Contours réalisés à l’aide d’ustensiles divers (des jouets, des instruments trouvés, des outils de cuisine) dessinés tels quels ou en combinatoires, renvoyant aux images élémentaires des livres à colorier. Les tracés ne se discernent que difficilement ; ils sont à chercher comme des oeufs de Pâques.
Les Glacières de Saint-Gilles, Bruxelles, 1995
A Sentimental Journey, Atelier Ste Anne, Bruxelles, 1996. Commissaire Johan Muyle
EAST international, Norwich School of Art and Design – University of East Anglia: Sainsbury Center of Visual Arts, Norwich, 1996. Sélectionneurs Roger Ackling et Richard Long
(… ) Toutefois, trois interventions réalisées au milieu des, années 1990 attestent d’une nouvelle orientation du, dessin, interventions que l’on peut regrouper sous, le titre générique de Contours clandestins. Que ce soit en 1995, à La Glacière (Bruxelles) pour l’exposition éponyme, ou en 1996, tant à la Norwich Gallery (Norwich) pour l’exposition EASTinternational qu’à l’Atelier Saint-Anne (Bruxelles) pour A sentimental Journey, le dessin quitte dans ces trois lieux une vocation monumentale pour adopter une tout autre dimension et fonction. On assiste à un changement d’échelle : ce ne sont plus des tracés réalisés au fil qui épousent les dimensions des lieux, mais une multitude de marques, généralement de petite dimension, disséminées dans l’espace d’exposition ; ainsi, pour l’exposition éponyme, il s’agissait de quelques 500 marques réparties sur les différents murs du lieu, constituant un univers en soi. On assiste également à un changement de vocabulaire : à la ligne droite dessinant les contours d’éléments architectoniques se substituent des tracés, pour ainsi dire naïfs, dessinant les contours d’objets et d’animaux (éléphants, boeufs, chiens, poissons, etc.) ouvrant sur un univers mirifique.
Les termes « contours » et « clandestins » employés pour qualifier ces interventions ont leur pertinence. Il s’agit bien de contours, où le dessin consiste à sentir le lieu, par exemple, à relever par la main les accidents de surface qui ponctuent le mur et, partant de cette information ténue (de l’ordre du ressenti plus que du pensé, ou du conceptualisé), d’en réaliser une configuration graphique, littéralement d’en faire une figure, en lui donnant une apparence sensible. À l’instar de Tracés, c’est la main qui suit, qui opère quasi aveuglément, épouse et interroge le lieu, afin que cette rencontre produise de multiples impulsions qui se trouvent converties en de multiples figures. À l’instar des interventions dites monumentales, c’est toujours la relation de l’artiste au lieu qui fait oeuvre d’art. Mais le changement d’approche du lieu, de son mode de ressenti, conduit à un changement graphique qui se révèle déterminant. Jacqueline Mesmaeker ne travaille plus sur les lignes essentielles du lieu, sur sa forme globale, mais bien sur les informations périphériques, ou parergonales, qui le particularisent, lui donnent son épaisseur physique, phénoménologique, historique. Mais il s’agit bien également d’une forme de clandestinité qui prend corps dans ces différentes interventions, si l’on entend par ce terme ce qui opère secrètement et se soustrait à la loi du visible. Une double clandestinité agit en effet ici. Premièrement, rendus visibles par la main, ils sont en retour rendus à une invisibilité partielle du fait de leur plongée dans la pénombre des lieux. Jouant de cette pénombre ou aidé d’une lampe torche, le spectateur est appelé à révéler ces contours afin de les extraire une nouvelle fois de leur clandestinité initiale. Deuxièmement, la démonumentalisation de l’oeuvre qui agit ici engage à cette dissémination de signes dans l’espace d’exposition, une dissémination dont l’articulation reste pour nous secrète. Tout droit sorti de bestiaires médiévaux, sortes de culs de lampes extraits des premières éditions anglaises d’ Alice’s Adventures in Wonderland, comme l’artiste aime à le rappeler, ces signes font mine qu’une narration puisse se constituer. Ils agissent comme des points d’impulsion – à l’instar de cette main qui, parcourant la surface des murs, produisait les impulsions nécessaires à la réalisation de ces figures – ou des amorces d’une histoire qui se retient, dont on entend de manière éparse le murmure sans que, passant de signes en signes, un sens unique, ou une narration, ne parvienne à se constituer. C’est que ces signes sont également le résultat d’un travail de réminiscence effectué par l’artiste à partir d’histoires d’enfants, à l’instar de l’histoire d’Alice, figure par excellence du récit d’enfant basé entre autres sur la métamorphose des signes. Le spectateur est plongé dans un unique espace où vibrent et fourmillent ces signes graphiques, espace dont Jacqueline Mesmaeker aurait soustrait de notre vue le fil, les articulations, ce qui permet de constituer l’histoire, la narration.
Les interventions que l’on peut regrouper sous la dénomination de Contours clandestins ont quelque chose également de déterminant, comme nous l’avons écrit, dans la production de l’artiste. L’emploi de crayons de couleurs différentes sur le mur (généralement bleu, rouge ou noir) atteste d’une volonté de travailler avec un minimum de moyens. Ce changement s’opère suite à la réalisation en 1989 pour une église à Maastricht d’une oeuvre monumentale intitulée Stèle 29*29*165. Dans la lettre à Lynda Morris, elle écrit : « Et c’est depuis l’été 1995 que je réalisai des interventions ne nécessitant que peu de moyens, non encombrantes, non perturbantes en apparence. Tiraillement entre austérité et dérision. Des choses à découvrir ou à ne pas voir : les détails qui peuvent passer inaperçus. Ainsi le plaisir de chercher de minuscules organismes dans un espace immense. Easter eggs. Ainsi donc, à la suite de votre lettre je décidai de partir à Norwich avec un bagage minimum : contenant simplement quelques crayons noirs, rouges et bleus, un paquet de textes imprimés (“Zone à, préposition à”) en rouge et noir, des post-it de toutes les couleurs et deux cassettes vidéos. Je n’avais aucune idée précise de l’agencement de tous ces éléments ».
Outre que l’artiste souligne le jeu entre visibilité et invisibilité caractérisant ces interventions in situ – qu’elle dénomme judicieusement par l’expression Easter eggs, désignant également une information masquée et dormante, laissée en état de latence –, Jacqueline Mesmaeker indique bien cette nécessité, survenue à la suite de Stèle, d’opérer une réduction de ses moyens. Ce désir d’une économie restreinte ne conduira pourtant pas, comme on l’a vu et comme on le verra, à une réduction de son langage. Mais il permet d’expliquer, certes en partie, pourquoi Jacqueline Mesmaeker put se tourner vers la réalisation de livres mais également vers l’intervention dans des livres existants ; ce dernier travail apparaissant comme une extension et un déplacement logique des Contours Clandestins.(…)
Raphael Pirenne, dans « Jacqueline Mesmaeker, Oeuvres 1975-2011, aux Editions (SIC) & couper ou pas couper, sous la direction de Olivier Mignon.
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