Sculpture nulle (1980). Installation pour un moniteur, deux squelettes et un piano demi-queue. Musique à l’envers 1979, et doublement à l’envers 1996, en remake 2014. Oh la la la la ! Aie ha ha ha ha ! Piano demi queue, reproductions de deux modèles de squelettes, sur support à roulettes (tout mettre sur des roulettes, 1974), textes, vidéo. Un film barré à la main, 1972, NB, sans son, 16 mm transféré sur DVD, 1’31, Ed.Yellow. Avec la caméra placée à différentes distances, tentative ratée pour des questions de parallaxe, d’inscrire le corps dans le cadre de l’écran, tête et pieds parfaitement au bord. 1971. Film barré image par image, à la main, en 1972. Dim : 180 x 180 x 150 cm. Remake 2014.
Quelle danse macabre accompagne donc ce squelette accroupi sur le couvercle de ce piano, tendant carpes, métacarpes et phalanges vers un clavier aux touches aussi sèches que l’os ? On l’imagine sculpture nulle (1980) pour une danse nulle (1980), mise en scène tragicomique, mêlant la Mort aux vivants, cette galerie déconcertante de visages hybrides qui farandole autour de cette singulière salle de concert. Ce squelette pour carabins joue de la musique à l’envers et même doublement à l’envers, selon un protocole prescrit par l’artiste. Sa gymnique est inconfortable (Oh la ! la ! la ! la !), elle le déséquilibre, au bord de la chute et du renversement, elle provoque le rire de son camarade, ce second squelette sur roulettes (mettre n’importe quoi sur roulette, 1974), campé, tel un chanteur à côté du piano. Ebahi, les yeux ronds, le rire de celui-ci s’inscrit en phylactère. Résonne ainsi le rire du Petit Maître liégeois (1971), un rire que Jacques Lizène requalifiera en ricanement (2008), en référence au rire hystérique de Gino de Dominicis (1971). Si l’artiste italien rend, en effet, hommage à Zarathoustra, le rieur véridique (« J’ai sanctifié le rire : Ô vous, hommes supérieurs, apprenez donc à rire ! »), Jacques Lizène ricane, lui, des écrits d’Emile Cioran, auteur du « Traité de décomposition » et de « L’Inconvénient d’être né ». Le rire, on le sait, est l’un des redoutables moteurs de toute l’œuvre lizénienne. Une vidéo, enfin, complète le dispositif, écran penché, bien évidemment, s’engloutissant dans la caisse du piano. Le Petit Maître se contorsionne, comme le pianiste. Avec la caméra placée à différentes distances, il tente d’inscrire son corps dans le cadre de l’image, tête et pieds parfaitement au bord (1971), se ramassant sur lui-même au fur et à mesure que la caméra se rapproche de lui. Tentative ratée en raison d’une parallaxe de visée imprécise, un an plus tard, Jacques Lizène barre le film à la main, image par image. La disqualification fait l’œuvre (1972).
C’est en 1996 que Lizène trace ce projet de sculpture nulle. Dans un premier collage, il représente un pianiste accroupi sur un piano à queue, deux téléviseurs derrière lui, le lutrin à la place du tabouret. Lizène écrit en marge : « Musique à l’envers. Double retournement. Faire interpréter à l’envers une partition musicale réécrite, elle aussi à l’envers, 1979, remake 1996 ». Dans une seconde version du même collage, c’est un squelette qui se substitue au pianiste. Il s’agit d’une « installation vidéo pour un ou deux moniteurs et deux magnétoscopes, avec ou sans squelette, mais pour un piano à queue et un micro sur pied. Musique à l’envers, 1979-1996 ». Le projet est ambitieux, initié en 1979, par la réécriture d’une partition de Haendel à l’envers. Il s’agira de « n’être pas musicien du tout, d’être compositeur non composant, d’être compositeur du renversé et de réécrire à l’envers toutes les musiques du monde, de réécrire Mozart à l’envers, Chopin, Bartók et tous les autres, de mélanger à l’envers toutes les partitions existantes (1996), de faire jouer doublement à l’envers toutes les musiques (1996) ». L’épuisement sans fin d’une idée, tout comme l’incomplétude des faits, son inévitable corollaire, est une machine puissante qui fonctionne en parfait circuit fermé, une implacable logique autarcique et endogène. Fondé sur l’attitude de l’artiste, le remake cultive le rebours, la systématisation, la répétition, l’exaspération, la surenchère, l’inachèvement que l’artiste tente – en vain – d’achever. Au réel rebattu sur lui-même répondent des œuvres et des idées en permanence ressassées.
Toujours en 1996, Jacques Lizène s’adresse à la Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs. Il dépose deux partitions de Mozart réécrites à l’envers, « Etanos Trazom, pièce musicale à l’envers d’art médiocre » et « Taifanzie Trazom », 1979, remake 1996. Sur la partition, chaque portée d’Etanos Trazom se conclut par un rire du pianiste tandis que le petit Maître envisage de ponctuer le tout, de façon improvisée, par une rythmique cyclique produite à l’aide d’une boîte à rythme électronique. Jacques Lizène convaincra le pianiste Jacques Swingedow d’interpréter la pièce et l’enregistrement aura lieu dans les studios de la RTBF à Bruxelles. Lizène persuadera également le musicien d’interpréter l’œuvre doublement à l’envers. La performance aura lieu au Musée d’art Moderne de Liège et sera filmée. Film non monté – Jacques Lizène apprécie les rushes, prises multiples et ratages -, nous assistons à la prestation de Jacques Swingedow interprétant la partition lizénienne d’abord à l’envers, ensuite doublement à l’envers, accroupi sur le piano, enfin doublement à l’envers sur un clavier portatif, toujours juché sur l’instrument. Durant la prestation, Lizène entre dans le champ de l’image, il esquisse un pas de danse avec un squelette et ressort aussitôt. Appréciant les actions rapides et légères, sa performance est dès plus brèves. Déjà en 1979, lors de la première édition du Symposium d’art performance de Lyon, organisé par Orlan et Hubert Besacier, le photographe chargé d’archiver la rencontre eut à peine le temps de photographier la toute fin de la performance de Lizène, une déambulation avec un cassettophone sur roulettes diffusant 144 tentatives de rires, tant la prestation fut courte, inachevée comme il se doit, et conclue presqu’avant de débuter. Hop ! ajouterait Lizène. Cette captation de 1996 est complétée par une seconde prestation. Cette fois, c’est un violoncelliste qui interprète, face à une caméra penchée, une pièce de musique à l’envers mixant des musiques de Chopin et de Mahler. Lizène apparaît entrant et sortant du champ en riant très fort et, à l’une ou l’autre reprise, en secouant le même squelette comme un pantin. Plus courte, enfin, est l’interprétation doublement à l’envers, l’instrument tenu pique vers le haut, chevillier et volute au sol ; la pièce est qualifiée par le Petit Maître de « très contemporaine ».
Esquissant quelques pas de danse avec un squelette, Jacques Lizène évoque cette longue tradition de la danse macabre. « Dansez ! Et rejouissez de votre néant », écrit Gustave Flaubert. « Dansez ! Que la ronde soit immense et la fête joyeuse ». Lizène pourrait réécrire à l’envers les partitions de Lizst, de Saint-Saëns, de Moussorgsky ou d’Arnold Schönberg, de Britten, de Chostakovitch ou d’Arthur Honneger. Tous, en effet, ont composé des Danses macabres. Éminemment moderne, la représentation de la danse macabre connaît son apogée à la fin du Moyen-Age, au tout début de la Renaissance. On la relie aux malheurs du temps et aux vicissitudes collectives, famines, pestes et guerres. Farandole des morts et des vivants, elle est ironique, insolente, égalitaire ; ronde funèbre et mascarade, la satire sociale s’y mêle à l’avertissement tragique qu’elle nous donne sur notre destinée. Jacques Lizène ne s’est-il pas, non sans humour comparé au vingt-quatrième Bouddha, décidant de prendre une position de retrait et de retraite, alors qu’il découvre les imperfections du monde, ses malades, ses morts et ses souffrances ? « La condition de l’espèce humaine même évoluée relève d’un pessimisme radical. Je crois que l’on n’arrivera jamais, même avec l’intervention génétique et l’eugénisme, à apaiser complètement toutes les souffrances de l’humanité, déclare le Petit Maître. Je suis persuadé qu’un jour on découvrira que la vie s’est développée par erreur ; que la vie et la nature sont une suite d’erreurs qui se multiplient en se complexifiant ». Il conclut, faisant référence à sa vasectomie, sculpture interne (1970) : « Donc, par principe, je me suis dis : Moi, j’arrête ; comme je peux ». « Restons encore en vie, dit-il aussi, pour crier nos stupidités à la face du monde ». Alors, on danse, même une danse nulle et faisons de petites fantaisies d’art plastique.
(à suivre)
Musique à l’envers et musique doublement à l’envers, en rushes, 1997.
1997, couleurs, son, DV transféré sur DVD, 16’05. Production Espace 251 Nord.
Musique à l’envers (1979) et doublement à l’envers pour violoncelle, réécrite l’envers à partir de partitions de Bartok et de Maehler. Avec de fréquentes apparitions du petit maître dans le champ. Suivi d’une musique à l’envers au piano, Mozart, 1996 en remake. Interprété au piano, à l’envers et doublement à l’envers, par Jacques Swingedow. Réalisée au Mamac à Liège
Lizène, art d’attitude. N’être pas musicien du tout et réécrire à l’envers toutes les musiques du monde, 1979. Réécrire Mozart à l’envers, Chopin, Bartok et tous les autres (par exemple), 1996. Mélanger à l’envers toutes les partitions existantes, 1996. Musique génétique culturelle 1987. Faire jouer doublement à l’envers toutes les musiques.
Projet pour une installation vidéo pour un ou deux moniteurs et magnétoscopes, avec ou sans squelette, et pour piano à queue. Musique à l’envers, 1979. Double retournement, faire interpréter à l’envers une partition musicale réécrite, elle aussi à l’envers.
Copies laser rehaussées de textes. 100 x 70 cm. 2011.
Dépôt auprès de la SABAM de compositions musicales réécrites à l’envers, toutes ces œuvres comme art d’attitude d’art médiocre, 1979-1996. Partition : Lizène AC IV12542, « Etanos Trazom », suite. 1996. L’interrogation génétique, Petit Maître liégeois croisé avec les yeux de Mozart, à l’envers, collage, 1996. Studio 3J30 RRBF. Lizène compositeur du renversé et Jacques Swingedow, pianiste (protocole de performance). Collage, partition originale et photocopies, 70 x 63,5 cm. 1996.
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