Archives mensuelles : avril 2014

Jacques Charlier, Emilio Lopez Menchero, The ever changing body, deel III, CC Strombeek

CC strombeek

Het project The Ever Changing Body is in de eerste plaats een poging om te tonen hoe kunstenaars reageren op de veranderingen van de tijd en in de tijdsgeest. In het derde deel van The Ever Changing Body schuiven we verder op in de tijd en komen we terecht bij onze eigen, meer recente tijd: een wereld die na 1989 helemaal versplinterd geraakte en waarin elk machtscentrum zoek was, wentelend in een qua migratie meer dan mobiele wereld, een onzichtbaar geworden wereldeconomie en dito kapitaalstromen. Het vrij heftige proces van het afschaffen van natiestaten maakt dat het begrip identiteit een brandend actueel thema wordt, gekruid met de vele regionale conflicten die zich her en der blijven opstapelen en logischerwijs ook migratie en etnisch nationalisme veroorzaken. In 1989 veranderen de kunst en de wereld voorgoed. De kunstwereld geraakte meer en meer “gekleurd” en de hegemonie van de westerse kunstenaars brokkelde af.

Het zijn thema’s die in het derde deel van The Ever Changing Body sluimerend aan bod komen via al dan niet nieuw werk van zeer goede kunstenaars die niet alleen scherp in de wereld staan maar ook in hun werk op het scherpst van de snede beelden produceren die doen nadenken over wie jij, ik en “de ander” zijn.

Voor deze tentoonstelling selecteerden we een beperkt aantal onontkoombare kunstenaars “van hier en daar” met al even beklijvend werk. Wij zijn verheugd te melden dat Charif Benhelima (1967) nieuw werk zal produceren alsook Mekhitar Garabedian (1977) – twee in ons land gevestigde kunstenaars wiens oeuvre doorleefd blijft door de problematiek van identiteit als een jojo-beweging tussen wie ze zijn en van waar ze komen. De Palestijnse Ahlam Shibli (1970) zal op de expo aanwezig zijn met de diareeks An Introduction to and Nine Chapters from Dependence: een reeks uit 2007 over de vergrijzing van Barcelona en de relatie tussen immigrant-huisverplegers en hun werkgevers. Uit de collectie van het S.M.A.K. tonen we ditmaal een zeer vroege installatie van Stan Douglas (1960): Deux Devises: Breath and Mime, gebaseerd op de confrontatie tussen de muzikale tradities van de “primitieve”, zwarte cultuur en het “sérieux” van de zogenaamd “verfijnde” Europese tradities. Ook de uit Peru afkomstige David Zink Yi (1973) puzzelt met de thema’s identiteit en culturele identiteit in twee werken die voor het eerst in België te zien zullen zijn. Terwijl de Spaans-Belgische Emilio López-Menchero (1960) in de video Toréro/Torpédo de Spaans-Franse Col d’Aubisque bestiert. Tot slot zal ook Jacques Charlier, de centrale kunstenaar wiens werk aanwezig is/was in de drie delen van The Ever Changing Body, opnieuw een nieuw werk realiseren gebaseerd op zijn recente vriendschap met zanger Daan en de veranderingen in de tijd van zijn eigen broze lichaam.

Met werk van: Charif Benhelima, Jacques Charlier, Stan Douglas, Mekhitar Garabedian, Ann Veronica Janssens, Emilio López-Menchero, Gerhard Richter, Michelangelo Pistoletto, Ahlam Shibli, David Zink Yi

[sociallinkz]

Sophie Langohr, New Faces, Glorious bodies, IKOB Eupen

Sophie Langohr

Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège, nouveau visage à partir de Emily di Donato pour Maybelline, de la série New Faces 2011-2012, photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm

La série « Art Make-up » illustre l’emprise croissante exercée sur la sphère culturelle par la mode et la publicité qui la vident de tout contenu pour lui imposer leurs impératifs, en même temps qu’elles font valoir leur prétention à accéder elles-mêmes au rang de création artistique. Sophie Langohr a ainsi exhumé des réserves d’un musée, celui du Grand Curtius de Liège en l’occurrence, une quinzaine de statues de tradition saint-sulpicienne, coupables aujourd’hui de représenter la plus pure bondieuserie kitsch et les débuts d’un art semi-industriel. L’artiste confronte leurs visages surannés à ceux, glanés sur internet, d’actuelles égéries qui incarnent les grandes marques de l’industrie du luxe.

En diptyques, ces transfigurations nous plongent dans l’illusion consommée d’une esthétique ciné-photo-numérique particulièrement redoutable. Ce sont ses « New Faces » et la ressemblance est sidérante. Ces Vierges polychromes sont passées sous un bistouri digital des plus précis.
A ma gauche, une quinzaine de figures de statues de Vierges ou de saintes : close-up sur autant de visages doux et surranés. A ma droite, les mêmes, aux incarnats bien plus charnels, lèvres peintes, maquillages sophistiqués sous des éclairages contrôlés. Ce sont là des portraits en miroir, au mimétisme troublant, comme si la réalité se devait d’être à l’image de l’art. La réalité, oui, car ces portraits de femmes ne nous sont pas totalement inconnus. On reconnaîtra peut-être Anouck Lepere ou Marion Cotillard, Emily di Donato ou Sacha Pivovarova, ces actrices et mannequins dont les visages de papier glacé occupent le devant de la scène médiatique.

Cette fois, ce ne sont donc pas des modèles anonymes, mais bien les égéries d’une série de grandes marques de parfum, de cosmétique ou de maroquinerie, nouveaux visages publicitaires qu’elle confronte aux physionomies de l’un des visages sans doute les plus médiatiques de toute l’histoire de l’art, celui de la Vierge Marie, l’Immaculée. Avec un art consommé de la retouche, la même que celle pratiquée dans le monde de la photographie de mode d’ailleurs, elle a accentué les ressemblances jusqu’à confondre les visages, ces mannequins et actrices dès lors transfigurés en Vierges, laissant d’ailleurs ça et là, telle une restauratrice précautionneuse, quelques indices quant à ses multiples interventions. La transfiguration et le miracle tiennent ici, signe de temps, à un logiciel de traitement de l’image, à une palette graphique.

« A lui seul, constate Mona Chollet évoquant ces ‘beautés fatales’ 4, le terme ‘égérie’ qui s’est imposé depuis quelques années, est symptomatique du glissement qui s’est opéré : une actrice n’est plus l’inspiratrice d’un artiste – ce qui, cantonnant les femmes au rôle muet de muses, en les réduisant à leur photogénie et à leur sensualité, pouvait déjà être agaçant –, mais celle d’une marque ou d’un produit, dont la démarche se trouve ainsi anoblie, auréolée de toute la gloire et tout le mystère de la création. Et la publicité n’est plus un fléau que l’on subit et que l’on fuit, mais au contraire une production culturelle à part entière, que l’on est censé rechercher et attendre ». Oui, la publicité pour le luxe et la beauté se doit d’être « arty ». Les clips publicitaires pour un parfum, un cosmétique, un produit de maroquinerie de luxe doivent avoir un contenu éditorial de marque, un « brand content » ; ils marient la publicité et le divertissement. On confiera d’ailleurs ces clips à des créateurs, et non des moindres, plutôt qu’à des créatifs. Lorsque Marion Cotillard tourne pour la maison Dior, c’est à Olivier Dahan, pour lequel elle fut la môme Piaf, à David Lynch, John Cameron Mitchell, Eliott Bliss ou Jonas Akerlund que Dior fait appel pour autant de films qui ont le statut de courts métrages à part entière et, en même temps, celui de super production en série.
En transformant ces égéries en Vierges, Sophie Langohr pousse cette logique au plus loin : qui donc mieux que la Vierge Marie peut incarner gloire et mystère de la création, transcendance et ascension (ou plutôt assomption) ? Celle-ci est assurément indémodable, incarnant référence, code, norme, affect, figure tutélaire, histoire, rituel et culte, toutes notions que les communicateurs actuels de la mode vivent, aujourd’hui, comme des obsessions. Voici donc Kate Moss pour Rimmel, Barbara Palvin pour Chanel, Raquel Zimmerman pour Shiseido, Adriana Lima pour Maybelline, ces icônes de la mode, nouveaux visages de l’Icône majuscule ; la Vierge Marie, mère de Dieu, l’est en effet, par excellence.

Objet culte d’une part, objets de culte de l’autre, Sophie Langohr n’a pas choisi n’importe quelles statues. Ces sculptures sont toutes assez récentes ; elles datent de la fin du dix neuvième siècle au début du vingtième. Elles sont toutes de tradition saint-sulpicienne, appellation ô combien discréditante, confusion entre un art de reproduction à grande diffusion et la recherche d’un art sacré authentique, inspiré par la leçon des Nazaréens allemands, des Préraphaélites anglais, ou par l’enseignement d’Ingres.
Au sens propre, l’art de Saint-Sulpice désigne les objets que l’on vend dans les boutiques spécialisées qui avoisinent l’église du même nom à Paris, en quelque sorte une contrefaçon de la création, un art industriel et économique, de médiocre qualité, où la mièvrerie et l’affadissement du style rassurent et portent en quelque sorte le cachet d’un art officiel, canonique et sans excès. Serions-nous si loin d’une situation actuelle ? « Pendant ce temps, sans qu’on y prenne garde, constate Marie Cholet, notre vision de la féminité se réduit de plus en plus à une poignée de clichés mièvres et conformistes. La dureté de l’époque aidant, la tentation est grande de se replier sur ses vocations traditionnelles : se faire belle et materner ». « Les vedettes qui émergent, écrit-elle encore, sont dorénavant toutes calibrées sur le même modèle : extrême minceur – ou rondeurs tolérables –, teint diaphane, garde robe sophistiquée… Une fois réussie leur transformation en portemanteaux lisses, fades et interchangeables, elles pourront espérer susciter l’intérêt d’une ou de plusieurs marques de cosmétiques ou de vêtements. Le jeu en vaut la chandelle : si elles y parviennent, ce sera le jackpot, à la fois sur le plan financier et sur celui de l’exposition médiatique ».

L’art saint-sulpicien se développe à une époque où la religion catholique se veut accessible et populaire. Elle magnifie Joseph, La Madeleine et les saints contemporains.
Le rôle donné à la piété mariale, suite aux apparitions de Lourdes et de la Salette, à l’établissement du dogme de l’Immaculée Conception, édicté en 1854 par le pape Pie IX est exemplaire. Toutes les dévotions, comme celle de l’ange gardien, tous ces traits de la religiosité ont évidemment marqué l’iconographie sulpicienne. Il s’agira d’hédoniser la religion, de la rendre plaisante ; le paradis est ainsi à portée de main. Les parallèles que l’on peut établir avec la logique consumériste dont les « New Faces » de Sophie Langohr sont les véritables égéries, bien plus que des produits dont elles sont les ambassadrices, sont dès lors saisissants. D’une dévotion à l’autre, il n’y a qu’un pas. Hors normes dictées par l’hédonisme promu par l’industrie de la mode et de la beauté, point de salut.

Enfin, il y a ce coup de bistouri digital, cette chirurgie esthétique de l’image. Il évoque bien sûr cette imposition d’une image féminine stéréoptypée, cette banalisation d’une transfiguration chirurgicale, les souffrances et dérives dont celle-ci est le corollaire, cet entretien par le matraquage de normes inatteignables. Sophie Langhor pointe de façon précise cette sublimation obsessionnelle et spirale ruineuse, ce sentiment de culpabilité obscur et ravageur, cette mortification du corps perçu comme désenchanté.
Au-delà des prétentions « arty » de l’industrie de la beauté, ces icônes en binôme posent un questionnement idéologique fondamental, celui de l’image de la femme dans notre société, soumise à l’obsession des apparences. Face à ces Vierges à l’œil blanc et l’air pâmé, face à ces égéries sophistiquées, le propos est subtilement incisif. C’est le cas de le dire.

Sophie Langohr

De gauche à droite :
Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège, nouveau visage à partir de Barbara Palvin pour Chanel de la série New Faces 2011-2012,photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm
Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège,nouveau visage à partir de X pour Clinique, de la série New Faces 2011-2012,
photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm
Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège, nouveau visage à partir de Adriana Lima pour Maybelline, de la série New Faces 2011-2012, photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm
Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège, nouveau visage à partir de Sacha Pivovarova pour Armani, de la série New Faces 2011-2012, photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm

Photos : Laurence Charlier

[sociallinkz]

Art Brussels, les images (3)

Art Brussels

John Murphy

John MURPHY
On the silky lining of the voyage, 2008
Picture post card, pen and ink on board, 85,5 x 63,5 cm

Sophie Langohr

Sophie Langohr

Sophie LANGOHR
Saint Matthieu par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Dimitris Alexandrou par Errikos Andreou, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium,
2 x (33 x 45 cm), 2013 – 2014

Emilio Lopez Menchero

Emilio LOPEZ-MENCHERO
Trying to be Cadere, de dos (avec barre index 04 code B 12003000 – d’après « André Cadere 1974 », de B.Bourgeaud), photographie NB marouflée sur aluminium, 82 x 130 cm, 2013

Suchan Kinoshita

Suchan Kinoshita

Suchan KINOSHITA
Archive diagonale, 2014
Technique mixte

[sociallinkz]

Art Brussels 2014, les images (2)

Art Brussels

Olivier Foulon

Olivier FOULON & Ella KLASCHKA
Stoffbild (Lancetti), 2009,
Polyester, dimension variable

Olivier Foulon

Olivier FOULON
Les trois baigneuses (Courbet), 2008
technique mixte, diapositive, pince

Olivier FOULON
Par delà le M et le B aussi (le dimanche), 2013
technique mixte, diapositives, pince

Jacqueline Mesmaeker

Jacqueline Mesmaeker

Jacqueline MESMAEKER
Versailles n°4, première version en double élément (1980-2014)
Photographie NB, cartel, encadrement, 69 x 84 cm et photographie C, tape, 20 x 29 cm

Jacqueline Mesmaeker

Jacqueline MESMAEKER
Holy River, d’après les Bords de la Seine – Georges Seurat, 2014
Impression photo et texte imprimé, 42 x 30 cm

[sociallinkz]

Art Brussels 2014, les images (1)

Aglaia Konrad

Aglaia Konrad

Aglaia KONRAD
Iconocopycity, 2011
Copies laser marouflées sur mur, dimensions suivant installation Ed. 3/3

Aglaia Konrad

Aglaia KONRAD
Boeing over, 2003-2007
Photographie NB, impression sur papier baryté, marouflé sur aluminium 32 x 48 cm, Ed. 5/5

Jacques Lizène

Jacques Lizène

Jacques LIZENE
Sculpture nulle 1980, art syncrétique 1964, l’interrogation génétique, 1971, mettre n’importe quoi sur la tête, 1994, en remake 2011
Sculpture africaine trouvée, fougère artificielle, photocopie, acrylique, 180 x 30 cm

Aglaia Konrad

John Murphy

John MURPHY
Deep in the Unknow (The Joseph Conrad serie), 2003
Etching on offset and serigraphy (text), 85 x 101 cm. Ed. of 2.

Jacques Lizène

Jacques LIZENE
Personnage assis dans le coin du cadre, 1971. Deux diapositives, dont la diapositive titre.
Edition 5/5

Jacques LIZENE
Perçu non perçu 1973, Art de Banlieue, banlieue de l’art 1973, Petit maître regardant le bord de la photo, remake 1979.
Photographie NB vintage, retouchée à l’encre. 13 x 18 cm. Projet de carton d’invitation pour la présentation de « Quelques séquences d’art sans talent ».

[sociallinkz]

Jacques Charlier, Morgane, les images

IKOB, Eupen, Glorious Bodies

Jacques Charlier

Jacques Charlier
Morgane, 2014.
Photographie couleurs sur toile sur châssis 120 X 100 cm. Conception décor et mise en scène : Jacques Charlier. Photographie Laurence Charlier. Post production : Laurence Charlier et Fabien de Cugnac. Modèle : Laura Crowet. Eclairages et effets : Fabrice Saudoyer. Maquillage et cicatrices : Fabrice Respriget. Costumes et accessoires : Le Reliquaire, Liège. Fumée : Joël Dubois. Corbeaux : Aquarium Liège. Tirage sur toile : Vincent Vervinckt. L’installation-décor est constituée d’une acrylique sur toile libre 120 x 400 cm, de faux rochers, fausses pommes, épée, cuirasse, bouclier, corbeaux empaillés.

Jacques Charlier

Photos : Laurence Charlier

[sociallinkz]

Jacques Charlier, Glorious Bodies, IKOB Eupen, Morgane, 2014

morgane

Jacques Charlier
Morgane, 2014.
Photographie couleurs sur toile sur châssis 120 X 100 cm. Conception décor et mise en scène : Jacques Charlier. Photographie Laurence Charlier. Post production : Laurence Charlier et Fabien de Cugnac. Modèle : Laura Crowet. Eclairages et effets : Fabrice Saudoyer.
Maquillage et cicatrices : Fabrice Respriget. Costumes et accessoires : Le Reliquaire, Liège. Fumée : Joël Dubois. Corbeaux : Aquarium Liège. Tirage sur toile : Vincent Vervinckt.
L’installation-décor est constituée d’une acrylique sur toile libre 120 x 400 cm, de faux rochers, fausses pommes, épée, cuirasse, bouclier, corbeaux empaillés.

(…) Se souvient-on de cet ange et de son double, que Jacques Charlier traça pour « Total’s Underground » à la fin des années 60 ? « Total’s energetic », ces anges sont la réplique l’un de l’autre dans un l’univers monozygote qui ne peut refléter que lui-même et qui se complait, comme Narcisse, face à son double physique. De Léda, aux jumelles de la « Doublure du Monde », de Sainte Rita, à Mélusine ou Morgane, l’art est ici un reflet physique désenchanté, le signe que le passé pourrait succéder au présent, angoisse même née du sentiment mélancolique. Dans ces œuvres que nous avons évoquées, Jacques Charlier investit sciemment des temps anachroniques. Ses images sont souvent un montage de temps hétérogènes. Il  a perçu que les notions de base de l’histoire de l’art comme le « style » ou l’ « époque » ont une dangereuse plasticité. En fait, elles ne sont jamais à leur place une fois pour toutes, elles marquent des différentiels de temps en mouvement. C’est là où elles trouvent leur point critique. Chez Jacques Charlier, cette sorte de crise du temps est souvent le reflet de temps en crise.

Le destin de Morgane, glorious and heroic

Ainsi cette dernière image, celle de la fée Morgane que Jacques Charlier vient de mettre en scène. La nuit, la lune, le brouillard, la mer autour d’Avalon et le Castel sans retour, les pommes sur le sol et les corbeaux, ou les corneilles car Morgane a le don de se métamorphoser en corneille. Morgane, enfin, belliqueuse et cuirassée comme une Walkyrie érotique, flamboyante, surnaturelle, à ce titre « merveilleuse » bien qu’elle ait du sang sur les mains. C’est une Morgane d’après  la bataille, de retour à Avalon, cet autre monde, sans correspondance au monde réel. Avalon est l’« insula pomorum » (pomme se traduit par aval en langue celtique), l’équivalent celtique du jardin des Hespérides, et la pomme délivre l’immortalité. Reine de ce domaine, glorieuse, habitée par la magie de l’éternelle jeunesse, Morgane est médiatrice entre deux mondes, ce monde légendaire et celui des mortels. Elle incarne la nature protéiforme des divinités celtiques en perpétuel transit entre l’ici-bas  et l’autre monde.

La légende arthurienne est, on le sait, d’une complexité infinie, l’expansion du mythe hors norme. Morgane est une figure païenne mystique complexe du merveilleux arthurien, puissance bénéfique et maléfique à la fois, entre guérison et magie, luxure et révélation, image même d’une double nature, ce qui bien sûr n’a pas échappé à Jacques Charlier. Aujourd’hui, un lien organique s’est établit entre les différents médias que sont la littérature, le cinéma, la télévision, la bande dessinée ou le jeu de rôle, dans un tissu inextricable d’emprunts et de citations qui dépassent parfois le cadre strictement arthurien. « Onirisme et réalisme, analyse Sandra Gorgievsi, archaïsme et technologie avancée, valeurs chevaleresques et idéologies contemporaines se côtoient et se confondent. Même si le conformisme dicté par l’adaptation pour le grand public et la production de masse, ces romans d’Heroic fantasy sous forme de trilogies à consommation rapide, est inévitable, des œuvres majeures se distinguent du lot. L’ensemble, conclut-elle, témoigne d’une fascination toujours renouvelée pour un mythe particulièrement productif ». Devant la Morgane de Jacques Charlier, Je suis en effet bien loin de Chrétien de Troyes ou de Geoffroy de Monmouth. Mentalement, je me refais « L’Excalibur » (1981) de John Boorman, film culte des années 80. Du coup, c’est Helen Mirren qui surgit, parfaitement maléfique, archétype de la méchante magicienne et de la séductrice de haut vol. Je vois redéfiler la fin du film, le fracas des armures blanches et noires s’entrechoquant dans le brouillard, le combat singulier d’Arthur et de Mordred, père et fils s’entretuant. Il me semble même qu’après leur mort, Perceval n’a pas jeté « Excalibur » dans l’eau du lac. Non, non, c’est Jacques Charlier qui a conservé l’épée pour la confier à Morgane. C’était évidemment l’accessoire indispensable afin de parfaire ce cérémonial de spectacle, scénographie hallucinée qui exalte l’émerveillement, la fulgurance dionysiaque ou le jeu de l’illusion se dénouant dans la cruauté. C’est cela aussi, l’utilisation du style au service de l’idée, principal moteur de toute l’œuvre de Jacques Charlier. L’image procède d’un montage, d’une ouverture dans l’ordre du temps et de sa lecture, elle nous met en face d’une altérité, d’une crise ou d’un réel sur lesquels nous ne comptions pas.

« Les images existent. Les images n’existent pas, tantôt elles sont fausses, tantôt elles sont vraies », déclare Jacques Charlier évoquant Léda et le Cygne. Elles sont miroir, elles sont aussi mirages. On repensera ici à la « Fata Morgana » d’André Breton. Le titre du poème est le nom donné à un mirage qui apparaît parfois dans le détroit de Messine et que la tradition populaire explique comme un enchantement de la fée Morgane, du haut du mont Gibel (l’Etna) en Sicile. D’après la légende, la fée projette l’image de son Castel sans retour dans le ciel matinal afin de séduire de jeunes amants.  Mais Fata Morgana peut devenir, par extension, le nom générique de toute forme de mirage. Le poème de Breton est « une électricité mentale du rêve créatif se transmutant en merveilleux poétique, écrit Claude Letellier. L’expansion du mythe dans le texte dessine la figure de son dépassement ». Le poème évoque avec insistance un jour d’exception, « un jour un nouveau jour », inaugural, une métamorphose génératrice, analogue à celle des contes de fées.

Comme un matin de Pâques.

morgane

(…) Remember the angel and his double, which Charlier drew for « Total’s Underground » at the end of the 60s? “Total’s energetic”, these angels are replicas of one another in the monozygotic universe which can only reflect itself and which revels, like Narcissus, in the image of its double. From Leda to the twins of the “Doublure du Monde” (The double of the World), from St. Rita to Melusina or Morgana, art here is a disillusioned physical reflection, a sign that the past could take over the present, an anguish born of a feeling of melancholy. In these works we have discussed, Jacques Charlier deliberately uses anachronistic time frames. His images are often a montage of heterogeneous times. He has perceived that the basic notions of the history of art such as “style” or “time” have a dangerous plasticity. In fact, they are never ever in a fixed place; they mark time differentials in motion. This is where they find their critical point. With Jacques Charlier, this kind of time crisis is often a reflection of a time in crisis.

The destiny of Morgana, glorious and heroic

Hence this last image, that of the fairy Morgana, which Jacques Charlier has come to stage. The night, the moon, the fog, the sea around Avalon and the Castle of No Return, the apples on the ground and the ravens or crows since Morgana has the gift to transform into a crow. Morgana, bellicose and armoured like an erotic Valkyrie, flamboyant, supernatural, in this sense “wonderful” even though she has blood on her hands. This is a Morgana after the battle, back in Avalon, this other world, unconnected to the real world. Avalon is the « insula pomorum » (apple translates as aval in the Celtic language), the Celtic equivalent of the Hesperidia, and the apple delivers immortality. Queen of this realm, glorious, inhabited by the magic of eternal youth, Morgana is a mediator between two worlds, the legendary world and the world of mortals. She embodies the protean nature of Celtic deities in perpetual transit between earthly existence and the other world.

The Arthurian legend is, as we know, of infinite complexity, the expansion of the extraordinary myth. Morgana is a complex mystical pagan figure of the Arthurian world, a force that is both beneficial and evil, hovering between healing and magic, lust and revelation, the very image of a double nature, which of course has not escaped the attention of Jacques Charlier. Today, an organic relationship has been established between the different media of literature, film, television, comics or role-playing, in a tangled web of borrowings and quotes that sometimes depart from the strictly Arthurian context. « Onirism and realism, in the analysis of Sandra Gorgievsi, archaic and advanced technology, chivalrous values and contemporary ideologies, coexist and overlap. Even if the conformism dictated by the adaptation for the general public and mass production – these novels of Heroic fantasy in the form of easily consumed trilogies – is inevitable, certain major works still stand out. The whole, she says, reflects an always renewed fascination with a particularly productive myth.”
“With Jacques Charlier’s Morgana, I am indeed far removed from Chretien de Troyes or Geoffrey of Monmouth. In my mind, I go over the ‘80s cult film “Excalibur” (1981) by John Boorman. Suddenly, Helen Mirren appears, perfectly evil, the archetypal evil sorceress and bad seductress. I see the end of the movie, the clash of white and black armour in the fog, the one-on-one combat between Arthur and Mordred, father and son killing each other. It seems to me that even after their death, Perceval did not throw “Excalibur” in the lake. No, no, it is Jacques Charlier who has kept the sword to give it to Morgana. It was obviously the essential accessory to complete this spectacle-like ceremonial, this hallucinatory scenography that exalts the sense of wonder, the Dionysian intensity or the game of illusion that is settled in cruelty. This, also, is the use of style in the service of the idea, the driving force behind Jacques Charlier’s entire body of work. The image originates in a montage, in an opening in the order of time and its reading, it confronts us with an otherness, a crisis or an actual desire we did not expect.

“Images exist. Images do not exist, sometimes they are false, sometimes they are true”, says Jacques Charlier evoking Leda and the Swan. They are mirrors, they are also mirages. Think, in this respect, of André Breton’s “Fata Morgana”. The title of the poem is the name given to a mirage that sometimes appears in the Strait of Messina, which popular tradition explains as an enchantment by the sorceress Morgana, cast from the top of Mount Gibel (the Etna) in Sicily. According to legend, the sorceress projects the image of her Castle of No Return in the morning sky to seduce young lovers. But Fata Morgana can become, by extension, the generic name for any kind of mirage. Breton’s poem is “a mental power of the creative dream that transmutes itself in a poetic wonder, writes Claude Letellier. The expansion of the myth in the text delineates the scope of its transcendence.” « The poem expressly evokes a special day, “a day a new day”, inaugural, a creative metamorphosis, similar to that of fairy tales.
Like an Easter morning.

[sociallinkz]

Art Brussels 2014, 24-27 avril, stand 3C18, opening 24 avril

 

ArtBrussels

La galerie Nadja Vilenne aura le plaisir de vous accueillir sur le stand 3C18
Galerie Nadja Vilenne is pleased to welcome you at booth 3C18

La galerie représente / represented artists :

Jacques Charlier – Olivier Foulon – Honoré d’O – Eleni Kamma – Suchan Kinoshita – Aglaia Konrad – Sophie Langohr- Jacques Lizène – Capitaine Lonchamps – Emilio Lopez Menchero – Jacqueline Mesmaeker – Benjamin Monti – John Murphy – Pol Pierart – Eran Schaerf – Valerie Sonnier – Walter Swennen – Jeroen Van Bergen – Raphaël Van Lerberghe – Marie Zolamian

OPENING
Thursday, 24 April / 5 – 10 pm

GENERAL OPENING HOURS
25, 26, 27 April / 12 noon – 8 pm

[sociallinkz]