Personnage photographié écrasant le bout de son nez contre la surface de la photo & Conséquence du fait présenté ci-dessus (personnage photographié écrasant le bout de son nez contre la surface de la photo) : saignement de nez, traces récoltées sur mouchoir de poche… On ne joue pas impunément avec le mensonge et l’artifice. Démarche académique. Art sans mérite. Sans importance, hop ! mars 1973. Photographie NB, tirage argentique, 36 x 24 cm et technique 73 x 57 cm
Invité avec le groupe CAP à participer à la troisième triennale de Bruges en 1974 (commissariat de Willy Vandenbussche et Yves Gevaert), Jacques Lizène persiste dans le domaine du perçu non perçu. Il recycle « Personnage photographié écrasant le bout de son nez contre la surface de la photo », une œuvre qui appartient au domaine du perçu et du non perçu mais que l’on peut également rapprocher des travaux sur le cadre. Si le Petit Maître s’ingénie, en effet, dès 1971, à hésiter de rentrer dans le cadre de la photo, à s’y introduire « joyeusement », et ceci même depuis une autre photo, ou à se contraindre dans les limites du cadre, il était prévisible qu’il tenterait un jour d’en sortir, et pourquoi pas droit devant, se heurtant dès lors à la surface de la photo. A cette photographie, qu’il accompagne d’une légende descriptive et qu’il utilisera dans divers remakes, Jacques Lizène adjoint un mouchoir trouvé, à la propreté douteuse et taché de sang. Il l’étale et le fixe sur un carton. En fait, comme s’il marouflait une toile sur carton lui laissant un très large passe-partout. Il l’accompagne d’un descriptif tapuscrit : « Conséquence du fait présenté ci-dessus (personnage photographié écrasant le bout de son nez contre la surface de la photo) : saignement de nez, traces récoltées sur mouchoir de poche… On ne joue pas impunément avec le mensonge et l’artifice ». Avant de plastifier ce mouchoir sur carton accompagné de son cartel, il ajoute à la main : « Démarche académique. Art sans mérite. Sans importance, hop ! » et date précisément l’œuvre : mars 1973.
Nicole Forsbach, à qui Jacques Charlier, préparant ses « Photographies de Vernissage », a confié le soin de photographier celui de la Triennal 3, photographiera le Petit Maître ne s’écrasant pas le nez sur la surface de la photographie, mais posant simplement devant son diptyque.
L’œuvre a également été montrée à Reims, cette même année 1974, au Musée des Beaux-Arts dans une exposition consacrée à l’Art belge contemporain, comme en témoigne le plan de montage collé à l’arrière du carton. Sur ce « schéma d’accrochage pour Reims », Jacques Lizène installe à droite du même diptyque son cassettophone diffusant « 881 tentatives de rires enregistrées sur cassette tout d’une traite ».
Le cassettophone est également accompagné d’un carton. On soupçonne qu’il y est décrit l’œuvre en question, dont le titre complet est « 881 tentatives de rires enregistrées sur cassette tout d’une traite… mais l’on sait le vécu quotidien de la plupart des individus ». Ceci est également une extension du perçu non perçu.
On remarquera enfin que pour l’apposition de ce cartel sur la cimaise, Jacques Lizène recommande de « punaiser à côté du carton, pas dedans ». Et il ajoute : « Merci ».
Diable, redécouvrant toutes ces petites choses, on ne s’ennuie pas un seul instant, rebondissant d’œuvre en œuvre, constatant ce continuel recyclage d’images et d’idées, en remakes déjà, à chaque fois nouvelle configuration d’un même propos enrichi. Ainsi, je me dis que ce personnage écrasant le bout de son nez sur la surface de la photo préfigure les célèbres « 144 tentatives de sourire » que Lizène montre chez Yellow cette même année 1974 et que l’usage de ce mouchoir trouvé taché de sang (oui mais de qui ?) traité comme une toile abstraite accrochée au mur, n’est pas sans rappeler le drap taché de sperme (oui mais de qui ?), qui constitue une part des « Documents rapportés d’un voyage au cœur de la civilisation Banlieue (Ougrée, banlieue industrielle liégeoise), par un Petit Maître pauvre pitre en art, artiste de la médiocrité, représentant de la Banlieue de l’Art », œuvre aussi minable que magistrale, aujourd’hui conservée dans les collections du Muhka à Anvers.
Jacques Lizène lors de Triennal 3, photographie Nicole Forsbach.
Schéma d’accrochage pour l’exposition de Reims
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