A propos de Perdu à Pepinster, un texte d’introduction d’ Anne-Françoise Lesuisse :
L’exposition proposée par Charlotte Lagro (NL, 1989) est fondée sur la mise en commun d’expériences et l’exploration partagée d’une problématique ou d’une question. Lagro a travaillé d’une part avec avec le Laboratoire des émotions et du cerveau, dirigé par Béatrice de Gelder, du Département de Psychologie et Neuroscience de l’Université de Maastricht et d’autre part avec le collectif parisien G’old Time Solutions (Mathilde Ganancia et Baptiste Pays).
Le laboratoire scientifique développe une série d’expérimentations sur la perception et l’expression des émotions, notamment la peur, au travers des expressions du corps et du visage. En résidence dans cet environnement scientifique pendant plusieurs mois, Charlotte Lagro a invité les chercheurs à s’immerger avec elle dans une situation qui matérialiserait leurs objets de recherche. Le groupe a ainsi passé un week-end dans la région de Pepinster, à la frontière des Ardennes, plus exactement dans les vestiges du Château de Mazures. De longues balades nocturnes dans la forêt les ont mis en contact avec la faune sauvage et ont été aussi l’occasion de discussion, d’observation et de confrontations réelles lors desquelles l’imaginaire des scientifiques étaient mobilisé, eux qui sont habituellement plutôt à la place d’observateurs, dans un environnement neutralisé. L’équipe du laboratoire s’est spécialisée dans l’étude des expériences de « sortie de corps », d’hallucinations ou de capacité à se sentir, à se percevoir dans un autre corps comme dans le sien. Dans l’aventure de Pepinster, qui fut filmée de bout en bout et qui constitue la matière de l’installation en quatre vidéos qui encerclent le spectateur, Charlotte Lagro a mis aussi l’accent sur la liaison entre les hommes et les animaux, ces derniers pouvant réagir « humainement », les premiers pouvant tout autant retrouver une nature animale dans certaines circonstances. L’ensemble de l’expérience et les vidéos qui en résultent (à la fois documentaires mais travaillées aussi par la fiction et l’abstraction rendues possibles par les imprévus des circonstances) traitent de ces moments de passage où, grâce à l’émotion forte, les limites de l’humanité (mentales et corporelles) se dématérialisent pour donner naissance à d’autres états, plus indécis, plus aigus, plus mystérieux.
En amont du week-end, dans le cours de l’élaboration du projet, Charlotte Lagro a interrogé le G’old Time Solutions pour obtenir de lui des conseils et des solutions afin de mener à bien le week-end et ses objectifs. G’old Time Solutions est une association artistique qui rassemble, à travers un bureau installé dans une maison de retraite de Montreuil, un comité de personnes âgées à qui sont soumises toute une série de questions et de problèmes que les gens encore actifs, souvent pressés et encombrés de contraintes au quotidien, sans plus de temps de réflexion sur leur vie, leur posent. L’expérience acquise de ces aînés est donc transformée, non pas en mémoire inerte et inutile, en traces du passé à conserver pour elles-mêmes, mais en conseils pratiques et en solutions concrètes pour le présent et le futur. L’espace de l’exposition accueillera aussi un espace dédié à G’old Time Solutions, avec des interfaces permettant de rentrer en contact avec ce comité des sages d’un nouveau type.
Le travail de Charlotte Lagro fonctionne comme un mise en réseau toujours en mouvement, toujours en développement, où des dimensions sont ajoutées les unes aux autres, créant des tunnels entre des espaces, des temps et des contextes différents. En cela, sa méthode emprunte à la science, dans une grande liberté, pour étudier les effets, réels d’abord et artistiques dans un second temps, de paramètres peu orthodoxes, scientifiquement parlant, mais qui participent d’une curiosité avide pour le vivant et d’une volonté de donner visage humain et visisbilité à des principes abstraits ou à des hypothèses.
The exhibition proposed by Charlotte Lagro (NL, 1989) is founded on the pooling of experiences and the shared exploration of a problem or a question. Lagro worked on the one hand with the Brain and Emotion Lab led by Beatrice de Gelder, of the department of Psychology and Neuroscience at Maastricht University, and on the other with the Paris collective, G’old Time Solutions (Mathilde Ganancia and Baptiste Pays). The science laboratory develops a series of experiments on thevperception and the expression of emotions, fear in particular, through the expressions of the body and the face. In residence in this scientific environment for several months, Charlotte Lagro invited researchers to immerse themselves, along with herself, in a situation giving tangible form to their research subjects. Thebgroup thus spent a weekend in the region of Pepinster, bordering the Ardennes, and more specifically in the vestiges of the Château de Mazures. Long nocturnal walks brought them into contact with the wild fauna; they were also the opportunity for discussions, observations and real confrontations in which the imagination of the scientists was enlisted, people who are habitually in the positionvof observers, in a neutralised environment. In the adventure of Pepinster, which was filmed from beginning to end, and which constitutes the subject matter of the installation in four videos which encircle the viewer, Charlotte Lagro also highlights the link between human beings and animals, the latter being able to react ‘humanly,’ the former similarly being able to rediscover an animal nature in certain circumstances. The ensemble of the experiment and videos which emerge from it (both documentary in nature but also worked on by fiction and the abstraction made possible by the unforeseen events of circumstances), focus on these fleeting moments when, thanks to intense emotions, the limits of humanity (mental and corporal) dematerialise to give rise to other states, more indistinct, more acute, more mysterious. Prior to the weekend, whilst she was developing the project, Charlotte Lagro asked questions of G’old Time Solutions to obtain from them advice and solutions to see through the weekend and its objectives successfully. G’old Time Solutions is an arts association which brings together, through an office installed in a Montreuil retirement home, a committee of aged people to whom are submitted a whole series of questions and problems by people who are still active, often in a hurry and encumbered with the constraints of everyday life, and without the time to think through their lives.
The work of Charlotte Lagro functions like the setting up of a network which is always shifting, always developing, where dimensions are added one to the other, creating tunnels between different spaces, times and contexts. Her method pertains to an avid curiosity for the living and the wish to give a human face and visibility to abstract principles or to hypotheses.
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