Archives mensuelles : février 2013

Marie Zolamian, « Adam oldum, ne istiyorum? – I am a man now, what do you want more? », le livre

L’exposition « Adam oldum, ne istiyorum? – I am a man now, what do you want more? » de Marie Zolamian à la Kunstlerhaus Bethanien de Berlin s’accompagne d’une belle publication qui rend compte des pérégrinations de l’artiste durant cette année de résidence, à la fois dans la capitale allemande mais aussi, et surtout, à Birzeit, en Palestine.

Entre document et livre d’artiste, on y découvrira le texte complet de l’entretien tenu au château d’Abwein avec Mu’az, Nazir, Mazin, Yanis et les autres gamins à qui Marie Zolamian a proposé de devenir les guides du château de leur village. Dessins d’enfants, dessins et toiles de l’artiste, photographies et photogrammes rythment le contenu de l’opus, tandis que Colette Dubois et Andréas Schlaeger apportent chacun une lecture singulière et originale à ces pérégrinations.

Comme tous les vieux châteaux, celui d’Abwein est chargé de légendes et, comme tous les vieux châteaux, ses cheminées, ses escaliers, ses passages plus ou moins secrets ont le pouvoir de faire fonctionner l’imaginaire enfantin. Les histoires que les gamins racontent à l’artiste mélangent tout cela : les faits historiques (la dîme à payer au seigneur), les superstitions (les djinns qui ont pris possession du corps d’une femme), la dureté de leurs histoires personnelles (le grand-père tué par balles, le cousin emprisonné, la justice expéditive des Israéliens). Ce tissage de fantasmes et de réalité devient la seule vérité qui compte : la leur. Lors de l’ouverture de la biennale, la visite guidée a pris la forme d’une performance, « Les cracs des chevaliers »,
que Marie Zolamian a filmée minutieusement. Les gamins occupent l’espace et tiennent la parole, leur jeu prend des aspects théâtraux tandis que l’artiste se met volontairement en retrait. Elle filme la représentation qu’elle a suscitée de façon documentaire et l’objectif de la caméra, recouvert d’un léger voile de sable, accentue encore la distance. « Les cracs des chevaliers » prend aussi la forme d’une pièce sonore dans laquelle les six enfants dialoguent. On peut pénétrer plus profondément dans leurs histoires et y ajouter notre propre couche d’imaginaire.

Quant aux dessins qui ont accompagné le processus, s’ils sont souvent maladroits, ils apparaissent comme autant de cartes mentales des lieux. Tous représentent un arbre dessiné avec soin, des coupoles, des portes et des fenêtres. Dans certains d’entre eux, les éléments sont épars, dans d’autres ils s’organisent comme un plan d’ensemble du château ou encore comme le schéma d’un cheminement singulier.
Les images de la performance, les dialogues des enfants, leurs dessins sont autant de traces que Marie Zolamian a récoltées. En s’emparant des histoires des autres et en se les appropriant, elle fabrique sa propre anthropologie : un tissage de son histoire singulière et de celles qu’elle rencontre au fil de ses déplacements. Partir, s’éloigner des lieux familiers lui permet de s’isoler, de se détacher et, en cherchant à ne plus s’appartenir, elle permet au passé et au présent de s’entrechoquer, à l’ici et l’ailleurs de former un territoire inédit entre fantasme et réalité. En témoignent les dessins et peintures qu’elle a produits lors de son retour à Berlin.

Colette Dubois, Il y avait de l’or ici. (extrait)

Displayed not on a wall, but on a table, side-by-side with many other seemingly disparate drawings, cut-outs and paintings, the works map a narrative that is loose and tight at the same time. In this narrative the individual lines can hardly be regarded as woven to a complete andlinear or conclusive whole. The individual works, in both their similarities and oppositions, suggest a structure of lightly intertwined or slightly overlapping interests that center on concepts of belonging, social relations, common ground and maybe a sense of community. Even formally, hardly a drawing is found on these tables that does not look as if it was torn out of a larger sheet or book. Positioned next to each other, the motifs appear to be struggling with the viewer’s desire to read them in a coherent way, while also presenting a kind of atlas or encyclopedia assembled from idiosyncratic artistic research. The works are displayed with an artistic sensibility that communicates a sense of frailty, of dislocation and fragmentation, but also with a longing for an idea of home.
Here I come back once again to Kafka and his castle. His protagonist arrived in the village to work and gain a sense of meaning from doing so. I would suggest the castle in Marie Zolamian’s work is a portrayal of a global sense of ‘home’, as in the German word ‘Heimat’: a home but also a locality and a cultural place of origin and belonging. Maybe one could regard Zolamian’s works on a different level as a poetic reflection on variations of estrangement that make it impossible to find peace in and with the place we inhabit. What we like to address as home is under stress from political, social, psychological and emotional forces that inhibit our growth, being under pressure while simultaneously applying pressure. By taking the weight of the world on her shoulders, it is Zolamian’s great achievement that she carries it lightly, and delivers it to us with sympathy and poetry. Otherwise, we would look away so as not to see ourselves as both occupying the castle while also being its subject. That may be why we call it home.

Andreas Schlaeger, My home is my castle, extrait

PUBLISHER
Künstlerhaus Bethanien GmbH
Kohlfurter Str. 41-43
First edition of 500
ISBN 978-3-941230-26-2
23 x 16,5 cm, 64 pages, couleurs, 2013

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Langohr, Lonchamps, Pierart, Sonnier, finissage. Guests : Dominique Castronovo & Bernard Secondini

Capitaine Lonchamps, Sophie Langohr, Pol Pierart, Valérie Sonnier : finissage ce dimanche 3 mars de 15 à 18h.

Guests : Dominique Castronovo et Bernard Secondini, « Il n’y a plus d’histoire. Il n’y a plus rien à vivre », 389 min.

On le sait, paradoxalement, la parole investit le cinéma muet, et pas seulement parce que les acteurs nous donnent à voir de continuelles faces volubiles. La parole ne cesse d’affirmer sa présence au creux de l’image ainsi que dans son intermittence. Ainsi, les nombreuses lettres, cartes de visites, télégrammes, coupures de presse filmés en plan fixe : Louis Feuillade, par exemple, en fera grand usage afin d’expliciter les intrigues dont ses films rendent comptent. Ainsi, de même, ces inter titres, ces sous-titres, ces cartons qui jalonnent les films et qui précisent la narration. Ils consistent en l’intrusion, au cœur d’une succession d’images nécessairement en mouvement, de textes qui constituent une sorte de calligraphie spécifique, créant une alternance qui apparaît comme la transgression d’oppositions diverses : celle du geste et du mot écrit, du mouvement et de la fixité, des différentes « couleurs » du gris et des mots blancs sur un fond noir… Ces cartons anticipent, annoncent, donnent naissance. Il chuchotent et exigent du spectateur une démarche active. Avec le muet, c’est l’œil qui écoute.

Souvent, sachons le pour la petite histoire, ces cartons ont disparus ; et souvent, il a fallu dès lors les reconstituer sur base des synopsis retrouvés dans les archives des maisons de production. Sur les copies, on les a, en effet, coupé, on les a remplacé, on les a traduit en d’autres langues. Le cinéma muet s’exporte bien plus facilement que le parlant. On leur a même donné parfois des accents plus régionaux en fonction du réseau de distribution des films. Et puis surtout, pour d’inévitables raisons d’économie, les techniciens ont souvent moins chargé de nitrate ces endroits spécifiques de la pellicule. Les cartons s’estomperont dès lors plus vite que ne le fera l’image filmique.

Dans leur remake de la saga des dix épisodes des « Vampires » de Feuillade, tournés en 1915 et 1916, film que Castronovo et Secondini titrent « Il n’y a plus d’histoire. Il n’y a plus rien à vivre », les auteurs semblent résolument avoir fait le contraire. Ici, ce ne sont plus que les cartons qui subsistent, l’image s’est, elle, irrémédiablement évaporé. Ainsi, des huit premières minutes du premier épisode – La tête coupée –, il ne reste qu’une image désespérément noire, ponctuée de quatorze cartons qui commentent de façon d’autant plus elliptique une image disparue : – L’action a lieu à Paris vers 1915. – Arrivée matinale dans la place citadine de Philippe Guérande, grand reporter du Mondial. – Le dossier Vampire – On l’a volé. – Mazamette ! – Vous l’avez volé ! – Allez chercher la police ! – L’argent, je comprends, mais le dossier – pourquoi ? Pourquoi ? – Maintenant, M. Guérande, nous y sommes tous les deux, morts ou vifs ! – Monsieur Guérande, le patron veut vous voir – Courrez vite là-bas ! A vos frais ! – Madame Guérande, la mère de Philippe. – Je me souviens que ton père avait un ami d’enfance qui habitait un château près de Saint-Clément-sur-Cher. – En Sologne, au château de la Chesnaye : le docteur Nox. – Mrs Simpson, la multimillionnaire américaine qui désire le château. (…). On l’avouera, le récit touche à l’absurde. Castronovo et Secondini se sont ainsi livré à un long travail d’effacement. Ils ont remplacé les 1920 plans qui constituent l’ensemble des épisodes des « Vampires » de Feuillade par du noir, ne conservant que les 418 cartons qui en constituent la trame textuelle. Le film ne se présente plus que sous la forme de longs plans noirs entrecoupés de cartons, et ce durant 389 minutes exactement. « Des films des années 10, tous les acteurs ont disparus et les lieux aussi, constatent-ils. Il n’y a plus rien, seuls les cartons qui ne veulent plus rien dire ».

« Dominique Castronovo et Bernard Secondini semblent dévider depuis une éternité un interminable ruban : celui de la disparition ou de la dissolution du sens, celui de la mort des images et de leur éternelle renaissance, écrit Emmanuel d’Autreppe. Par leurs extrêmes, la ruine et la profusion se touchent, se confondent. (…) Tout, chez eux, est accumulation, éclatement et remembrement, tout fait farine au moulin du concept (tragique, ironique, souvent les deux), et la puissance de leur acharnement donquichottesque, subtil et monomaniaque égale assurément celle du vent lui-même. Avec la même certitude de se perdre et de perdurer, par-delà l’accumulation et la dissolution des images, par-delà les bribes de signification que nous tentions d’y glaner en plein vol ». On ne peut, vraiment, mieux dire. S’instaure en effet ici, une dialogue de sourd entre le spectateur et ce qui est projeté, parce qu’il n’y a plus rien à voir, parce qu’il n’y a plus qu’à entendre, par intermittence, ce que lit l’œil.

Les 418 cartons des Vampires de Feuillade sont à voir ce dimanche 3 mars en parallèle aux photographies de Feuillade enneigées par le Capitaine Lonchamps.

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Marie Zolamian, Adam oldum, ne istiyorum? Künstlerhaus Bethanien, Berlin

MARIE ZOLAMIAN
Adam oldum, ne istiyorum? – I am a man now, what do you want more?

Marie Zolamian’s artistic work examines questions of individual and collective identity. Her works question the significance of belonging to a specific territory or community, and the social and spatial conditions that form a mentality. Zolamian, who paints and draws primarily, but also uses other media, examines places of memory; she observes the way that people deal with them and thus succeeds in capturing those fleeting moments that shape cultural awareness and identity.

Her current exhibition, the title of which comes from an exclamation that the artist overheard on the street, includes watercolours, drawings, paintings and children’s drawings of a castle in the village of Abwein in Palestine. They were produced parallel to a video film which is also being shown, and for which Zolamian – in the context of the Qualandiya International Biennale – had art viewers taken to the remote village in buses. Here, a group of Palestinian boys acted as tourist guides in the castle. This generated a large number of stories ‘outside of history’, into which the youths poured a lot of their everyday lives and cultural background. Zolamian has provided English subtitles for the film, but in the context of the installation in the Künstlerhaus she plans to broadcast the original Arabic soundtrack from the gallery room into the street – being sure that the many migrants in Kreuzberg will understand or even recognize the stories.

EXHIBITION
01.03. – 24.03.2013
Tue – Sun: 2 – 7pm
Admission free
OPENING
28.02.2013
7 – 10 pm

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Emilio Lopez Menchero, H1/H2, (les halles), Porrentruy

Emilio Lopez Menchero est l’invité des Halles à Porrentruy. Il réinstalle, dan une nouvelle version, « H1-H2 », cette installation conçue après sa visite d’Hébron en Palestine et précédemment montrée à l’Iselp à Bruxelles.  Gageons que le magnifique quadrilatère des Halles donnera, enfin, la pleine mesure à une œuvre qui suscite une réflexion essentielle sur une question cruciale d’actualité.  Voici le texte  paru sur ce blog lors de la conception de l’installation.

Emilio Lopez-Menchero, H1/H2

A Bruxelles, l’Iselp, tout proche de la Porte de Namur, est implanté dans un quartier bien connu  pour ses nombreuses boutiques. On y flâne, on y lèche les vitrines, on y fait ses emplettes. « Dans les territoires palestiniens, à Hébron, on faisait aussi les magasins. C‘était avant  1967 et la guerre des Six Jours ».  Dans le guide du Routard, édition 2011, cette remarque introduit la notice qui concerne la ville d’Hébron en Cisjordanie. Et le Routard précise : « Depuis, près de 600 colons juifs se sont installés au cœur de la ville musulmane, protégés par des soldats de Tsahal. Peu à peu, victime des violences, le souk de la vieille ville s’est éteint. Des centaines de magasins ont fermé, certains immeubles ont été évacués pour protéger ceux occupés par les colons. Des blocs de béton, des barbelés bloquent certaines rues aujourd’hui réservées aux seuls colons. Sur les toits des immeubles – colonies disséminés dans la ville, des soldats scrutent le territoire perchés sur des tourelles de garde ».

A Hébron, deuxième ville de Palestine, à 30 km au sud de Jérusalem, la situation est inextricable. Au cœur d’une vieille ville palestinienne sous haute surveillance, ces quelques micro colonies juives cristallisent les tensions. La cité est séparée en deux secteurs, H1 et H2. Le secteur H1, qui comprend à peu près les trois quart de la ville, est sous contrôle palestinien, ce qui n’empêche absolument pas l’armée israélienne d’y entrer quand bon lui semble. Le secteur H2 est sous contrôle israélien : il englobe la plupart des colonies, mais aussi la vieille ville, habitée par 20.000 Palestiniens. Hebron représente en effet pour les colons un enjeu majeur qu’ils justifient par des raisons historiques et religieuses. Les colonies se sont donc implantées au coeur de la ville, notamment près du tombeau des Patriarches avec la colonie de Avraham Avinou, l’une des plus extrémistes qui soit. On dénombre environ 600 colons, protégés par quelques 1500 soldats, soit presque trois soldats par colon. 170.000 palestiniens vivent à Hébron.

À Hébron, on visite en effet un lieu saint commun aux Juifs et aux Musulmans, le Tombeau des Patriarches, où repose Abraham. Autour a été bâtie une mosquée. Les Juifs et les Musulmans ont chacun leur accès, en étant surveillés, filtrés par l’armée. Dans la mosquée, des impacts de balles sont encore visibles, souvenir douloureux de l’acte fou du médecin Baruch Goldstein. En 1994, il mitrailla les musulmans en prière pendant le ramadan, tuant des dizaines d’entre eux. Certains colons extrémistes se rendent sur sa tombe en pèlerinage. La ville d’Hébron vit, depuis ce massacre, dans une tension permanente, une violence quotidienne entretenue par les soldats de Tsahal. D’anciens militaires israéliens ont d’ailleurs décidé de rompre le silence. « Breaking de Silence », leur association, a publié trois rapports adressés à l’ensemble de la société civile israélienne et la communauté internationale, trois rapports énumérant des dizaines de témoignages de militaires qui évoquent les humiliations, les arrestations arbitraires, le harcèlement, les injures, la violence et la terreur dont ils ont été les témoins et bien souvent les acteurs durant leur service militaire à Hébron. Leur objectif : combler le fossé qui existe entre leur vécu et le silence qui règne dans les familles israéliennes, témoigner afin d’exorciser les traumatismes qu’ils déclarent souvent avoir subi.

Emilio Lopez Menchero s’est rendu à diverses reprises en Palestine à l’occasion d’une série d’échanges entre La Cambre – Horta Architecture, où il enseigne, et l’Université Birzeit, toute proche de Ramallah. En 2009, l’année où il visite Hébron, il dirige et anime un workshop organisé  par Al Mahatta Gallery, une initiative d’artistes basée à Ramallah, soucieuse de fonder une plateforme professionnelle et internationale en Palestine : « Inside/Outside », intitulé de ce workshop, aborde la question de l’intervention dans l’espace public et circonscrit les domaines de la  performance, de l’action et de l’intervention plastique. Toute la réflexion tourne autour de la spécificité socio – politique de la Palestine.

A propos d’Hébron, Emilio Lopez-Menchero témoigne bien sûr de ce qu’on appelle pudiquement « le principe de séparation » qui a radicalement transformé la circulation dans le centre ville d’Hébron et mis à mal toutes les activités de la population palestinienne. Alors que nous parlons de son expérience, il évoque les check points en chicane, la partition du Tombeau des Patriarches, les rues désertes et les centaines de boutiques fermées par l’armée pour « raison de sécurité », les pressions et le harcèlement dont les populations du centre ville sont l’objet afin de les pousser à fuir et à abandonner leurs maisons, la fermeture de la rue Suhada, principale artère commerçante avant la seconde Intifada en plein cœur historique de la vielle ville palestinienne, une rue que ne parcourent plus que les militaires et les familles de colons qui se rendent au Tombeau d’Abraham. L’œuvre qu’il propose aujourd’hui s’appelle simplement « H2-H1 », ces lettres et chiffres qui scellent la partition de la ville. Il conclut en me disant : « Hebron s’appelle Al Khalil en arabe, ce qui veut dire l’Ami en référence au prophète Abraham. Son nom hébreu, Hevron, a la même signification. Je suis arrivé à Hébron un vendredi. C’est le jour le plus singulier de la semaine, jour de la prière musulmane, alors qu’au soir débute le Sabbath. J’ai donc pu observer l’absurdité de la situation autour du Tombeau des Patriarches. Un même check point filtre les deux religions monothéistes, il révèle ce système de scène et de coulisses où synagogue et mosquée ne sont séparées que par un mur mitoyen ».

En déambulant dans le centre ville, son attention a été attirée par de singuliers filets tendus au dessus des ruelles. Ces filets et ces grilles sont jonchés de détritus, de déchets de tout genre, des débris de mobilier, des ordures ménagères ou même des bouteilles remplies d’urine ! Ce sont les habitants qui ont tendu ces filets pour se protéger des détritus que les colons jettent par leurs fenêtres. Certaines maisons palestiniennes sont en effet collées aux maisons des colons et ces dernières surplombent. Qui s’aventure dans ces rues déambulera entre des façades aux volets clos, sous des tonnelles de crasses. Ce sont là des actes qui démontrent le mépris dans lequel les colons tiennent la population.

L’installation que propose Emilio Lopez Menchero à l’Iselp est dès lors radicale. Par dessus la salle de l’Atelier, il a tendu des filets et y a jeté toute sorte de choses, toute sorte de déchets. En accédant à la coursive qui surplombe l’Atelier, le visiteur aura le point de vue des colons ; sous les filets, celui des habitants palestiniens d’Hébron. Singulièrement énigmatique, car rien, pas même le titre de l’installation, ne fait explicitement référence au fait précis évoqué, le dispositif témoigne silencieusement et avec force de cette intolérable situation. Réduit à une expression minimale, un filet, des déchets, il condense une situation complexe qui dépasse, de loin, son objet. Sans discours superflu, il invite à s’informer, à réfléchir ce conflit entre deux peuples : Hébron est le symbole même du conflit israélo-palestinien, son centre cristallise l’épineuse question des colonies israéliennes qu’elles soient en Cisjordanie, dans la bande de Gaza ou sur le plateau du Golan. Hébron concentre toute les problématiques de l’extrémisme religieux et de l’apartheid. Emilio Lopez-Menchero aurait pu se contenter, comme d’autres l’ont fait avant lui, de documenter ces « aménagements » pour le moins sauvages de l’espace social et urbain. Ici, il n’est ni question de documenter ou de reconstituer, il est question d’utiliser le langage plastique et, je dirais même, un artifice de situation, un filet, des déchets installés dans une institution artistique. Le dispositif est presque incongru. Je repense  à ce texte de Jacques Rancière sur les paradoxes de l’art politique : « Le problème, écrit-il, ne concerne pas la validité morale ou politique du message transmis par le dispositif représentatif. Il concerne ce dispositif lui-même. Sa fissure laisse apparaître que l’efficacité de l’art ne consiste pas à transmettre des messages, donner des modèles ou des contre-modèles de comportement, ou apprendre à déchiffrer les représentations. Elle consiste d’abord en disposition des corps, en découpage d’espaces et de temps singuliers qui définissent des manière d’être ensemble ou séparés, en face de ou au milieu de, dedans ou dehors, proches ou distants ». C’est bien le cas, ici.

(Les halles) espace d’art contemporain
Rue pierre Pequegnat 9
Cp 211 / 2900 Porrentruy 2
Suisse

Du 23 février 2013 au 14 avril 2013
Vernissage samedi 22 février 2013 à 18h00
Rencontre avec l’artiste dimanche 23 février 2013 à 13h30
Ouvertures : jeudi 17h00-19h00 | samedi 10h00-12h00 et 13h30-17h30 | dimanche 13h30-17h30 | entrée libre.

Le communiqué de presse :

L’EAC ( les halles) présente une installation réalisée par Emilio López-Menchero qui s’inscrit dans la continuité du projet de dialogue entre artistes du Jura et de la communauté francophone de Belgique.
Emilio López-Menchero 1960, d’origine espagnole. vit et travaille à Bruxelles.. Architecte de formation, il met en scène son histoire personnelle et sa réflexion sur la société à travers les différents médias que se soit sculpture, dessin, installation, performance, photographie ou  peinture. L’artiste doit sa notoriété notamment aux œuvres qu’ils réalisent dans le cadre de son concept-performance « Trying to be », série de photos, de performances vidéo et d’autoportraits incarnant des personnages légendaires.
L’installation intitulée H2 / H1 présentée à l’EAC les halles fait référence à la désignation des deux zones territoriales séparées de la ville d’Hébron en Cisjordanie où Colons Israéliens et habitants Palestiniens vivent les uns sur les autres dans une tension conflictuelle permanente extrêmement violente séparés par une frontière horizontale surveillé par l’armée israélienne, constituée d’un grillage suspendu continu recouvrant l’entièreté des ruelles du souk de la ville. Ce grillage aérien sert à retenir tous les déchets jetés volontairement par les colons sur les palestiniens.
Au-delà du stéréotype de cette Suisse propre-sur-elle, l’installation H2/H1 est une transplantation d’une réalité d’un lieu à un autre. En reprenant l’expression « lost in translation » cette recontextualisation à l’EAC ( les halles) modifie ou plutôt s’enrichit de nouvelles significations. Son référent Proche Oriental pourrait être rapporté à l’histoire conflictuelle Helvétique , particulièrement dans le Jura,avec ses questions culturelles et identitaires et  la complexité que tous ces enjeux suscitent. Elle pointe du doigt La situation politique en Suisse notamment en matière d’écologie, les aberrations en matière de production d’énergie (surenchère d’éoliennes) mais aussi la question du triage des déchets etc.
Emilio López-Menchero  réalisera une édition dans le cadre de l’exposition.

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Honoré d’O, au compte-goutte, MADmusée, Liège

compte-goutte1

« Je ne ressens pas du tout le besoin d’imposer une lecture dirigée de ces œuvres. Il faut éviter une compréhension rationnelle qui sert nos propres intérêts. Un rendez-vous intime me semble plus approprié si on veut s’approcher de ce que c’est vraiment » (Honoré δ’O).

Invité à poser un regard sur la collection du MADmusée, l’artiste Honoré δ’O refoule son rôle de commissaire au sens classique, refusant d’instaurer un discours qui s’approprie l’œuvre. Au lieu de montrer à tout prix et de manière exhaustive la collection, Honoré δ’O concentre l’exposition autour de quelques pièces dévoilées isolément et imagine une installation qui questionne plutôt la qualité de la rencontre avec l’œuvre. Favorisant l’intimité de cette rencontre, l’artiste et le musée vont convier diverses personnalités à activer cette installation pendant toute la durée de l’exposition. Aux visiteurs de découvrir qui les accueillera pour partager leurs lectures des œuvres exposées.

Ik voel geen behoefte om een interpretatie van deze kunstwerken op te leggen. We moeten een rationele bevatting die onze eigen belangen dient vermijden. Een innig rendez-vous lijkt me het meest gepaste voor ieder wie de kunstwerken echt wenst te doorgronden » (Honoré δ’O).

Uitgenodigd om de MADmusée collectie onder ogen te nemen, heeft kunstenaar Honoré δ’O gewenst zijn commissarisrol niet stricto sensu te spelen. Hij wil geen redevoering houden die zich de werken toe-eigent. Liever dan een volledige bloemlezing van de collectie toont Honoré δ’O een selectie kunstwerken. Zijn installatie concentreert zich meer op de kwaliteit van de ontmoeting met de werken. Gedurende de tentoonstelling zullen artiest en museum enkele vooraanstaande personen uitnodigen om de installatie aan te wakkeren en de innigheid van de ontmoeting te versterken. De bezoekers zullen wel zien wie ze in hun interpretatie van de kunstwerken vergezelt.

AU COMPTE-GOUTTE
[la collection du MADmusée revisitée par Honoré δ’O]
[de MADmusée collectie gezien door Honoré δ’O]
23.02 > 11.05.2013
arc d’Avroy
4000 Liège – Belgium
Ouvert en semaine de 10h à 17h, samedi de 14h à 17h. Fermé dimanche, jours fériés.

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Pol Pierart, les films

(…) A cette pratique photographique, Pol Pierart a donc ajouté celle du film. Le médium est évidemment tentant. Il a ses qualités ontologiques, celle d’être, par rapport à la photographie, une succession de photogrammes. Dans le cas du travail de Pol Pierart, c’est évidemment capital. Pierart choisira le super 8, non par nostalgie, mais bien pour l’aspect familier, voire même familial du médium, son caractère courant et sans prestige, ce grain de l’image très particulier. Les photographies sont toutes d’un même format, les films le seront aussi. Pierart choisit, la plupart du temps, des bobines de trois minutes. En amont, ces films sont écrit d’une façon très précises ; la post production est  quasi inexistante. Elle se résume le plus souvent à l’adjonction d’une bande sonore, généralement décalée, aussi légère que le sujet sera grave. Souvent, le bruit mécanique du projecteur suffit à souligner le défilement des images. A ses films, Paul Pierart donne parfois un titre ; plus généralement, ils sont seulement numérotés. Le générique est dès lors minimal, d’autant que le scénariste, le réalisateur et l’acteur ne sont qu’une et même personne. Une seule complice prête son concours pour des scénarii en duo, aussi drôles et désopilants que graves. Pol Pierart renoue avec le cinéma muet ; ses écriteaux insérés dans l’image, comme dans ses photographies, feront office de cartons. (…)

Pol Pierart, film n°12, Film super 8, numérisé sur support DVD, NB, son, 2.37, 2005

Trois films sont aujourd’hui à découvrir. Le premier cite et renoue avec l’esthétique des débuts du cinéma, de Feuillade en particulier. Son synopsis est simple : L’auteur, réalisateur et interprète se filme, marchant de dos dans un jardin. Un carton commente : « On part à la conquête de l’univers et on ne se connaît pas de dos ». Tandis qu’il a ainsi le dos tourné, une singulière Musidora, en bonnet et collants noirs s’introduit chez lui, fouille, dérobe un petit squelette en plastique qu’elle cache dans son giron, et est finalement surprise par le propriétaire des lieux. Querelle, l’homme lui arrache ce qu’elle considère déjà comme son bien ; l’œil mauvais, il secoue le petit squelette comme un prunier. « La mort est tellement dynamique, qu’elle doit bien avoir quelque chose de vivant ». Cependant, Musidora secoue, elle, un ours en peluche. Naître, donner la vie, vivre, mourir, autant de désespérances.

Pol Pierart, le malheur, le bonheur, 6 min 36, couleurs, sans son, 2001

Le deuxième, cette fois en couleurs, est un diptyque, composé de deux bobines. La première est consacrée au malheur, la seconde au bonheur. Ce sont de muets instantanés, un film cousu de petites choses décousues. Défilent ainsi les images d’un couple assis sur un banc de jardin entouré de potirons et autres cucurbitacées, d’un pèse lettre posé devant un rideau flottant au gré du vent (il est vrai que Pol Pierart pèse chaque mot, chaque lettre), d’une promenade dans un chemin creux, près d’un ancien fort, d’une chute, celle littérale du caméraman. Un singulier cagoulard, présente à la caméra une série de cartons successifs. « J’ai deux nouvelles, une bonne et une mauvaise », lit-on. « Je commence par la bonne ». « Vous allez mourir ». « La mauvaise maintenant ». « Pas tout de suite ». Deux pieds masculins cachent le centre d’une inscription tracée sur le plancher, tandis que passent deux jambes féminines gainées de nylon. Le « désir » se lit sur le plancher. Les talons de la femme sortent du champ ; les espadrilles de l’homme disparaissent du côté opposé et dévoilent le mot « désunir ». Au mur, c’est « Etre et s’empêtre » qui se conjuguent. Mais, passons au bonheur : un travelling sur des haies tracées aux cordeaux sur des pavillons qui abritent autant de bonheurs conformes offre une belle transition ; les gazons sont entretenus, les pavés rigoureusement appareillés. « Ce sont des images comme on aimerait en voir tous les jours », lit-on sur un carton accroché aux buissons. Comme, peut-être, celles de ce vent d’été glissant dans un rideau de porte, celles de ces passants promeneurs entraperçus par la fenêtre, celle de cet homme qui repeint sa clôture. C’est « le bonheur pour tout le monde », insiste le scénariste. Une allée de verdure s’étire entre deux haies. « Ce qui nous manque, ce n’est pas de jouir. Mais de bander », lit-on sur deux cartons successifs. Quant aux nains de jardins, aux boîtes aux lettres les plus kitsch que piste enfin la caméra ; ce sont des « emerdveillements ». Plan final sur le même couple assis sur le même banc de jardin. Ils ont l’air préoccupés. Non, ils ont l’air de royalement s’emmerder. Finalement, je préfère les images du « malheur ».

Pol Pierart, film n°22, Film super 8, numérisé sur support DVD, NB, son, 2.11

Le troisième débute par un travelling sur un long carton manuscrit : on y lit « tête haute, profil bas ». Le ton est grave tandis que surgissent dans le prolongement du carton, l’image de deux tours jumelles. L’auteur réalisateur et toujours interprète a d’autres préoccupations. Dans l’atelier (A te lier), il déplace de gauche à droite et de droite à gauche de grands cartons dont l’encombrement est inversement proportionnel à l’étroitesse de la pièce. Leurs textes témoignent de nos ronchonnades journalières, cœur des lamentations quotidiennes : « c’est pas une vie », « trop c’est trop », « ras le bol de tout », « il pleut encore » (en fait, il neige), « vie de chien ». Chaque plan est entrecoupé de très courtes séquences de promenade en extérieur. Par la fenêtre, on voit défiler quelques voitures : elles évoquent les « heures de pointe ». Non, les « heurts de pointe ». Dernière sortie en extérieur, où l’on découvre un panneau d’interdiction frappé d’une tête de mort et du mot « Halte » que Pol Pierart a détourné en toute « Hâte », ou « Hate », pour les anglophones. « Demain sera pire », carton final. Depuis l’image des tours jumelles, le fond sonore est léger et jazzy.

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