L’intérêt que Werner Cuvelier porte à l’architecture, qu’elle soit monumentale et patrimoniale, des routes romanes à la pyramide de Cestius, ou domestique, voire vernaculaire, ne se démentira jamais. Het binnen, cette interprétation de sa propre maison, l’occupera durant plusieurs années. Dans le parcours qui nous occupe, cette attention est même très précoce. En 1969-70, Werner Cuvelier rompt avec sa propre pratique picturale ; il peint une série de toiles d’inspiration pop et géométriques, voire pop – géométriques. Il conçoit également des panneaux en reliefs, des objets formels géométriques tridimensionnels. En fait, il remet en question toute sa pratique artistique et le basculement est sidérant. Il expose une sélection de ces œuvres, chez lui, à l’atelier, en février 1970. Parmi celles-ci, un prisme droit en bois vernis de 170 cm de longueur, 85 de hauteur, 110 de profondeur, constitué de lattes verticales et horizontales. En quelque sorte, une charpente de toiture à deux pans. Werner Cuvelier lui assigne pour titre cette paraphrase magritienne : Dit is misschien geen dan ?(35) Ceci n’est peut-être pas un toit. Déjà, l’artiste interroge le spectateur sur la réalité de ce qu’il voit. Un prisme, une charpente, un toit, un volume, une sculpture.
L’architecture qui l’environne ne le laisse évidemment pas indifférent. Ainsi naîtra, en mai 1973, le projet du Statistic Project VIII, simplement appelé : Architecture. Lors d’un voyage à travers la partie flamande du pays, écrit Werner Cuvelier dans son Tekenboek, je discute d’architecture avec Anne Mie Devolder(36). La question est la suivante : qui construit donc toutes ces hideuses maisons de mauvais goût ? Surgit très vite l’idée de dresser un inventaire. Il sera photographique, en noir et blanc, et compilera les noms des architectes qui se sont ainsi commis dans ces laideurs de tout genre, peut-être même le prix d’achat de ces biens immobiliers. Ce coup de gueule consigné dans un carnet à dessins me rappelle le pamphlet rédigé en 1968 par l’architecte anversois Renaat Braem (1910-2001) Het lelijkste land ter wereld, le plus laid pays au monde dans lequel l’architecte dénonce, en l’opposant au caractère ordonné des territoires nationaux qui l’entourent, le caractère hétéroclite de la Belgique, qu’il voit comme une couverture en patchwork assemblée par un fou, composée de Dieu sait quelles vieilles loques, et parsemée de bazars entiers de cubes hétéroclites, jetés à terre avec mépris par un géant enragé (37).Ce Statistic Project VIII ne verra jamais le jour, bien que Werner Cuvelier ait compilé, parcourant la région gantoise, un petit carnet entier d’adresses, noms des rues et numéros des maison(s38). Ni même la seconde partie du projet consistant à faire soi-même sa maison, en bois, en carton, en trois dimensions et à l’échelle en s’inspirant du module cubique (70 x 70 x 70 cm) de William Graatsma et Jan Slothouber(.39) Par contre, il sera le point de départ du Statistic Project XVI, initialement intitulé Bordellen Project, le projet des bordels, puis plus finement, Buitenverblijven, ce que l’on pourrait traduire par Seconde Résidence ou Abri Extérieur. C’est tout dire.
Dans l’introduction de son pamphlet, ce guide de randonnée dans la jungle belge qui réveillera les somnambules, Renaat Braem fait une cocasse description du bâti urbain et surtout suburbain belge. Les routes sont des rues, écrit-il. Une digue de pierre vous sépare du paysage. Un vrai cauchemar pour les fournisseurs de matériaux.Des briques de toutes les couleurs imaginables et impossibles, du jaune féroce, du blanc maladroit, du vert savoyard au violet toxique, de l’encre bleue bon marché au noir sale des eaux usées. Les toitures crient leur présence par leur complexité, leur texture et leur couleur, l’amiante rose, les ardoises vertes, les tuiles rouges, les tuiles vernies noires, et à l’extérieur des agglomérations, où un arbre occasionnel suggère que nous sommes à la campagne, le chaume des toits taillé de façon fantaisiste des pseudo villas douillettes et autres châteaux à pignons. Vous pourrez vous approvisionner dans les stations-service de style normand, de style colonial, de style flamand, de style moderne ou même industriel. Vous pourrez vous restaurerdans des auberges aux rideaux à carreaux et aux enseignes en fer forgé, des rôtisseries aux façades en pseudo – colombages, des friteries gérées par des chefs chaleureux.Il existe une variété infinie de lieux de consommation, de la très sèche maison du peupleaux accueillants petits cafés aux fenêtres ornées de rideaux rouges et aux parkings discrets. Ce sont nos locaux pays chauds. Et la publicité. Ha, ha, beaucoup de publicité ! Du cola à la bière blonde nationale.
Les voici donc ces bordels et bars sur grand-route qui intéressent Werner Cuvelier. Il décide de dresser l’inventaire de ceux qui jalonnent les chaussées de Courtrai, d’Anvers et de Bruxelles, trois grands axes qui permettent de sortir de la cité scaldienne, ou de la rejoindre.(40) Werner Cuvelier se tourne vers le photographe Fred Vandaele : celui-ci prendra les clichés, 80 diapositives, toutes prises de nuit, de préférence lorsque le bitume suinte de pluie, ce qui accentue le reflet des enseignes et néons.41On devine dès lors dans la nuit toutes ces architectures hétérogènes, telles que les décrit Renaat Braem, un formidable bordel, des chalets, des pavillons quatre façades, des vitrines a front de rue, des fermettes, des paquebots modernistes, des parkings aussi, plus ou moins discrets. Au clair du néon, Fred Vandaele emprunte à dessein le trottoir d’en face, learning from the Kortrijksesteenweg pour paraphraser la célèbre leçon de Las Vegas (1972) de Robert Venturi et Cie, ouvrage qui, à l’époque, vient de paraître et fait un tabac. Pas âme qui vive, pas une furtive silhouette, pas un client, pas une hôtesse, c’est l’être et le néon. Seules règnent ici les enseignes de ces maisons et ces néons qui architecturent le paysage. Micro-dispositifs d’écriture, pratiques vernaculaires qui graphent la nuit en lignes lumineuses rouges, bleues, jaunes, vertes, l’enseigne devient, grâce à une conversion du regard, un véritable signe, non plus de l’information à délivrer, mais du système intellectuel et économique qui l’a produite. Werner Cuvelier ne cherche évidemment pas à dresser un inventaire exhaustif de ces maisons, ni même une topographie de leur implantation. Lorsqu’il classera les diapositives, il bouleversera la transhumance du photographe et ordonnera les clichés par ordre alphabétique des enseignes. De l’Amigo au Witte Paard, les couleurs des néons offre un singulier lexique que Werner Cuvelier révèle par son propre système de pensée, compilant une énumération hétéroclite, une nomenclature où se croisent les langues (le français, le néerlandais, l’anglais), les truisme du genre (Le Pussy Cat, Le Favori, l’Eden, Le Love, le Milady), l’exotisme (le Bellinzona, Le Byblos, Le Capri, le Nefertiti, le Crocodile, le Hawaï), les stars (Le Berkley, le Lido, le Ritz, le 5th Avenue), les fleurs (Le Bacarra, Le Bloemfontein, Le Myosotis, Le Mimosa), les performants (L’Elite, L’Equipe, le Rally, El Toro, De Jager), les chalets (Chalet T’Witte Paard, Chalet Olympia, Chalet Stop) et quelques inattendus (De Toerist, L’Oiseau Rare, Le Clochemerle, L’Elcerlyc (42). A l’heure où la sémiologie et les analyses structurales du langage tiennent le haut du pavé, cette déclinaison alphabétique éclaire ces Résidences Secondaires d’une autre manière et nous confronte, en quelque sorte, à une singulière linguistique des bordels.
Werner Cuvelier portera toujours un grand intérêt à la linguistique et aux analyses du langage. Deux projets datés de la même époque en témoignent. En juillet 1974, il se propose d’aborder certains textes, qu’il s’agisse de prose ou de poésie, qu’ils soient littéraires, scientifiques ou philosophiques, en néerlandais, en français, en anglais, en espagnol, en allemand et d’en analyser le contenu, de distinguer les phrases principales et secondaires. Il compte réordonner les mots en catégories, verbes, substantifs, participes, réordonner les mots suivant leur longueur, réordonner les lettres. Pourquoi ne pas le faire avec L’œil et l’esprit de Maurice Marleau-Pont (y43), cet essai sur la vision, sur l’art et sur la science ? Ce pourrait –être le sujet du Statistic Project XI, à faire paraître aux éditions Cuvelier(44). Le Statistic Project XV (45) touche également au langage : dresser un aperçu historique des mots à la mode, décennie par décennie. Dynamique apparaîtra sans doute dans la liste après-guerre, existentialisme durant les années 60, intégration durant les années 70. Sonder le passé afin de mieux le comprendre, écrit-il en exergue des quelques lignes qui esquissent le projet.
Nous voici bien loin de l’architecture, point de départ de ce chapitre. Qu’on se rassure, nous y reviendrons. Le Statistic Project XVII, prévu pour l’été 1974 devrait nous révéler une route de l’architecture romane, de Soignies en Hainaut à Lérida en Espagne(46).
35 L’œuvre fera office de carton d’invitation. Werner Cuvelier nodigt u uit op zijn atelier Lievekaai, 6 Gent, 28.02.70 vanaf 14 u.
36 Anne Mie Devolder étudie l’architecture à Sint Lukas Gent durant les années 1970-1975. Elle étudie également la philosophie à l’Université de Gand (1971-73)
37 Renaat Braem, Het lelijkste land ter wereld. Davidsfonds, Leuven 1968.
38 Annexe auTekenboek I
39 Tekenboek I, p. 17
40 Tekenboek I p.21
41 Le Statistic Project XVI, Buitenverblijven, sera montré pour la première fois lors de Kunst als Film, dia-werken, films, video’s van belgische kunstenaars,Elsa von Honolulu Loringhoven galerie. 14-15-16 mars 1975. Jan Vercruysse a rassemblé pour l’occasion une exemplaire sélection de photographes et vidéastes belges : Dias : Peter Beyls, Jacques Charlier, 50/40, Werner Cuvelier, Yves De Smet, Luc Deleu, Paul Gees, Jacques Lennep, Danny Matthys, Jacques L. Nyst, Hugo Roelandt, Wout Vercammen. Films : Eduard Bal & Guy Schraenen, Jacques Charlier, 50/40, Leo Copers, Paul De Gobert, Luc Deleu, Yves De Smet, Filip Francis, Philippe Incolle, Guy Mees, Jacques Lizène, Jacques Louis Nyst, Bernard Queeckers, Rudi Rommens, Maurice Roquet, Fred Vandaele, Wout Vercammen.. Vidéo : Jacques Charlier, 50/40, Leo Copers, Erik Devolder & Carl Uytterhaegen, CAP Vidéo (Courtois – Evrad – Lennep – Lizène – Nyst), Danny Matthys, Guy Mees, Hubert Van Es, Jacques Louis Nyst, Marc Verstockt. La galerie Richard Foncke projettera également l’œuvre lors de la Amsterdam Arts Week, Nieuwe Kerk & Brakke Grond, en mars 83. A l’occasion de la foire 5 galeries belges sont invitées au Brakke Grond, dont la galerie Richard Foncke. Exposer les bordels gantois à Amsterdam dont le Red Districtest bien connu ne manque pas d’humour.
42 Ce dernier serait-il une francisation de Elckerlijc ? Ce serait drôle. Elckerlijc est une moralité écrite vers 1470 en néerlandais, et imprimée pour la première fois en 1495. Le titre complet est Den Spyeghel der Salicheyt van Elckerlijc – Hoe dat elckerlijc mensche wert ghedaecht Gode rekeninghe te doen(Le miroir du salut d’Elckerlijc – Comment chaque personne doit suivre les instructions divines)
43 A noter que Werner Cuvelier parle beaucoup de Merleau-Ponty avec Sylvio Senn, assistant du professeur Boehm à l’Université de Gand. A deux, ils ont pour projet de réunir une douzaine d’artistes afin de discuter de L’œil et L’Esprit, une rencontre qui sera décrétée œuvre d’art elle-même. Statistic Project X. Tekenboek I, p.13
Classer, ordonner, collectionner sont pour Werner Cuvelier des activités centrales, critiques et cruciales. Le réel est partout, même en vacances. En témoigne ce Statistic Project XII, intitulé Las Hortichuelas, du nom de cette bourgade espagnole où Werner Cuvelier réside durant l’été 1974. Situé au cœur du parc naturel du Cabo de Gata et à seulement deux kilomètres de la côte méditerranéenne, Las Hortichuelas appartient à la municipalité de Níjar, dans la province d’Almería, communauté autonome d’Andalousie. Non loin se situent les villages de Las Negras, Rodalquilar et Fernán Pérez. Et ceci n’est pas un détail topographique anodin. Las Negras fera, en effet, l’objet du Statistic Project XXXVI, Retrato de Las Negras, une analyse démographique et onosmatique de ce village de 138 âmes. Six carnets de dessins sont également consacrés à Las Negras. (1978-1982)
Pour ce douzième projet, Las Hortichuelas, il ne s’agira pas de collecter des données immatérielles mais des objets, des traces matérielles. Le projet est déambulatoire : Marcher de la mer à la maison, s’arrêter tous les cent pas afin de ramasser quelque chose à portée de main. Emballer ces objets dans des petits papiers numérotés. Les coller sur une grille, en marge d’une carte d’Europe, d’une carte d’Espagne, d’une carte locale et d’une photo du rambla où ces objets ont été trouvés. Respectant le protocole établi, Werner Cuvelier collecte donc, des cailloux, des brindilles, des fragments végétaux, un fossile de coquillage, des gravillons et de la terre, un fragment d’emballage de graines Carancha, un tesson et des fragments de carreaux de céramique. Prélève les-t-il à des fins d’analyses statistiques ou matérielles ? En fait, il cultive plutôt son jardin imaginaire, celui du souvenir d’un lieu parcouru. Ne sommes-nous pas à Las Hortichuelas, ce qui évoque l’horticulture, le jardin et potager ? La collection restera en l’état durant vingt ans. Werner Cuvelier finit par renoncer aux multiples cartes géographiques envisagées et décide, en 1994, de flanquer cette grille d’artefacts et objets naturels d’une seule image, celle de la route sinueuse qui descend vers la Méditerranée et qu’il a lui même empruntée, s’arrêtant tous les cent pas. Le format de l’œuvre est désormais canonique : deux carrés de 35 x 35 cm, soit un ensemble de 35 x 70 cm, référence au module de William Graatsma et Jan Slothouber.
Mon travail repose sur l’étude et l’interprétation d’œuvres patrimoniales. Je m’approprie des images ou des objets chargés d’histoire et m’exprime à travers leurs propres modes de construction et de production de sens. Par différents procédés de refabrication, je les revisite, les détourne et les subvertit pour les faire parler autrement dans de nouveaux contextes.
Pour cette installation, réalisée en collaboration avec Orto Botanico Studio[1]et conçue spécialement pour Art Au Centre 5, je me suis inspirée de l’ancienne tradition des vases de mariées. Ces vases en porcelaine blanche furent abondamment produits en France et en Belgique entre le milieu du 19èmeet le début du 20èmesiècle. Ils faisaient partie du rituel du mariage et étaient conservés, ornés des fleurs de la couronne ou du bouquet de la mariée, sous un globe de verre posé sur un socle en bois peint. Leur ornementation fait appel au registre de l’amour éternel, de la fécondité et de la prospérité tandis que leur forme de coquille ou d’éventail largement ouvert est un symbole de réceptivité aux influences célestes. L’organicité de ces vases que j’ai, ici, librement réinterprétés, témoigne de la pensée naturaliste du 19èmesiècle.
Cette idéologie a également nourriune édifiante littérature misogyne qui, à l’époque, participait au maintien des femmes artistes hors de la sphère publique et dont ce texte est exemplaire: « Les femmes sont encore rarement enclines aux activités intellectuelles (…). Parce qu’elles ont en général un agréable sens de la forme, des perceptions rapides, de la fantaisie et une imagination souvent vive, il n’est pas surprenant que le modelage de l’argile tente leurs jolis doigts. De même, leur nature incite les femmes à sculpter des motifs fantaisistes et sentimentaux plutôt que (…) des œuvres de pure imagination créatrice »[2].
En réaction et pour la chanson, j’ai donc adopté cette marche à suivre : « Du pain et des roses ! Du pain et des roses ! [3] » Et j’ai laissé mes mains se souvenir du meilleur et du pire pour sculpter des pains de terre et de mousse.
Sophie Langohr
[1]Amanda Petrella
[2]John Jackson Jarves, 1871.
[3]La chanson populaire Bread and Roses a été composée à l’occasion de grèves ouvrières aux USA en 1912, ce slogan féministe a été repris par la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence.
Sophie Langohr et Orto Botanico Studio – Pain / Roses – Art Au Centre 5, Rue de l’Université 29, Liège > 30 avril
Art au Centre est un projet de revitalisation des cellules vides du centre-ville de Liège par l’art. Il consiste à investir les vitrines des commerces vides pour y installer des œuvres d’artistes liégeois, belges et étrangers afin de dynamiser les quartiers en offrant au visiteur un parcours artistique à travers la ville.
Le projet s’appuie sur un recensement des vitrines vides du centre de Liège réalisé et mis quotidiennement à jour par notre asbl, qui se charge également de la sensibilisation des propriétaires et agences immobilières au projet.
Un comité de sélection composé de commissaires d’exposition, de galeristes et de critiques d’art a été constitué par l’asbl Mouvements Sans Titre, qui dirige la réalisation des vitrines. Peinture, sculpture, installation, œuvres participatives, performance, vidéo… Toutes les formes d’art actuel sont représentées.
Le travail initié chez Plus Kern constitue la deuxième version du projet. Werner Cuvelier envisage une troisième version à l’échelle européenne, en traduisant le questionnaire en diverses langues, en français, anglais, suédois, danois, finnois, italien, etc. Il s’agira d’interroger six personnes, trois femmes et trois hommes par pays. Initiée, cette version ne sera pas finalisée. Enfin, puisque le Rapport Meadows provient du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology), il conçoit une version américaine, qu’il mènera avec l’Université de Kansas City grâce à la collaboration du sculpteur Bill Baglay. Trente personnes participeront au panel. Cette fois, Werner Cuvelier abandonne le système binaire et permet aux personnes interrogées de rester sans opinion.
Jacqueline Mesmaeker participe à l’exposition De la Collection, Why are you Angry au SMAK à Gent. Du 13 février au 30 mai 2021.
Why Are You Angry?’ rassemble une sélection des acquisitions les plus récentes du S.M.A.K. Le titre prend la forme d’une question ouverte à laquelle les visiteurs sont encouragés à répondre pour eux-mêmes. Il peut aussi se lire comme une invitation à interroger la crise sociale mondiale actuelle du point de vue des émotions. Le questionnement – que ce soit des artistes, des œuvres d’art, du musée ou des autres visiteurs – est au cœur de l’exposition. Les œuvres d’art servent de fil conducteur dans la quête de réponses, l’espoir étant qu’elles agissent comme catalyseur de tout un éventail de pensées et de sentiments, du regret au plaisir et de l’aversion à l’émerveillement.
L’exposition comprend des œuvres de Sine Van Menxel, Jacqueline Mesmaeker, Sofia Hultén, Rosalind Nashashibi et Lucy Skaer. Elle doit son titre à un film collaboratif éponyme du duo d’artistes britanniques Nashashibi/Skaer, lequel figure à la fin l’exposition. Dans leur travail, les deux artistes se sont inspirées du tableau ‘No te aha oe riri’ de l’artiste français Paul Gauguin (1848–1903), dont le titre peut se traduire par ‘Why Are You Angry?’ (Pourquoi êtes-vous en colère?). Gauguin a peint l’œuvre à Tahiti et le film revisite le séjour historique du peintre sur l’île. La vision des Tahitiennes d’aujourd’hui présentée par Nashashibi/Skaer remet en question les notions d’exotisme, de colonialisme et de vie quotidienne, tandis que le titre de leur film encourage les spectateurs à poser leurs propres questions tout en cherchant une forme de narration.
Avec son installation vidéo ‘Enkel Zicht Naar Zee, Naar West’ (Vue unique sur la mer, en direction de l’ouest) (1978), l’artiste belge Jacqueline Mesmaeker révèle des fragments de ses souvenirs personnels et invite les spectateurs à pénétrer dans un nouveau monde où ils s’immergent dans une sensation de liberté totale. L’artiste suédoise Sofia Hultén présente un ensemble d’œuvres poussant à la réflexion, depuis la vidéo ‘Fuck It Up and Start Again’ (2001) jusqu’à des pièces sculpturales comme ‘With Added Dimensions’ (2010), ‘Nu Cave’ (2011), ‘Gatefold 10’ (2012) et ‘Particle Boredom II’ (2017). Hultén transforme des objets ordinaires en formes nouvelles par le biais de gestes subtils. Dans cette exposition, par exemple, les matériaux semblent avoir été récupérés dans des brocantes urbaines. Son approche est humoristique et sérieuse à la fois. Sine Van Menxel est présente avec une série de photographies récentes intitulée ‘speekselsporen, tongstreken’ (traces de salive, coups de langue) (2020). L’artiste a léché les photographies avec la langue afin de laisser des traces de sa salive sur les tirages. Ces marques inattendues ajoutent une dimension supplémentaire aux paisibles images de la nature. Van Menxel aime les expérimentations photographiques et ses interventions à la surface des photos ressemblent à des coups de pinceau.
Philippe Van Cauteren est le commissaire de l’exposition ‘Why Are You Angry?’, dont les textes explicatifs et outils interprétatifs ont été élaborés par des étudiants du cours de Curatorial Studies, la formation de troisième cycle proposée à la KASK ou School of Arts de Gand, en collaboration avec l’Université de Gand et le S.M.A.K. Margot Bossy, Sofie Frederix, Yimeng Wang et Julie Wyckaert ont mené à bien ce projet en tant que travail pratique dans le cadre du module Audiences and Learning, qui apprend aux futurs conservateurs et commissaires d’expositions à penser et à travailler en fonction du public.