photographies : Art on Paper – Geoffrey Fritsch
Archives de catégorie : Gaetane Verbruggen
Art on paper Brussels, les images
Paréidolie Marseille, les images (2)
Jean Auguste Dominique Ingres, Jacques-Louis David, Charles Garnier, Géricault, Jean-Baptiste Carpeaux, André Dunoyer de Segonzac, Brancusi, César, Delacroix, Henri Matisse, André Masson, Gustave Moreau se sont certainement promené par ici. François Mansart, Charles Lebrun ou André Le Nôtre aussi. Tous trois ont participé à l’embellissement des lieux. Nous sommes dans le jardin de l’Hôtel de Chimay, propriété de l’École des Beaux-Arts de Paris, là même où Valérie Sonnier enseigne le dessin morphologique depuis 2003. Il était logique, voire attendu, qu’elle se mette un jour en quête de l’esprit des lieux.
Un ixième recyclage, un épuisement – sans garantie de fin – d’une affolante banque d’images conservée tant au creux d’un imaginaire compulsif qu’en liasses d’images reproduites. L’opus se nomme Miniatures. Ceci nous renvoie à l’art de l’extrêmement petit, aux petits sujets destinés aux missels, aux scènes gracieuses traitées en médaillon pour tabatières, à l’enluminure des manuscrits médiévaux, au minium, ce pigment rougeâtre utilisé par les anciens, à la lettre ornementée, à un genre pictural – celui de la miniature – et à celui qui le pratique : le miniateur. Portrait de l’artiste, dès lors en miniateur.
Comme souvent dans la pratique de l’artiste, l’opus procède aussi de son support. Benjamin Monti collecte tant les images que les papiers, des cahiers et carnets vierges ou usagés, des blocs et rames de toutes sortes, tous et toutes potentielles opportunités de développer un travail singulier et particulier, de se mesurer à l’objet suivant les règles d’une contrainte bien évidemment désirée. Ici, un bloc publicitaire d’une société liégeoise, les Entreprises Philippe SA, active dans le domaine de l’isolation et du sanitaire de 1991 à 2015, un bloc de mille feuillets, du neuf par neuf, pardon soyons précis, un bloc de 9,2 cm sur 9,2 cm. Le bloc était là ; l’artiste l’a ressorti de ses réserves un jour d’isolement et de confinement sanitaire. L’aventure, la colle et les ciseaux (bien que l’artiste opte bien souvent pour la déchirure) l’attendaient sur un coin de table. La pérégrination durera plus de deux ans et le bloc est loin d’être épuisé.
Dès lors, Monti s’est replongé dans ses liasses d’images reproduites, copiées, photocopiées, multipliées, agrandies, diminuées, celles-ci même qui alimentent ses dessins à la plume qui, eux aussi, sont des collages, celles-là qu’il épuise dans ses collages de toutes dimensions, y compris les muraux qu’il conçoit depuis une bien nommée Restructuration du Travail, titre d’une exposition menée en 2019, des collages muraux aux antipodes donc de l’opus qui nous occupe, si lointains et portant si proches, tant il s’agira de rejouer la donne : l’échelle, le cadre, la strate, les strates plutôt (j’ai eu la chance de les manipuler ; au plaisir visuel s’est ajouté celui du toucher), le sujet… celui qui en déroutera plus d’un. Car, là sans doute réside l’essentiel, ce qui vous pend au nez, ce qui sera l’objet de toutes les attentions, ce que l’on aura de cesse de scruter. Analyser, examiner ou plutôt, entre fragments d’images, trames et déchirures, disséquer, décortiquer, voire même éplucher jusqu’à la pluche de papier. L’exposition qui révéla la série avait pour titre Études et Miniatures : étudier résumera la chose. Ce fut un cas d’étude pour l’artiste, ce le sera pour le regardeur qui, c’est bien connu, fera le collage.
Les sujets abondent dans l’œuvre de Monti. Certes, il collecte essentiellement des sources imprimées familières, encyclopédies et livres illustrés où se croisent illustrateurs de renom et anonymes de l’image imprimée. Certes, Monti, en collectionneur averti, vous parlera d’Horace Castelli, de Grandville ou des gravures de Louis Poyet que – je ne le savais pas – Max Ernst ou Joseph Cornell ont utilisé pour leurs propres collages. Poyet, avertit Monti, est fort présent dans la série des Miniatures. Présent sans doute mais indiscernable, tant la densité est profonde, tant la condensation est forte. Car bien sûr il n’est pas question de miniaturiser des collages qui auraient pu exister plus grands, la question ne se pose même pas. Ces copies qu’il étudie, dont lui-même scrute chaque trait, entrent ici dans une nouvelle dimension, participant d’une fascinante fragmentation où chaque motif, chaque trame trouvera une nouvelle assignation, participant d’un nouvel imaginaire. Sans doute n’était-ce pas concerté dès le départ, – Monti est plutôt intuitif – mais la série procède d’une sorte de rebond du motif, l’évolution d’un collage à l’autre, par exemple, d’un fronton d’opéra, un fronton portant les lettres OPERA, que le miniateur triturera en tous sens. J’aime à y voir tant l’évocation d’une comédie humaine qui sied à toute l’œuvre de Monti que la notion d’opérer : mettre en œuvre, d’une part, trancher dans le vif (du sujet) de l’autre. Ainsi en va-il pour bien des motifs qui jalonnent la série, un cercle, un rond, une roue, une roue de bicyclette, une cible, tous participants d’un monde où s’associent les masques, les visages, les silhouettes, les objets, les machines – oui, il y a esprit Steam punk dans certains collages – les trames, les points et les hachures de toutes espèces qui parfois, souvent même, envahissent l’espace et le recouvre, le noir, le blanc, les lisières, les coupes, les juxtapositions et les superpositions, les situations cocasses, étranges ou inquiétantes, un monde que le regardeur ne pourra épuiser, pas plus que l’artiste n’épuisera la folle dimension de son corpus de sources d’inspiration.
Paréidolie 2024, preview, Gaetane Verbruggen
Luxembourg Art Week, preview, Gaetane Verbruggen
Paréidolie Marseille, preview, Gaetane Verbruggen
Peintre et dessinatrice, Gaëtane Verbruggen développe un travail tout en silence sondant le secret des images. Ses fusains et dessins évoquent des lieux oubliés, remplis d’histoire, dotés de lumière diffuse et intimes, des lieux qui nous permettent d’imaginer un passé, un historique fictif. Le tableau est une fenêtre ouverte. Où se trouve dès lors, si seulement elle existe, la limite entre la réalité et l’imagination ? Pouvons-nous jongler avec le visible et l’invisible produit par une lumière naturelle ? Gaëtane Verbruggen convoque l’intime et le public, le perceptible et l’imperceptible.
Gaetane Verbruggen, Le temps s’enfuit sans disparaître, La Filature, Mulhouse, les images
Gaetane Verbruggen, Le temps s’enfuit sans disparaître, La Filature, Mulhouse
Gaetane Verbruggen participe à l’exposition Le temps s’enfuit sans disparaître, à la Filature à Mulhouse. Exposition du 26 mai au 9 juillet 2023. Avec des oeuvres de Cassandre Fournet, Rémy Hans, Gaëtane Verbruggen, Chloé Charrois, Emmanuel Henninger, Jo Kolb, Capucine Merkenbrack, Iva Šintić et Chloé Tercé. Vernissage le 9 juin.
Lauréat·es du Prix Filature des éditions 2019 et 2021 de la biennale de la jeune création contemporaine de Mulhouse, Cassandre Fournet, Gaëtane Verbruggen et Rémy Hans ont en commun d’explorer les affinités qui lient entre elles les représentations de la nature, des paysages urbains ou de l’intime, aux divers points de vue de leurs rapports au temps, à la photographie, au dessin et à la peinture. Leurs images, en correspondance les unes avec les autres mais également avec celles de Chloé Charrois, Emmanuel Henninger, Jo Kolb, Capucine Merkenbrack, Iva Šintić et Chloé Tercé, suggèrent de nouvelles narrations sur les liens qui unissent les corps à leur environnement. Les objets du quotidien, les intérieurs, les paysages urbains, sylvestres ou célestes sont autour des neuf artistes comme des mondes vers lesquels ils·elles se retournent ou se projettent. Pour les capturer, il leur revient de les découvrir et pour les découvrir d’en être intérieurement submergés. Perceptible dans les représentations qu’ils·elles en produisent, leur ressenti nous laisse l’impression d’avoir vu ces choses de nos propres yeux.
Luxembourg Art Week, The Fair, les images
Luxembourg Art Week, The Fair, preview (4), Loic Moons, Gaetane Verbruggen
Les souvenirs nous sont tous fidèles, en principe. On s’attache à un endroit, une personne, un objet, ou encore, à un détail futile. On se souvient vaguement de certaines choses, comme on peut se souvenir des détails les plus précis d’un objet, d’un décor, d’une sensation. Nos pensées peuvent se déformer avec le temps, on en arrive à ne plus distinguer le vrai du faux, à s’être persuadé d’une chose, alors qu’il en s’agit d’une autre, à rendre fictif une partie du souvenir.
Je cherche à extérioriser des instants intraduisibles et fragiles, un peu flous. Je prends plaisir à capter l’âme des instants du quotidien, retranscrire l’émotion face aux banalités de la vie ordinaire, et en accepter leur simplicité. Mes travaux sont donc le témoignage de diverses sensations restées encrées dans mon esprit, qu’elles soient dupées par le temps ou non.
Je me suis intéressée aux lieux oubliés, ces sites remplis d’histoires, auxquels personne ne prête attention, ces endroits sans figure, dotés de lumière diffuses et intimes, capables de nous rappeler une anecdote. Nous avons les moyens d’imaginer un passé, un historique fictif en quelques secondes. Des récits différents pour chaque lieu, des émotions différentes à chaque instant. Nous avançons alors dans la fiction que l’on se crée et nous nous emparons ainsi d’instants irréels.
Selon Alberti, le tableau serait comme une fenêtre ouverte. Où se trouve dès lors, si seulement elle existe, la limite entre la réalité et l’imagination ? Pouvons-nous jongler avec le visible et l’invisible produit par une lumière naturelle ? Inconsciemment, nous sommes généralement capables de nous construire une image mentale dissimulée derrière les ouvertures de ces paysages d’intérieurs, jusqu’à peut-être avoir l’envie d’y pénétrer, comme si un nouveau monde se dessinait derrière le support. Je choisis d’utiliser ici la fenêtre en vue de révéler plusieurs propositions contradictoires ; l’intime et le public, le perceptible et l’imperceptible.
Gaëtane Verbruggen