Kern a remarqué à l’Europaprijs voor schilderkunst à Ostende en 1969 expose au rez de chaussée de la galerie, Werner Cuvelier à l’étage.

17Archives de l’artiste.           

18En 1969-70, Werner Cuvelier peint lui même quelques toiles d’inspiration pop et pop géométriques alors qu’Evelyne Axell est récompensée par le Prix de la Jeune Peinture belge.

19Lorsque le Pop Art et le Nouveau Réalisme font irruption chez nous, je me demande comment affirmer notre identité par rapport au dadaïsme revisité de ce rouleau compresseur américain. Comment faire aussi par rapport à Restany et ses Nouveaux Réalistes. J’en parle souvent avec Marcel Broodthaers avec qui je partage cette préoccupation. Où trouver notre place, alors que ces artistes ont déjà conquis Bruxelles et Anvers ? Jacques Charlier, dans : Jean-Michel Botquin, Zone Absolue, une exposition de Jacques Charlier en 1970, L’Usine à Stars, 2007.

20Werner Cuvelier, SP I, opus cit.

Werner Cuvelier
Statistic Project I Documenta 4, K. Ströher, P. Ludwig 
Crayon sur papier, 1971

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Werner Cuvelier, Statistic Project II, Zaffelare, les images

Werner Cuvelier, Statistic Project II, Zaffelare, 1971
Werner Cuvelier
Statistic Project II, Zaffelare, questionnaires, 1971
technique mixte, 12 x 32 x 24 cm et boîte valise en bois
Werner Cuvelier
Statistic Project II, Zaffelare, questionnaires, 1971
technique mixte, 12 x 32 x 24 cm et boîte valise en bois
Werner Cuvelier, Statistic Project II, Zaffelare, 1971
Werner Cuvelier
Statistic Project II, Zaffelare, table 01, 1971
Huile sur panneau, 50 x 50 cm
Werner Cuvelier
Statistic Project II, Zaffelare, table 02, 1971
Huile sur panneau, 50 x 50 cm
Werner Cuvelier
Statistic Project II, Zaffelare, table 03, 1971
Huile sur panneau, 50 x 50 cm
Werner Cuvelier
Statistic Project II, Zaffelare, table 04, 1971
Huile sur panneau, 50 x 50 cm
Werner Cuvelier
Statistic Project II, Zaffelare, table 05, 1971
Huile sur panneau, 50 x 50 cm
Werner Cuvelier
Statistic Project II, Zaffelare, table 10, 1971
Huile sur panneau, 50 x 50 cm
Werner Cuvelier
Statistic Project II, Zaffelare, dessins préparatoires,

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