Avant propos à trois expositions
Vernissage ce jeudi 15 mars
Emilio Lopez Menchero, Gare au gorille !
Non, Emilio Lopez Menchero ne tente pas d’être Georges Brassens. Il n’a pas plus décidé d’incarner le célèbre primate de la chanson, celui dont « avec impudeur, les commères lorgnent un endroit précis que rigoureusement ma mère m’a défendu de nommer ici »…
Gare au Gorille ferait plutôt référence à King Kong croisant Tarzan au bord de l’Hudson, au Yeti tibétain accompagnant Chang au cœur d’une fête populaire à China Town, à Tintin – prononcez Kuifje – et au gorille de l’île Noire, noire comme l’or pétrolifère. La « cienaga » est une coulée de boue comme il en fuse lorsque jaillit le pétrole, la « cienaga » est un large boulevard qui relie, à Los Angeles, Sunset boulevard et West Hollywood. Gare au gorille ! Le titre de cette exposition convoque, en tout cas, l’inattendu. Et l’inattendu, c’est ici, la peinture. Toute l’exposition lui est dévolue.
D’Emilio Lopez Menchero, on connaît les performances, les photographies des « Trying to be », les interventions urbaines, temporaires ou pérennes, la réflexion socio politique dont il témoigne lorsqu’il s’empare des poncifs sociétaux et des images du monde. On ne connaît pas sa peinture, ce fantasme de gamin qui amena son père à lui offrir des tubes de couleurs, sans aucun délai ni retard, à la sortie d’une visite au Prado. Emilio Lopez Menchero avait alors quinze ans et n’a, depuis, jamais quitté les champs de la peinture. Ce n’est pas pour rien que l’œuvre fondatrice de ses « Trying to be » consista à s’emparer du regard de Pablo Picasso. Ce n’est pas pour rien qu’il y a un an à peine, il performait dans la salle Rubens du musée des Beaux-Arts de Bruxelles, titrant son intervention, non sans un certain lyrisme : « Autoportrait adolescent de mon éblouissement jaloux et de mon ébahissement illimité face à l’Histoire de la Peinture ! ». C’est aujourd’hui, comme dans l’urgence, deux expositions en une qu’il nous offre. Si la première consiste à revisiter sur le mode de l’autoportrait ses diverses incarnations en une série de regards, la seconde rassemble une douzaine de toiles très récentes qui, dans un jaillissement, rassemble et recompose l’ensemble de ses préoccupations.
Marie Zolamian, les désorientés
L’Académie des Beaux-Arts de Liège accueille du 9 au 20 avril un important programme intensif Erasmus, second projet de l’ « European Forum of History and Art ». Transdisciplinaire et « cross-border network », ce programme réunit des universités et des écoles supérieures, provenant de Trèves, Sarrebruck, Dublin, Cracovie, Gdansk, Luxembourg, Paris, Montréal, Milan, Maastricht ou Kansas City, réunies en réseau. Ateliers, colloques, conférences, ce forum européen focalisera son attention sur les questions de migration dans les domaines économiques, politiques et culturels. « Melting Pot Migration in the Walloon région » est bien évidemment exemplaire en ces domaines tant la révolution industrielle du XIXe siècle a radicalement transformé le paysage humain de la région liégeoise.
C’est dans ce cadre, celui de la mixité, du patrimoine en mutation, des migrations volontaires ou forcées que s’inscrit l’exposition de Marie Zolamian, produite à la galerie
Plasticienne, et enseignante à l’Académie des Beaux Arts de Liège, conférencière dans le cadre de ce forum européen, Marie Zolamian est d’origine arménienne, née à Beyrouth au Liban, installée en Belgique dès 1990, au lendemain « officiel » de la guerre au Liban. Elle a donc perdu l’Orient et titre son exposition : « Les désorientés ». Ces questions de déracinement, de mémoire individuelle et collective, d’affiliation ou d’appropriation sont au cœur même de son travail.
Marie Zolamian a réunit deux œuvres pour l’occasion. « After before » (2011) et « les Anonymes » (2011) ont pour point commun de métisser le son et l’image. Elles reposent toutes deux sur un récit, celui des sœurs Marthe et Betty, deux augustines qui ont œuvré toute leur vie en l’ancien hôpital militaire d’Anvers, celui d’Alphonse Delagoen, jardinier en chef de la commune de Flemalle qui a pisté, jusqu’à Amsterdam, les six anciens bustes de la Maison Renkin.
Jeroen Van Bergen
Log cabins
Elles viennent d’être exposées à Arco Madrid. Elles apparaissent dans une toile d’Emilio Lopez Menchero qui évoque les maisons de bois typiques des paysages qui bordent l’Hudson. Ce sont les « Log Cabins » de Jeroen Van Bergen.
Jeroen Van Bergen est un constructeur prosaïque, frénétique par le nombre de ses projets, doué d’un singulier sens pratique. Il érige, il bâtit dans l’espace, à toutes les échelles et se sert de tout matériau. Plasticien, il n’est ni architecte, ni urbaniste mais définit la construction comme une nécessité première. Il rejoint là un architecte bénédictin compatriote, Hans van der Laan, qui dès les années 30 énonça haut et fort sa volonté de retisser des liens entre l’acte technique de construire et notre besoin primitif de définir notre espace environnant. Qu’on s’en souvienne, Ludwig Mies Van der Rohe se déclarait aussi « constructeur ». Tout comme van der Laan, qui imagina bâtir suivant un nombre plastique et un enchaînement numérique de proportions mathématiques, Jeroen Van Bergen bâtit en déclinant ses projets sur base d’un même module constitutif. Chez Hans van der Laan, promoteur d’une architecture spirituelle et liturgique, l’unité fondamentale était celle de la « cella », espace individuel d’action, de réflexion et de perception. Chez Jeroen Van Bergen, visionnaire d’une architecture critique et ironique, ce module de base aura les dimensions standardisées des toilettes, telles qu’elles sont fixées par la loi néerlandaise. Sa « cella » mesure 110 centimètres de large, 90 de profondeur, 260 en hauteur. Les dimensions de la porte sont de 210 sur 90 et l’éventuelle petite fenêtre qui permet de jeter un œil sur le monde mesure 45 centimètres sur 70. Voilà la divine proportion modulaire ; triviale, pragmatique, répondant aux standards et aux normes de Neufert.
Qui ne se souvient pas des toilettes au fond du jardin ? De ces cabanons constitués de quelques planches mal jointes, un cœur percé à hauteur de regard, indiquant que ce n’est pas là qu’on range les outils du jardin ? Qui n’a pas fredonné les premiers mots de la chanson de Line Renaud, « Ma cabane au Canada est blottie au fond des bois, on y voit des écureuils, sur le seuil… ». Ces cabanons de fond de jardin sont à l’origine des dernières productions de Jeroen Van Bergen, toujours conçues sur le même module de base, les mêmes normes et prescriptions canoniques, ce standard des water closed, décliné en soupentes et frontons, contrevents, tours et terrasses garnies de leurs garde-corps. Du fond du jardin, on se transporte au Montana, dans le grand nord américain, en quête des cabanes de trappeurs, de prospecteurs, d’aventuriers solitaires. Ces maquettes, Jeroen Van Bergen les nomme d’ailleurs « log cabins ». A échelle, posées sur le sol, elles ne sont pas plus grandes qu’une niche pour chien. Reproduites au dixième de ces sculptures, maquettes de maquettes dès lors, installées sur présentoirs, elles pourraient constituer un catalogue tridimensionnel d’abris de jardin prêts à l’installation. Comme quelques standards à la mode.