Jacques Lizène, Arco 2015 Madrid, preview

Jacques Lizène

Jacques Lizène
Sculpture nulle 1980, art syncrétique 1964, l’interrogation génétique 1971, mettre n’importe quel objet sur la tête 1994. En remake 2011, sculpture africaine, fougère artificielle, photocopie, acrylique, 180 x 30 x 30 cm

On sait, à propos de Jacques Lizène, combien les premières années de création ont été fécondes. Certes, le terme semble inapproprié puisque le petit Maître décide dès 1965 de ne pas procréer, position qu’il confirme en 1970 par sa «Vasectomie (sculpture interne)», l’une des fondation même de tout son Art d’Attitude, mais il en est ainsi : en une douzaine d’années, Lizène conçoit un impressionnant corpus d’idées qu’il ne cessera de décliner en remakes et remakes de remakes. Même les années passées à l’Académie de Liège furent inventives et fertiles, plus imaginatives sans doute dans les couloirs que dans l’atelier, mais qu’importe dès le moment où l’on a délibérément choisi la voie de la Médiocrité et de l’Art sans Talent. Jacques Lizène a longuement fréquenté les plâtres d’antiques qui hantent les couloirs de l’Académie ; bon nombre sont moulés en deux parties. C’est là le principe même de l’Art syncrétique, qu’il conçoit en 1964 : «croiser toute sorte de choses, des animaux, des visages, des architectures, des arbres, des voitures, des chaises, des sculptures». Ou encore : «découper et mélanger deux styles».
On se souvient que Man Ray, en 1924, photographie une statuette africaine face à une statuette grecque ; il destine cette composition à la revue Dada et la titre «Black and White». Deux ans plus tard, il commet la série «Noire et Blanche», célèbre rapprochement entre le visage de Kiki de Montparnasse et un masque africain. En 1964, Jacques Lizène trace de minables petits dessins, les considérant parfois comme projets de sculptures, et dessine des croisements de statues antiques et africaines. En 1971, alors qu’il développe son propos sur l’Interrogation Génétique et les acides de base (A.G.C.T) il métisse Kiki et son masque, hommage à Man Ray (d’) après Man Ray, «Post Art», dira-t-il plus tard. Depuis, il ne cesse de pratiquer l’accouplement, mais il altère, outrage, transgresse, se réjouit de la disharmonie et s’enthousiasme même, à l’occasion, de rendre celle-ci non perçue. Il syncrétise le haut d’une sculpture hindoue adoptant la triple flexion végétale et les jambes d’une statue africaine, croise un sapin et un palmier, hybride un chameau et un bovidé, des poissons, entrecroise des maisons, des fenêtres, des meubles, des vases, des avions ou des automobiles, il génétise des visages qui se transforment en masques et renoue ainsi avec le grotesque, l’anormalité, ce que l’histoire de l’art positiviste a d’ailleurs longtemps refoulé. L’art syncrétique l’amène très vite à l’interrogation génétique, à la sculpture génétique. Le sexe, la mort, la génétique hantent l’œuvre lizénienne depuis ses débuts.

Whatever we may know of Jacques Lizène, we know how fruitful his first creative years have been. Admittedly, the term seems inappropriate, since the small-time Master decided in 1965 never to procreate, a position he confirmed in 1970 with his «Vasectomie (sculpture interne)» (Vasectomy (internal sculpture)), one of the most fundamental works in his oeuvre of Art with Attitude, but the fact of the matter is that Lizène, in a dozen years, will develop an impressive body of ideas which he will continue to expound through remakes and remakes of remakes. Even the years at the Liege Academy were fertile and inventive, probably more imaginative in the hallways than in the studio, which is of no importance as soon as one deliberately chooses the path of Mediocrity and Art without Talent. Jacques Lizène for a long time visited the plaster casts of antiquity that haunt the halls of the Academy, a large number of which are moulded in two parts. This is the very principle that underlies his Syncretic Art, conceived in 1964: «to cross all sorts of things, animals, faces, architecture, trees, cars, chairs, sculptures.» Or even: «to cut and mix two styles.»
We may remember how Man Ray, in 1924, photographed an African statuette facing a Greek figure; he submits the composition to the Dada periodical and titles it «Black and White.» Two years later, he creates the series « Black and White », famously bringing together the face of Kiki de Montparnasse and an African mask. In 1964, Jacques Lizène makes pathetic little drawings, sometimes treating them as designs for sculptures, tracing crosses between statues from Antiquity and African sculptures. In 1971, at the time when he develops his treatise on Genetic Interrogation and basic acids (A.G.C.T) he hybridizes Kiki and the mask, as a tribute to Man Ray after Man Ray, which he will later refer to as «Post Art». Since then, he will continue to practice mating, incessantly, but he alters, offends, transgresses, welcomes the disharmony and even takes delight, on occasion, in rendering it imperceptible. He syncretizes the top of a Hindu sculpture using the triple vegetal flexion and the legs of an African statue, crosses a pine tree and a palm tree, hybridizes a camel and a bovine animal, fish, crossbreeds houses, windows, furniture, vases, airplanes or automobiles, he geneticises faces that turn into masks and in this way connects with the grotesque, with abnormality, which incidentally has long been repressed by positivist art history. Syncretic Art will quickly lead him to the genetic interrogation, to the genetic sculpture. Sex, death, genetics have haunted the Lizènean oeuvre since its inception.

Jacques Lizène

Jacques Lizène
Sculpture génétique, 1971 en remake 2015, technique mixte, 120 x 73 cm

Jacques Lizène

Jacques Lizène
Meuble découpé 1964, naufrage de regard, art syncrétique 1964, sculpture génétique culturelle 1974, statue fétiche d’art africain croisé statuette de style précolombien, en remake 2011

Lizène découpe les meubles. Joyeusement, le mobilier sombre et vacille. Le désastre est jubilatoire. Commodes et buffets s’hybrident de la même façon, dans l’inachèvement d’une submersion, d’un engloutissement ; c’est un continuel Naufrage de regard (2003). Petit maître (1969) d’Art nul (1966), il déséquilibre le mobilier, pose sur les meubles des natures mortes dites à la maladresse (1974), les accompagne de marines chavirées (1970) et craquelées (1964), leur prescrit des décors néo déco (1987), couvre les miroirs de nouvelles abstractions nulles (1987), de motifs de style néo floral (1991), de masques syncrétiques (1964). En un saisissant système autarcique, Lizène croise les projets, les propositions, les idées nulles, tous et toutes toujours bien assignés à la date de l’idée, en des dispositifs débridés.
«Le principe du bricolage, note l’ethnologue Bertrand Hell, est ontologiquement liée à la fonction du maître du désordre. Mais ce principe ne gouverne pas uniquement la forme et l’enchaînement des rites. Il conduit à également maintenir ouvert le système de représentations de l’invisible. Celui-ci ne peut être pensé comme un monde figé, immuable ». Et Bertrand Hell ajoute : «Dans leur art du bricolage, les maîtres du désordre savent manier plusieurs ficelles. Il en est une qui détonne tout particulièrement au regard de notre conception occidentale du religieux, à savoir le rire». Le rire lizénien qui s’esquisse en ses «Tentatives de Sourire» (1973) est le redoutable moteur de son œuvre.
Ses archéologies contemporaines, traces de maisons démolies et autres buildings gondolants (1964-66), son intérêt pour la fissure et la lézarde (1964) qui donnera lieu au morcellement de cimaise (1970) en témoignent tout autant que la submersion de ses meubles découpés : Jacques Lizène réactive le Ruinisme mais il en brinquebale les concepts établis. Je repense à ces lignes écrites par Sophie Lacroix sur la fonction critique des ruines : «La ruine est alors ce grand corps qui a perdu son principe fondateur, et qui n’est plus qu’une multitude de liaisons passagères, contingentes. La ruine n’est pas le résidu laissé par une action qui a déjà eu lieu, elle est la présentation d’une action présente, car ce qui la distingue, c’est la conjonction d’un mouvement de déconstruction et l’énergie qui est à l’œuvre dans cette déconstruction, qui exclut que nous puissions penser cette tendance déconstructive comme une abstraction ou une déréalisation». Il y a dans le chaos lizénien, une imprédictibilité aussi surprenante que stimulante. (jean-Michel Botquin)

Lizène cuts up furniture. Happily, the furniture collapses and wobbles. The disaster is exhilarating. Dressers and buffets are hybridized in the very same way, in the incompleteness of a submersion, an engulfment; it is an everlasting Shipwreck of glances (2003). The small-time Master (Petit maître) (1969) of Worthless Art (Art nul) (1966), discomposes furnishings, places still lifes dedicated to clumsiness on the furniture (1974), matches them with cracked (1964) and overturned marines (1970), places them in neo-Deco settings (1987), covers the mirrors with new worthless abstractions (1987), with neo-floral style patterns (1991), and syncretic masks (1964). Operating within a startlingly self-referential system, Lizène turns projects, proposals, and worthless ideas – each and every single one always clearly connected to its date of conception – into unbridled devices. « The principle of tinkering, remarks anthropologist Bertrand Hell, is ontologically related to the function of the master of disorder. But this principle does not only govern the form and sequence of rites. It also serves to keep open the system of the representation of the invisible. This can be thought of as a frozen, immutable, world. » And Bertrand Hell adds: « In their makeshift art, the masters of disorder know how to pull several strings. There is one that particularly stands out with regard to our Western concept of religion, and that is humour « 1. The Lizènean humour as it takes shape in his «Tentatives de Sourire » (Attempts at Smiling) (1973) is the formidable engine of his oeuvre.
His «archéologies contemporaines» (contemporary archeologies) (1966), «traces de maisons démolies» (traces of demolished houses) and other «buildings gondolants » (warped buildings) (1964-66), his interest in the crack and the fissure (1964) which will lead to the «morcellement de cimaise» (fragmentation of the picture rail) (1970) make it very clear, as does his submersion of cut-up furniture: Jacques Lizène resuscitates Ruinism but jumbles its established concepts. This reminds me of what Sophie Lacroix has written on the critical function of ruins: «The ruin, then, is that great body which has lost its founding principle, and which has become nothing more than a multitude of fleeting, accidental connections. The ruin is not a residue left by an action that has already taken place; it is the representation of an actual action, because what distinguishes it is the conjunction of a deconstructive action and the energy at work in this very deconstruction, which prevents us from seeing this deconstructive tendency as an abstraction or derealisation.» There exists in the Lizènean chaos an unpredictability that is as surprising as it is stimulating. (Jean-Michel Botquin)

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