TO BE IN THE KNOW OR NOT, IAN WILSON, 1976
« C’est à partir de la fin des années 1960 à New York au contact d’artistes qualifiés de conceptuels comme Joseph Kosuth, Robert Barry ou Lawrence Weiner avec lesquels il eut de nombreux échanges, que Ian Wilson initie un travail essentiellement basé sur l’utilisation du langage. En 1968, une de ses premières pièces consiste à prendre le mot « temps », pendant toute la durée de l’année en cours, comme «objet» de recherche. Ainsi, allant à un vernissage dans une galerie, si quelqu’un lui demandait ce qu’il faisait en ce moment, il répondait qu’il était intéressé par le mot temps ou encore, si on l’interrogeait sur le fait de savoir comment le temps pouvait être le sujet de ses créations, il avançait « en tant qu’il est parlé, “temps” ». 1 « Pour Ian Wilson, explique Ghislain Mollet-Viéville, l’art conceptuel prend les principes de l’abstraction visuelle pour les appliquer au langage qui lui semble le moyen d’expression le plus informel. Sa volonté de décrire des concepts sans référence physique ou visuelle l’amène à avoir pour point de départ le connu et l’inconnu ». Ainsi peut-on lire, par exemple, dans la « Section 22 », 9 feuilles tapuscrites, datées de 1978 : « The unknown is known as unknown. That character of it that is known as unknown is known ». (Collection Ghislain Mollet-Viéville). Sur le carton d’invitation de la Discussion que Ian Wilson tient au Van Abbemuseum d’Eindhoven, le 3 juin 1983, est imprimé cette proposition ô combien sibylline : « that which is both known and unknown is what is known that which is both known and unknown is not known as both known and unknown whatever is known is just known ». 2 Vous me suivez ?
« Ian Wilson souligne qu’il n’est pas un poète et qu’il « considère la communication orale comme une sculpture ». L’artiste l’affirme plus clairement encore dans les discussions avec des interlocuteurs divers qu’il organise en les préparant à partir de 1972. Aucun enregistrement ni aucune prise de notes ne sont autorisés au cours de ces échanges qui se déroulent en un temps limité (généralement une heure) et avec une assistance restreinte (le nombre de places disponibles pour prendre part à l’œuvre est lui aussi fixé). Un certificat signé par l’artiste atteste que la pièce a bien été réalisée. L’absolu, sa définition et sa quête, sont bien souvent au cœur des échanges. En réduisant l’art à sa dimension verbale – « tout art est information et communication », avance I. Wilson qui confirme avoir « choisi de parler plutôt que de sculpter » – l’artiste évite l’assimilation de la création à la fabrication d’un objet, ouvrant alors la voie à ce qui, en 1968, a été qualifié par Lucy R. Lippard et John Chandler de dématérialisation de l’œuvre, phénomène marquant l’art de l’époque »3. « Le concept mis en place par Ian Wilson, continue Ghislain Mollet-Viéville, se veut séparé de la connaissance du monde extérieur pour mieux se concentrer sur lui-même. Ce qui lui parait important à travers ses discussions c’est la prise de conscience que l’on est et que cette connaissance sans dimension ni forme, aille au delà de l’espace et du temps pour traiter non pas de l’idée en tant que tel mais du degré d’abstraction de cette idée ». 4
Les « Discussions » que l’artiste new-yorkais tient dans les musées, les galeries ou chez les particuliers sont évidemment du pain béni pour Jacques Charlier, qui croque dès lors Ian Wilson en 1976. Et l’on remarquera le parallèle qui existe entre les Photos – Sketches et cette série de dessins consacrés à l’artiste new-yorkais. Une suite en six planches, comme un « Dessins – Sketch », qui, d’abord, contextualise la « Discussion » à venir (la carafe, le verre d’eau du conférencier). Ian Wilson, ensuite, se concentre, se mesure et, Socrate des Temps Conceptuels, plonge dans sa propre pensée. Le verbe enfin surgit, « The Know » en premier, « The Unknow » pour suivre, enfin la « Discussion », comme une logorrhée. Jusqu’au moment où l’un des spectateurs invisibles intervient et demande à l’artiste : « Why do you look right and left before you cross a street ? ». Moment d’affolement et d’interrogation dans le regard de Wilson qui finit par répondre : « Yes ! That’s really a good question ! ». Le voilà qui redescend des cimes absolues, avant de traverser la rue.
A nouveau, il y a bien des choses derrière le stéréotype qui déclenche le rire, ce sens commun entre rire et sérieux, le sérieux de Wilson et le rire de Charlier. L’humour justement associe toujours le sérieux au comique. Et l’art de Wilson est le principe même d’une démarche très sérieure, pas même Charlier n’en doute. Mais celui-ci sait que rire de se prendre au sérieux, c’est prendre au sérieux ce rire démystificateur.
1 Ian Wilson, cycle Rolywholyover, septième et dernier épisode, Mamco, Genève, 2009
2 Oscar van den Boogaard, Interview Ian Wilson, Jan Mot Gallery Newspaper 32, May-June 2002
3 Mamco, Cycle Rolywholyover, ibidem.
4 Ghislain Mollet-Viéville, ma collection au Mamco, Ian Wilson, Section 22, sur son site internet.
Jacques Charlier
To be in the know or not, Ian Wilson, 1976
Encre sur papier, 6 planches x 29,7 x 21 cm
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