Rachel Laurent
Manège, 2014
Vidéo HD, son, couleurs, 00:15:00
Tel un zootrope, le manège de la Cinémathèque de Bercy tourne et tourne encore. Carrousel à l’ancienne, les enfants y chevauchent des lapins, des vaches qui tirent la langue, des cochons bien roses, un éléphanteau et même quelques chevaux de bois. Il y a un carrosse pour les princesses et une barque – Le Picardie – pour les gamins au pied marin. On y vit aussi, il y a quelques temps, quelques artistes, musiciens et comédiens qui sont, on le sait, tous de grands enfants, chevauchant les pensionnaires des cette ménagerie mécanique. Blanckart, Lizène, Beaulieu, Dolla, Mayaux ont choisi le lapin aux grandes oreilles. Belliard, Labaume, Jambet, Groh, Labelle-Rojoux ont décidé d’enfourcher un cochon rose. Quant à la vache, elle a eu les faveurs des Boussiron, Lucariello, Verna et Scarpetta. Singulière, Boudier a décidé de faire cavalière seule, se cramponnant au cou de Bambi. Certes, les Mayaux, ont profité du carrosse pour se becotter, mais ça ne compte pas, c’était durant leur pause.
C’est Rachel Laurent, en grande ordonnatrice, qui leur a offert, à tous, un tour de carrousel. Plasticienne, photographe et cinéaste, L’artiste a en effet décidé de faire de ce carrousel un moulin à paroles. Elle s’est dès lors tout naturellement tournée vers ses amis de l’Ecole de Malaucène, ce magnifique trou perdu au pied du mont Ventoux, où telle George Sand à Nohant – et en compagnie de l’écrivain Guy Scarpetta – , Rachel Laurent reçoit durant l’été. Appartenir à l’ « Ecole de Malaucène » suppose, primo, d’être artiste, avec l’irrévérence, voire l’insolence qui sied à l’emploi, secundo, d’être un convive de bonne compagnie et, tertio, de tenir l’alcool. On y tient aussi, faut-il ajouter, des réunions, des expositions ; on y déjeune sous les arbres du jardin, on disserte, on vernit, on projette des films, on écoute des écrivains partager leur prose, tout cela sur des thèmes aussi essentiels et existentiels que La Cuite, Le Postérieur ou Les Putes. Certains y soliloquent même, mais ça, c’est au petit matin.
A chacun de ses complices, Rachel Laurent a confié quelques textes et citations. En fait, au fil de ses lectures, elle les collectionne, les prélève, les décontextualise, les ordonne, et surtout désordonne un corpus en continuelle expansion. A chacun des artistes, Rachel Laurent a demandé d’interpréter, tout en chevauchant l’une des montures du manège, ces phrases trouvées, presque des ready made. Bel exercice de style pour ceux-ci. Voici, précise Rachel Laurent « le très joli manège de la cinémathèque de Bercy pris d’assaut par une quinzaine d’adultes totalement irresponsables, mais cependant très lettrés ». Chacun, à son tour, s’est prêté au jeu, investissant ces textes fragmentaires, ces énoncés d’une extrême brièveté, avec talent, drôlerie, expression, malice, connivence, insolence, composant ainsi un gai savoir aux antipodes de tout corpus académique. Comme dans un jeu sans cesse relancé, en fait à chaque tour de moulin, ces fragments de textes s’entrechoquent, se télescopent, provoquent des rencontres insolites, incongrues, d’autant plus inattendues qu’elles proviennent des sources les plus diverses. N’est-ce pas Pascal Quingard qui souligne la fascination extrême et presque automate que l’apparence fragmentaire exerce sur lui ? Il en va de même ici où ces fragments du discours s’enchaînent et finissent par composer un seul texte, une conjoncture, une unité discursive autonome où s’enchaînent des citations empruntées à Angelliaume, Louis Aragon, Antonin Artaud, Thérèse d’Avila, Barbara, Charles Baudelaire, Samuel Beckett, Stéphane Bérard, Thomas Bernhard, Bonaparte, Jacques Brel, Charles Bukowski, Blaise Cendrars, Jacques Chirac, Christophe, Pierre Dac, Salvador Dali, Guy Debord, Descartes, Noël Dolla, Marcel Duchamps, Marguerite Duras, William Faulkner, Léo Ferré, Serge Gainsbourg, Jean Genet, Jean-Luc Godard, Johnny Halliday, Heidegger, Alfred Jarry, Arnaud Labelle-Rojoux, Lautréamont, Jacques Lacan, Jacques Lizène, Louis Malle, Karl Marx, Métal Urbain, Nietzsche, Blaise Pascal, Edith Piaf, Benjamin Péret, Proudhon, Arthur Rimbaud, Maurice Roche, Sade, Saint-Just, Sarkozy ou Schopenhauer.
Je me souviens que lorsque j’étais gamin, il fallait, afin de gagner un tour de manège gratuit, habilement s’emparer de la « floche », un belgicisme des plus visuels pour désigner le pompon qu’agitait le forain au-dessus de nos têtes. C’est ici le rythme de toutes ces citations sélectionnées par Rachel Laurent qui agit comme une floche. Et on la prend en pleine poire à chaque tour de manège. Ce texte, en somme, pourrait bien constituer, secrètement, une sorte d’autoportrait de l’artiste.
Bérénice Mayaux
Stéphane Bérard
Pauline Jambet
Jacques Lizène
Denyse Beaulieu
Jean-Luc Verna
Guy Scarpetta
Xavier Boussiron
Arnaud Labelle Rojoux
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