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Aglaia Konrad, Paris Photo, une introduction

Aglaia Konrad, des images agissantes


Par Anne Frémy

Aglaia Konrad Projekt: Skulptur, 2017 
BW prints on ecoboard, stones, 178 x 120 cm. Ed 3/3

Aglaia Konrad, née en 1960 à Salzbourg, est une photographe qui se consacre entièrement à l’architecture et à l’urbanisme. Son œuvre photographique pourrait largement se suffire à elle-même. Mais Aglaia Konrad ne se définit pas seulement comme une photographe d’architecture, elle s’impose aussi comme une architecte de la photographie. En créant des dispositifs d’exposition dans lesquels ses images sont mises en jeu en fonction des espaces, des contextes et des situations spécifiques qui les accueillent, elle renouvelle le champ de la photographie d’architecture et de sa monstration.


La pratique d’Aglaia Konrad est fondée sur un immense corpus de prises de vues, que l’on peut qualifier d’« atlas». Il s’agit d’une mémoire en mouvement, comme l’était l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg, qui remaniait sans cesse ses archives pour y déceler des liens inattendus, capables de refonder l’histoire de l’art. De même, les archives d’Aglaia Konrad constituent une mémoire vive, dont les thèmes privilégiés sont le brutalisme international, les formes métropolitaines contemporaines, l’histoire de l’architecture, le béton et le marbre, les architectures – sculptures, les utopies et leurs contradictions, les chantiers et les démolitions… La liste reste ouverte car Aglaia Konrad, qui voyage beaucoup, est particulièrement curieuse et sensible à l’histoire. Elle mène des enquêtes documentaires approfondies, préambules et supports indispensables à la manière de faire voir ses images. Chaque projet d’exposition ou d’édition est l’occasion d’activer cette archive toujours en expansion, en créant des associations inédites entre les images, les plus anciennes se mêlant aux plus récentes pour fonder un récit visuel spécifique en même temps qu’une interprétation personnelle et originale de l’histoire de l’architecture.


Le corpus photographique d’Aglaia Konrad apparaît vivant et actif. Les images qu’il contient sont littéralement « agissantes », un terme qui fait référence à la tradition mnémonique des ars memoriae, hérités de l’Antiquité, et qui consiste à rassembler et à disposer un certain nombre d’images dans un espace ou un édifice architectural, imaginaire ou réel. Les images qui apparaissent en parcourant ce lieu, physiquement ou mentalement, organisent le regard, déclenchent une pensée, rappellent une connaissance, réactivent un souvenir. L’agencement et l’enchaînement de ces images agissantes dans l’espace créent des liens entre elles, provoquant des oppositions et des coïncidences qui donnent tout leur sens à ces agencements, également désignés comme  « théâtres de la mémoire », ce que sont, indubitablement, les scénographies d’Aglaia Konrad. Elle interprète et métamorphose l’architecture des espaces d’exposition, en soumettant son atlas photographique à toutes sortes d’expériences formelles, en s’emparant de surfaces et de volumes inhabituels ou résiduels. Elle conçoit des display’s et des constructions spécifiques destinés à habiter des lieux d’exposition sans qualité particulière, parfois en collaboration avec des architectes, comme Kris Kimpe, ou des artistes, comme Richard Venlet. L’ espace d’exposition s’en trouve bouleversé, occulté ou augmenté par des images avec lesquelles il est en rupture d’échelle, en osmose ou en conflit. Sols, murs, plafonds et surfaces vitrées, n’importe quel élément architectural peut constituer un support potentiel, l’accrochage prolongeant ou réactivant la forme et le sens des images exposées. À la manière d’une archéologue, elle récolte également des fragments d’architectures qu’elle incorpore à ces dispositifs, des fenêtres récupérées de la rénovation de l’immeuble CBR à Bruxelles, des éclats de matériaux de construction, des déchets de démolition, des échantillons de minéraux, etc. Les images sont traitées comme des éléments architecturaux, leurs formats et leurs supports varient d’un projet à l’autre, incluant l’argentique et la photocopie, la projection de diapositives et de films 16 mm. Pour Aglaia Konrad, la mise en espace des images marque un moment aussi décisif que celui de la prise de vues. En réunissant dans un même dispositif des images de sources et d’origines variées, elle opère par déplacements et relocalisations, ouvrant ainsi la photographie d’architecture à une dimension spatiale et conceptuelle inédite. Sorties de leurs cadres, les photographies ne sont plus seulement des tableaux à regarder mais des espaces habitables, à traverser et à parcourir.


Les livres publiés par Aglaia Konrad sont construits selon les mêmes principes que ceux qui animent ses expositions. Ses prises de vues sont orchestrées dans des compositions et des mises en pages riches et radicales qui les différencient des livres de photographies classiques, comme les formidables From A to K (2016, Koenig Books Ltd et M-Museum Leuven) et Japan Works (2021, Roma Publications).

Extrait de D’Architecture, revue professionnelle française d’architecture, n°312, nov.2023, pages 26 et svv. Anne Frémy est iconographe, photographe, vidéaste et scénographe. Elle est docteur en architecture (« L’image édifiante ». Thèse soutenue en 2016 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles). Parallèlement à son œuvre personnelle (expositions, éditions), elle collabore régulièrement avec des agences d’architecture, comme consultante, scénographe, iconographe, photographe ou vidéaste.