Certes, ils ont déjà partagé l’une ou l’autre toile, l’un enneigeant les cerises de l’autre. Jamais néanmoins n’ont-ils eu l’occasion d’exposer ainsi, en duo. La rencontre était attendue, inévitable même, tant leur activité, monomaniaque – n’ayons pas peur de mots – procède d’une même énergie et d’une même opiniâtreté. La cerise est mystérieusement apparue très tôt dans l’œuvre de Jacques Halbert (Bourgueil, 1955) ; elle est devenue le seul motif de son œuvre, une véritable folie, confesse-t-il, « peindre des cerises partout, tout le temps, et ne penser qu’à ça ». Pataphysicien, disciple de cette science des solutions imaginaires et des exceptions, Capitaine Lonchamps (Spa,1953), pose, lui, l’impondérable d’un flocon de neige, partout et en tout temps également. Lonchamps enneige, et ne « neige pas qui veut », déclare-il. De la neige, il fait une exception.
Eternel retour aux origines, réaction face à tous les académismes, inlassable répétition d’un même motif pictural, comme si sans cesse il fallait réinventer la peinture, l’un et l’autre déclinent leur activité de toutes les manières, y compris performatives.
Bourlingueur cerisiste, proche de Fluxus, entretenant un rapport étroit avec les arts de la table, pâtissier patissé et merle moqueur réinventant les avant-gardes minimales et conceptuelles, Jacques Halbert pratique un art d’attitude, au sens où l’entend Ben Vautier. La cerise est son empreinte, pour reprendre le terme toronien, qu’il la peigne de la façon la plus illusionniste qui soit, sur fond bleu, ou qu’il l’applique sur tout support, de l’all over à la simple ponctuation. Suivant la leçon d’Alfred Jarry, Capitaine Lonchamps, « maquille du calme uniforme du chaos la diversité impuissante des grimaces » ; ses Neiges sont une expérience de méditation, d’appropriation, d’hallucination, de contamination du monde. Lonchamps réinvente l’élémentaire avec rien, conscient que même l’absurdité est une utile découverte, que le sommeil peut être élevé au rang des Beaux Arts, qu’il est nécessaire de photographier les courants d’air, que la neige est une harmonie à haut risque, que poser un flocon d’ouate en un lieu précis n’est pas une expérience phénoménologique mais bien la certitude qu’on ne peut préjuger de l’importance des choses. Tous deux renouent ainsi avec la révolte supérieure de l’esprit, ce qui forgea la Modernité même.
A l’avant plan du » Jardin des délices » (1503) de Jérôme Bosch campe une femme nue. En guise de couvre-chef, elle porte deux cerises. Nombreux sont les fruits de taille immense et les baies rouges sur le panneau central du Jardin des Délices, cette extension du paradis terrestre où l’humanité nue se livre à toutes sortes de divertissements. Dans ce même esprit, Jacques Halbert et Capitaine Lonchamps transforment la chapelle de Genêteil en Nef des Fous. Le premier y installe quelques véritables cerisiers, en floraison, défiant ainsi le cours des saisons. Afin d’accéder aux fruits, il a conçu des escabeaux de verger, aux marches et contre marches couverts de cerises à l’huile, sur châssis, sur fonds bleus et acidulés. Capitaine Lonchamps, lui, enneige les animaux de cet Eden, des crocodiles et des serpents, des tigres et des varans, des émeus, des grenouilles et des pélicans. Il ponctue de neige des Impressions d’Afrique, chères à Raymond Roussel, les menhirs et dolmens de Carnac, des planches naturalistes et autres toiles trouvées.
Jacques Halbert, rabelaisien facétieux se réjouissant que le jus de cerise se prenne encore au jeu de la peinture à l’huile et Capitaine Lonchamps, sérieux comme ne peut l’être qu’un Pataphysicien le répètent ainsi à l’unisson : ici, le Paradis perdure.
Vernissage samedi 06 avril à partir de 18h00
Exposition du 06 avril au 16 juin 2013
Chapelle de Genêteil – Centre d’art contemporain[sociallinkz]