Une autre manière de voir un paysage, de lui donner un titre, avant de fixer son image, de l’encadrer. (…) La mémoire des images reçues de Versailles s’y superpose forcément, invitant le spectateur à ajouter de lui-même les grands bassins, les axes, la perspective, les statues, le Trianon, voire le Grand Palais. Or l’image ne montre qu’un de ces paysages typiques qui jalonnent les autoroutes de l’Île-de-France. Sans le titre et sa puissance évocatrice – Versailles – le spectateur n’y verrait qu’un champ et trois masses d’arbres dont la plus lointaine, à peine visible, pourrait pourtant figurer le fantôme brumeux d’une bâtisse royale, ou tout simplement la suggestion de son emplacement. Que serait-elle, cette image, sans son cadre doré et le passe-partout, plage ivoire, creusé à l’emplacement du titre ?
Image démultipliée à différentes échelles, depuis la carte postale jusqu’à l’agrandissement monumental accroché sur une vitre et laissant apparaître sur ses côtés – au-dehors – les façades d’une ruelle. Exposition du vide, du peu, mais combien chargée d’évocations, d’invitations à se remémorer l’histoire, ou à la réinventer, pour soi, par jeu. Mais pourquoi la répétition en différents formats, s’il est vrai que l’idée s’impose, évidente, dès le premier coup d’œil au premier montage ? C’est peut-être que, en changeant d’échelle, l’image évoque différemment, autrement, au long d’un parcours qui s’effectue comme à rebours, puisqu’il nous faut, à la fin de la visite, repasser devant les petits formats, jetant un dernier regard à Versailles avant sa construction, avant que l’image, s’estompant, il n’en reste plus que le souvenir. (Georges Roque, 1981)
Une photographie noir et blanc d’un paysage, silhouettes d’arbres entre ciel et terre, accompagnée d’une mention imprimée sur le passe-partout : «Versailles avant sa construction ». Jouant sur la puissance évocatrice de la nomination, sur le souvenir et la représentation mentale, cette image réaliste est paradoxalement une forme de trompe l’œil qui, observée rapidement, dissimule son anachronisme et en appelle à une nostalgie factice, dont le rappel se fait par le biais d’un miroir en regard évoquant « Versailles après sa destruction ». On sait comment le jardin à la française, dont Versailles est l’emblème, consiste en un découpage rigoureusement géométrique et symétrique de l’espace, qui est une manière autoritaire de dompter la nature et représente, tout comme la perspective dont il est l’héritier, une véritable politique du regard. À cet absolutisme idéal, Jacqueline Mesmaeker oppose des touches dissonantes jouant sur le décalage, la copie, les inflexions de la main et de la pensée. Des bourses en tissu sous vitrine, des livrets discrètement annotés, des cascades de mots sur les murs ou une poire magiquement pétrifiée : autant de ponctuations subtiles qui fonctionnent moins comme un caviardage de l’institution monarchique que comme un sous texte invisible; dont des bribes éparses flotteraient à la surface des choses. Des signes troubles qui se chargent de sens selon ce que le regardeur y projette en cherchant à y déceler une logique. S’y dessine une réflexion sur le paysage et sa construction, sous la forme du jeu de piste et de l’énigme. C’est précisément cette forme généreuse d’hermétisme que nous venons chercher dans l’univers de Jacqueline Mesmaeker, cet art de désigner un ailleurs de la sensibilité malgré ou justement par la rigueur des formes.(Guillaume Desanges, 2019)