En 1972, Wolfgang Becker invite Guy Jungblutt à la Neue Galerie d’Aix-la-Chapelle. Il projette de montrer les artistes de la galerie Yellow : « Lüttich, Galerie Yellow Now, ihre Künstler im Studio ». Jacques Lizène est bien sûr de la partie. En date du 15 mai, le petit Maître envoie son projet à Wolfgang Becker et lui demande s’il est possible de projeter une diapositive extraite des « Contraindre le corps à s’inscrire dans le cadre de l’image » à côté du petit film noir et blanc titré « Mur » et daté de 1971. Il rehausse la lettre d’un petit dessin représentant deux écrans contigus sur un fond crayonné noir. Dans le premier écran, il écrit « dia », dans le second « film ». Singulièrement, le schéma rappelle la calligraphie de la Trahison des Images magritienne. Jacques Lizène désire donc pour cette exposition recycler deux œuvres existantes en une nouvelle configuration.
Wolfgang Becker n’accédera par à sa demande. D’abord, parce que la diapositive arrive cassée à destination. Ensuite, plus prosaïquement, parce qu’il est sans doute difficile pour Wolfgang Becker de gérer la projection d’un film 8 mm en continu durant tout le temps de l’exposition. Que ce projet n’ait pas été réalisé importe peu, Jacques Lizène appréciant, comme on le sait, l’incomplétude des faits. Celle-ci fait partie de sa démarche d’attitude.
C’est donc aujourd’hui la première fois que cette configuration est présentée au public. Elle est intéressante à plus d’un titre, que l’on prenne pour point de départ l’un ou l’autre élément de ce binôme.
Les travaux sur le cadre, dont bien sûr font partie les « Contraindre le corps », envisagent le champ et l’hors champ, définis par les entrées et sorties du champ, soit l’une des spécificités du langage cinématographique. Or, l’on sait tout l’intérêt que porte Jacques Lizène à la spécificité du médium mis en œuvre (Art spécifique, 1967-1970). Contraindre le corps met en jeu un rapprochement progressif de l’objectif de la caméra face au sujet filmé, soit l’artiste lui-même se contortionnant pour rester dans le champ. Les contraindre mettent donc le zoom à l’œuvre. « Mur », par contre, est un long travelling sur un mur de brique, plusieurs travellings successifs même, un balayage de gauche à droite et de droite à gauche de ce mur aveugle. En juxtaposant ces deux œuvres afin de n’en faire qu’une, Jacques Lizène juxtapose donc deux éléments premiers du langage cinématographique : le zoom et le travelling, l’expérience de la largeur du champ et de sa profondeur. « Mur », que Jacques Lizène rebaptisera « travelling sur un mur » se termine par un dernier balayage où apparaissent les mots écrits à la craie « Je ne procréerai pas ». Le film agit comme un manifeste, « les choses étant ce qu’elle sont » (« D’une manière générale, les choses étant ce qu’elles sont, Jacques Lizène ne procréera pas…Hopla ! Il subira volontairement la vasectomie, stérilisation par coupure des canaux déférents. Dès ce moment, il portera en lui une sculpture interne. 1970 »). Juxtaposant ce manifeste au Contraindre, Lizène nous offre une seconde lecture de l’œuvre, le Contraindre évoquant une régression, jusqu’à un état quasi fœtal, jusqu’à cet inconvénient d’être né, pour paraphraser Emile Cioran.
Travelling sur un mur (je ne procréerai pas). Titre initial : Jacques Lizène 1971, « Mur ». Ed. Yellow. NB, sans son, 02 : 56 , 8 mm transféré sur DVD.
Associé à une diapositive de : Contraindre le corps à s’inscrire dans le cadre, 1971. Projet proposé, mais non réalisé pour une exposition à la Neue Galerie, Aachen, 1972.
[sociallinkz]