Archives mensuelles : mars 2012

agenda avril 2012

Orla Barry
– Hornu (B), Le Grand Atelier, musée des Arts contemporains de la Communauté française, MAC’s, jusqu’au 3 juin 2012

Honoré d’O
– Antwerpen (B), Cinq siècles d’images à Anvers, exposition inaugurale du Museum aan Stroom, 12 mai – 31 déc. 2012
– Wetteren (B), Aangeraakt/ Touché, Old factory Les Coordonniers, du 20 avril au 11 mai.

Aglaia Konrad
– Bruxelles (B), « Monolith/life » (en duo avec Willem Oorebeek), Sint-Lukasgalerie, du 9.03 au 21.04. 2012 (solo)
– Paris (F), screening :  « Concrete & Samples IV », musée de la chasse et de la nature, le 11 avril 2012

Jacques Lizène
– Paris (F), Les Maîtres du désordre, Musée du Quai Branly,  11 avril – 29 juillet
– Paris (F), Réouverture du Palais de Tokyo, 12 – 13 avril
– Antwerpen (B), Cinq siècles d’images à Anvers, exposition inaugurale du Museum aan Stroom, 12 mai – 31 décembre 2012.
– La Louvière (B), CAP 40 ans, images réelles et virtuelles, Centre de la gravure et de l’image imprimée, 28 janvier – 29 avril 2012
– La Louvière (B), Escargots à gogo, Daily-Bul & Co, jusqu’au 29 avril 2012

Capitaine Lonchamps
– La Louvière (B), Escargots à gogo, Daily-Bul & Co, jusqu’au 29 avril 2012
– Liège (B), BIP 2010, Biennale de la photographie de Liège, Only You, du 10 mars au 06 mai 2012.
– San Benedetto del Tronto (I), Ubu sotto tutti gli aspeti, Palazzina Azura, du 7 au 18 avril

Emilio Lopez Menchero
– Liège (B), Homme Bulle, Bibliothèque des Chiroux, jusque fin avril 2012
– Liège (B), Gare au Gorille, galerie Nadja Vilenne, du 15 mars au 29 avril (solo)

Jacqueline Mesmaeker
– Bruxelles (B), I’m a foot fan, Congrès, jusqu’au 5 avril 2012

Benjamin Monti
– Tournai, Maison de la Culture, du 23 mars au 22 avril (solo dans le cadre de « La Ville des Mots »)

Jeroen Van Bergen
– Liège (B), Log Cabins, galerie Nadja Vilenne, du 15 mars au 29 avril 2012 (solo)
– Delft (Nl), Kim Habers / Jeroen Van Bergen, 38 CC, 22 avril – 3 juin 2012

Walter Swennen
– Antwerpen, Cinq siècles d’images à Anvers, expo sition inaugurale du Museum aan Stroom, 12 mai – 31 dec 2012
– Bruxelles (B), Présent !, La Centrale Electrique, jusqu’au 22 avril 2012.
– s’Hertogenbosch (PB), Kapsaloniki, galerie Arti Capelli, du 4 mars au 21 avril.
– Hornu (B), Le Grand Atelier, musée des Arts contemporains de la Communauté française, MAC’s, jusqu’au 3 juin 2012

Marie Zolamian
– Liège (B), Les désorientés, galerie Nadja Vilenne, du 15 mars au 29 avril 2012 (solo)

Emilio Lopez Mechero, Eyes

Ce sont presque deux expositions en une que propose Emilio Lopez-Menchero.  Si le rez-de-chaussée regroupe toutes ces toiles libres et jaillissantes qui recomposent, métissent, mêlent des éléments provenant du large univers de ce qui l’absorbe, l’étage met en scène une seule série de toiles.

Toutes ou presque appartiennent à la série « Eyes », autant de portraits, ou plutôt d’autoportraits, une singulière démarche qui consiste à prolonger, à revisiter, par le biais de la peinture, la série déjà longue de ses « Trying to be ». C’est à dessein que j’utilise le terme d’autoportraits  car il s’agit en effet, pour l’artiste, de se représenter sous les traits d’autrui.
Depuis l’aube des années 2000, Emilio Lopez Menchero a tenté de nombreuses incarnations ; celles-ci ont fait l’objet de films, de performances, de photographies. A chaque fois, partant d’une image bien précise et signifiante, il s’agit  pour lui de capter les signaux émis par l’icône qu’il affronte, non pas  dans un simple jeu de travestissement burlesque ou de transformisme excentrique, mais bien, en pleine appropriation, dans une totale expérience de construction et d’invention de soi. Certes, du point de vue performatif, on ne sous-estimera pas tout l’héroïsme domestique que chaque incarnation suppose, le soin à apporter au costume et éventuels accessoires, la qualité du maquillage, le régime pondéral à suivre en fonction de la ligne du modèle, la programmation des projets à gérer au fil de l’évolution pileuse, l’épilation – aussi – parfois nécessaire, surtout dans le cas des incarnations transgenres. Si tout cela contribue à la fortune des Trying to be, ce n’est néanmoins pas là que se situe l’essentiel, l’attitude, le discernement et la transmission du sens de l’image ou des images mises en œuvre, la faculté de littéralement se mettre dans l’esprit du modèle, la capacité de capter son regard. Il s’agit en effet moins de se mettre dans la peau du modèle que de conquérir son regard. Le cas de Picasso, que nous évoquions dans la précédente notule, est exemplaire.

Singulièrement, Emilio Lopez Menchero a entrepris de peindre certaines de ces photographies, de s’auto-portraiturer en Russell Means, en Balzac de Rodin, Yasser Arafat ou Frida Kahlo.  A chaque fois, les traits du visages disparaissent. Emilio Lopez Menchero ne peint pas leurs yeux. De ceux-ci, il fera des close-up, de petites toiles au plan serré, cadré sur les yeux de ses modèles, ou plutôt sur ses yeux à lui, transfigurant le personnage incarné. La puissance de regard de Picasso, l’esquive (de l’ecchymose) des yeux de Rrose Selavy, la froideur du regard de Carlos, les yeux  perçants de Russell Means, ceux du Che, fixés au loin, le regard de Balzac immuable, celui de Frida profond, impérieux. Expérience troublante, tous sont différents, et pourtant les mêmes, puisqu’il s’agit des yeux d’Emilio Lopez-Menchero. S’établit ainsi un étonnant chassé-croisé avec les toiles sans regard. Celles-ci ne renvoient désormais plus au « Trying to be », mais bien à leurs sources elles-mêmes, rendant visible le sens qui les habite. Le visage – anonyme – de Balzac contient toute la stature de la sculpture de Rodin. Les yeux d’Arafat sont barrés d’une ligne verte ; et celle-ci, on le sait, renvoie aux frontières fixées lors de l’armistice de 1949.  Quant à la toile représentant Frida, elle n’est plus qu’un seul tableau de fleurs, cet élément de décor de la photographie faite en 1939 par Nickolas Muray, Frida Kahlo sur le banc blanc, vrai manifeste politique en faveur d’une culture mexicaine autonome.

 

Emilio Lopez Menchero, gare au gorille

« Gare au gorille ! » Non, Emilio Lopez-Menchero ne tente pas d’incarner Georges Brassens, pas plus que le célèbre primate de la chanson, celui dont « avec impudeur, les commères lorgnent un endroit précis que rigoureusement ma mère m’a défendu de nommer ici »… « Gare au gorille ! »  ferait plutôt référence à King Kong croisant Tarzan et Jane au bord de l’Hudson, nouveau Monde perdu façon Conan Doyle, au Yeti tibétain accompagnant Chang au cœur d’une fête populaire à China Town, à Tintin – prononcez Kuifje –  et au gorille de l’Île Noire, Ranko, aussi noir que pouvait l’être l’or pétrolifère lorsque le colonel Drake le fit surgir du sol de Titusville. La « Cienaga » est une coulée de boue comme il en fuse lorsque le pétrole jaillit, la « Cienaga » est aussi un large boulevard qui, à Los Angeles, relie Sunset boulevard et West Hollywood. « Gare au gorille ! »  claque comme un avertissement et annonce, en tout cas, l’inattendu. Et l’inattendu, ici, c’est la peinture. Toute cette exposition d’Emilio Lopez-Menchero lui est dévolue.

D’Emilio Lopez-Menchero, on connaît les performances, les « Trying to be » transposés en portraits photographiques, les interventions urbaines, temporaires ou pérennes comme l’est la « Pasionaria » installée aux abords de la gare du Midi à Bruxelles, on connaît la réflexion sociopolitique dont il témoigne lorsqu’il s’empare des clichés sociétaux, des images du monde ou de situations urbaines et architecturales particulières. On ne connaît pas sa peinture, ce fantasme de gamin qui contraint son père à lui acheter des tubes de couleurs, sans délai ni retard, à la sortie d’une visite familiale au Prado à Madrid. (Ou aux Offices à Florence. Je ne sais plus dans lequel de ces deux musées cet irrépressible désir s’est fait sentir ; disons au Prado, tant cela sied à la mythologie personnelle de l’artiste). Emilio Lopez-Menchero avait alors quinze ans et n’a, depuis, jamais quitté les champs de la peinture.

Ce n’est pas pour rien que l’œuvre fondatrice de ses « Trying to be » consista à s’emparer du regard de Pablo Picasso. Certes, Picasso, c’est le compatriote, le joueur, le campeador, cet héros à l’image du Cid, le boxeur dans son atelier de la rue Schoelcher à Paris, bien décidé à mettre tout le monde KO, l’image même du machisme, voire du « taureau-machisme », mais c’est aussi – et surtout – le peintre. Oui, s’emparer du regard du peintre, ce « regard Picasso » pour reprendre l’expression de Nelly Kaplan, si sombre et si puissant. Ce n’est pas pour rien non plus, qu’il y a un an à peine, Emilio Lopez-Menchero performait dans la salle Rubens du musée des Beaux-Arts de Bruxelles, titrant son intervention, non sans un certain lyrisme : « Autoportrait adolescent de mon éblouissement jaloux et de mon ébahissement illimité face à l’Histoire de la Peinture ! ». La peinture, on le voit, a toujours été une nécessité, un désir, une urgence de plus en plus pressante.

« Gare au gorille ! » est le titre d’une toile récente d’Emilio Lopez Menchero,  un  Kong puissant, primitif et monumental qui semble jaillir de la toile et de la peinture face à une frêle Vina Fay Wray, toute petite dans un coin du tableau. Dans l’exposition, elle voisine une toile au format bien plus modeste, un portrait de Tintin, éructant, expulsant de la couleur, pas n’importe laquelle, des couleurs, les couleurs nationales même. Et le titre de l’œuvre se prononce Kuifje. Plus loin, deux militaires, une cahute, un décor urbain, un pan de bannière américaine, une peinture d’histoire. Emilio Lopez-Menchero peint le Check Point Charly ; les jus de la couleur dégoulinent sur les façades et les quadrillent. Plus loin encore, ce très grand format, à la mesure des Skywatch du NYPD, ces miradors télescopiques et mobiles de la police new-yorkaise qui surplombent ici une étendue d’eau, l’Hudson peut-être, des maisons en bois sur la rive, Tarzan et Jane, ou plutôt Maureen O’Sullivan et Johnny Weissmuller, enlacés sur la grève. Cette toile, Emilio Lopez Menchero l’a peinte au retour d’un voyage à New York. Il a longuement longé la baie d’Hudson, il a scruté les maisons en bois qui la borde, il a bien évidemment observé ces singuliers miradors mobiles aperçus du côté de Ground Zero. Ce sont toutes choses qui attirent son regard, qui participe de ses préoccupations. Emilio Lopez Menchero porte un intérêt constant aux icônes du siècle, comme celle de Johnny Weissmuller qui apparaît dans cette toile, et dans d’autres aussi, Tarzan dont il s’est emparé du célèbre cri qu’il fit résonner du haut de huit tours de la ville de Gand, huit fois par jours, durant trois mois, pièce sonore qui transforma la cité en jungle urbaine. Comme Tintin qui, au nord du pays, s’appelle Kuifje et qui éructe dans toutes les langues nationales. Ou Bibendum, gonflé et aérien dans la toile appelée Le Cahier, El Cuaderno. Ou Russell Means, ce chef des Lakota-Oglaia, la tribu de Sitting Bull, Russell Means qui s’illustra dans le film Le Dernier des Mohicans, que peignit Andy Wahrol et auquel  Emilio Lopez Menchero s’identifia dans l’un de ses Trying to be, rendant ainsi hommage à la fois au pape du pop et au chef améridien. Ou encore cette femme qu’il nomme Paki Beauty, parce qu’elle est icône affichée dans la boutique pakistanaise voisine de son atelier. Oui, la peinture d’Emilio Lopez-Menchero, tout en conquérant son autonomie, fait resurgir d’autres œuvres, des films ou des performances qu’il a commis. Cienarga, ce cow-boy qui semble s’être tiré une balle dans le pied, tout ahuri de voir surgir du sol un geyser de boue nous renvoie à « Once Upon a time »,  cette performance où Emilio Lopez –Menchero transforma, par le son et l’image, le centre-ville de Courtrai, cité qui en Flandre Occidentale connut sa ruée vers l’or, en ville de western. Lorsqu’il peint « China Town », ce grand masques festif et carnavalesque sur fond de ville et de buildings se mêlent à la foule indistincte deux figures de sumo. On se souvient d’Ego Sumo, ce film où Emilio Lopez Menchero, face à lui-même, à son double dans le miroir, se prend pour un sumo dandinant. Emilio Lopez-Menchero peint son univers, ce qui nourrit son imaginaire, un continuel métissage de situations, ce qu’il observe et, du coup resurgit, tout comme un souvenir, un film où les plans se succèdent et se superposent ; la peinture est jaillissante, urgente, jubilatoire, elle compose et décompose, elle s’affranchit de l’image. De cette scène carnavalesque en l’honneur de l’année du Dragon, il ne subsiste plus que les jambes dansantes et gainées de nylon, que les talons hauts de ces majorettes péruviennes, ou boliviennes ou colombiennes, je ne me souviens plus, et qu’importe d’ailleurs. Tout le reste de la toile n’est que liesse des jupes de ces dames dans lesquels apparaissent deux paires d’yeux ahuris et étonnés, des groupes de silhouettes portant le bleu de travail des classes laborieuses en Chine.

Jeroen Van Bergen, American Cabines (2)

Schetsen & teksten, technique mixte sur papier, 2012

American Cabine 001 mini (échelle 1/10) (toit en pente), 2011 Box : 48 x 45 x 38 cm

American Cabine 002 mini (échelle 1/10) (style saloon), 2011 Box : 45 x 43 x 28 cm

American Cabine 003 mini (échelle 1/10) (toit à deux versants), 2011 Box : 48 x 45 x 38 cm

Jeroen Van Bergen, American Cabins

Les toilettes sont au fond du jardin

Jeroen Van Bergen est un constructeur prosaïque, frénétique par le nombre de ses projets, doué d’un singulier sens pratique. Il érige, il bâtit à toutes les échelles et se sert de tout matériau. Lorsqu’il s’agit de maquettes, il met en œuvre le carton plume, la mini brique ou la résine ; et la brique, le bois, la plaque de plâtre, le béton cellulaire dès le moment où le pourcentage de l’échelle augmente. Plasticien, il n’est ni architecte, ni urbaniste mais définit la construction comme une nécessité première. Il rejoint là un architecte bénédictin compatriote, Hans van der Laan, qui dès les années 1930 énonça sa volonté de retisser des liens entre l’acte technique de construire et notre besoin primitif de définir notre espace environnant. Qu’on s’en souvienne, Ludwig Mies Van der Rohe se déclarait aussi « constructeur ».

Tout comme van der Laan, qui imagina bâtir suivant un nombre plastique et un enchaînement numérique de proportions mathématiques,  Jeroen Van Bergen bâtit en déclinant ses projets sur base d’un même module constitutif. Chez Hans van der Laan, promoteur d’une architecture spirituelle et liturgique, l’unité fondamentale était celle de la « cella », espace individuel d’action, de réflexion et de perception. Chez Jeroen Van Bergen, visionnaire d’une architecture critique et ironique, ce module de base aura les dimensions standardisées des toilettes, telles qu’elles sont fixées par la loi néerlandaise. Sa « cella » mesure 110 centimètres de large, 90 de profondeur, 260 en hauteur. Les dimensions de la porte sont de 210 sur 90 et l’éventuelle petite fenêtre qui permet de jeter un œil sur le monde mesure 45 centimètres sur 70. Cette proportion modulaire, triviale, pragmatique, répond aux standards et aux normes de Neufert. La juxtaposition et la superposition de ce module de base permettront l’extension sans fin du domaine de cette fièvre constructrice et le système sera global. Jeroen Van Bergen l’applique d’ailleurs à tout programme architectural et urbanistique, qu’il s’agisse de se mesurer à la Burj Khalifa de Dubaï (et même, ceci dit en passant, de surpasser celle-ci de soixante-dix mètres), de construire des baraque à frites, d’évoquer un Manhattan globalis, de lotir la banlieue, de composer un labyrinthe de favélas hygiéniques ou même d’investir un chantier naval. La fièvre est inflationniste, tout comme l’est ce système appliqué avec une implacable logique.

Voici donc que Jeroen Van Bergen construit des cabanes. Il les décline en soupentes et frontons, contrevents, tours et terrasses garnies de leurs garde-corps. Posées sur le sol, elles ne sont pas plus grandes que des niches pour chien. Tout le monde se souvient, bien sûr, des toilettes au fond du jardin, de ces cabanons constitués de quelques planches  mal jointes, un cœur percé à hauteur de regard, indiquant que ce n’est pas là qu’on range les outils du jardin.  Si l’on s’en tient au point de départ de la démarche de Jeroen Van Bergen, tout se tient : nous serions devant la version rustique et de plein air de sa toilette modulaire. Si l’on transcende ce point de départ, les choses deviennent plus complexes, car bien sûr ce concept d’unité fondamentale tel que Jeroen Van Bergen l’aborde, recouvre bien d’autres réflexions.

Jeroen Van Bergen nomme ses cabanes « log cabins ».  ou encore « American Cabins ». Du fond du jardin, on se transporte au Montana, dans le grand nord américain, en quête des cabanes de trappeurs, de prospecteurs, d’aventuriers solitaires. Dans le Montana ou ailleurs.  Jeroen Van Bergen fait, lui, référence à la Louisiane. Dans « dessins et textes » (Schetsen en teksten), ces notes de travail, ces esquisses de projet de maquettes qui accompagnent les « Cabanes américaines », il évoque le film de Jim Jarmusch, « Down by law »,  cette cavale de trois fugitifs dans les marais de la région de La Nouvelle Orléans. Ce sont, bien sûr, les cabanes des marais, leurs toitures à pignon et leurs vérandas, leur abandon et leur état vétuste qui ont frappé son imagination.

Moi, c’est le titre du film qui me frappe : « Down by law », sous le coup de la loi, ceci sous-tend la règle et la norme sociétale. Dans ses notes, Jeroen Van Bergen s’interroge  sur la réception  future de ses cabanes, bien conscient qu’il décline d’une autre façon ce concept d’unité fondamentale qui conduit sa pratique. Ses cabanes, bien qu’elles soient toujours construites sur base de ce même principe, ne semble plus rien avoir à faire avec les parallélépipèdes blancs, incolores dit-il, percés d’une fenêtre et d’une porte, pure création d’un espace sans fonction, qui constitue le point de départ de ses constructions. Cela tombe sous le sens, ce module de base n’est plus aussi directement perceptible. Et pourtant, ces cabanes évoque tout autant, mais sur d’autres plans, cette  « cella » d’origine, cet espace nécessaire constitué d’un toit, de quatre murs, d’une ouverture afin d’y accéder, d’une fenêtre afin de contempler le monde dès le moment où l’on se situe à l’intérieur de l’espace. La cabane cristallise les spéculations sur l’enfance de l’homme, dans tous les sens, qu’il s’agisse de la hutte primitive, celle des origines de l’humanité, comme des cabanons que nous avons tous bâti dès l’enfance, cabanes d’apprentissage et  d’imaginaire. Qui n’a pas fredonné les premiers mots de la chanson de Line Renaud, « Ma cabane au Canada est blottie au fond des bois, on y voit des écureuils, sur le seuil… ». Et s’il est question d’en revenir aux origines de l’humanité, je repense, aux leçons de Vitruve – eh oui, remontons le temps – , à ses dix Livres d’Architecture : « D’autres, écrit-il, imitant l’industrie des hirondelles, pratiquaient avec de petites branches d’arbre et de la terre grasse, des lieux où ils pouvaient se mettre à couvert ; et chacun considérant l’ouvrage de son voisin, perfectionnait ses propres inventions par les remarques qu’ils faisait sur celles d’autrui ; il se faisait donc chaque jour de grands progrès dans la manière de bâtir des cabanes, car les hommes dont le naturel est docile et porté à l’imitation, se glorifiant de leurs inventions, se communiquaient tous les jours ce qu’ils avaient inventé de nouveau ».

Jeroen Van Bergen respecte la norme, sa norme. Et il en évoque même beaucoup d’autres. Cette cabane des origines, celle qui condense la nécessité première d’habiter ou de se déplacer, celle de Descartes, lieu spéculatif, ou celle de Big Jim dans la « Ruée vers l’Or » de Chaplin, cabane emportée par la tempête sur les ailes du désir, est aujourd’hui sujette à toutes les normes. De nos jours les cabanes sont bio climatiques, bâties en bois à ossature sectionnelle MOS. Elles sont conçues en DAO, leurs panneaux muraux sont en bois massifs de type MHM ou KLH, le bois a été cultivé dans le respect des normes PEFC, l’isolation thermique est ITE, les solives respecteront bien sûr les règles NFP 06-001  Les normes, les standards sont nombreux et l’attitude ECO bien sûr de mise. Désormais, on ne construit plus sa cabane au Canada comme bon nous semble. Dans ce sens, les « American Cabins » de Jeroen Van Bergen, elles, pourraient, à échelle réelle, se vendre en kit, tant elles semblent condenser l’idéal pratique et standardisé de la cabane, transformée en domestique abri de jardin, tel que ceux-ci sont aujourd’hui produit, en série, la consonance de leur nom évoquant un rêve de dépaysement garanti.  « Saloon », « Swamp », « Edelweiss », « Châlet » ou que sais-je…  J’appellerais volontiers la plus petite des quatre « Kiosk » en l’honneur de Sir Giles Gilbert Scott, concepteur en 1923, de la version mythique de la cabine téléphonique britannique. Ses cabanes condenseraient donc, dans des allers-retours qui ne sont pas sans vertige, nécessité primitive et norme régulée, singularité créative, vernaculaire même, et standards collectifs manufacturés.  De grands écarts, assurément.

 

 

 

 

 

Benjamin Monti, maison de la culture de Tournai

Benjamin Monti  expose en solo à la Maison de la Culture de Tournai, dans le cadre de Tournai, Ville de Mots, semaine de la langue française en fête.
Exposition du 24 mars au 22 avril. Vernissage le 23 mars à 19h.

Le communiqué de la maison de la culture :

Benjamin Monti est un artiste belge, né le 20 juillet 1983 à Liège.
Cofondateur du fameux fanzine liégeois Mycose, il participe à de nombreuses autres publications indépendantes depuis plus d’une décennie et y développe un univers graphique atypique se situant entre la bande dessinée et l’art contemporain.
Benjamin Monti est un recycleur d’images, collectionneur de curiosités imprimées qu’il hybride et recompose, proposant une lecture sans cesse revisitée.
L’écrit, le manuscrit, l’imprimé y sont triturés et recroisés sans vergogne. Il se positionne ainsi au croisement du texte et de l’image, dans un recyclage expérimental où la question de la création reste centrale.

 

Marie Zolamian, les désorientés

Ce sont donc deux œuvres qui métissent le son et l’image que Marie Zolamian a réunies pour cette exposition qu’elle titre « Les Désorientés ». Toutes deux ont pour trait commun de reposer sur un récit, un témoignage qui touche à l’identité individuelle et collective, à des notions de territoire et de mémoire, à des lieux patrimoniaux. Singulièrement, dans un cas, la bande sonore dialogue avec une série de photographies, dans l’autre avec une petite toile peinte à l’acrylique, de façon si étroite que l’on ne discerne finalement plus si le son procède de l’image ou celle-ci prolonge le récit qu’on écoute. Toutes deux nous renvoient continuellement du passé au présent, toutes deux nous orientent dans le champ de la mémoire, tandis que les œuvres elles-mêmes, au fil de leur propre déambulation, c’est à dire au fil des expositions, trouvent de nouvelles configurations qui nous les rendent plus proches encore, de telle sorte qu’elle mêlent l’extérieur et l’intime. Marie Zolamian, elle-même désorientée, ayant perdu l’orient natal, s’approprie ainsi le patrimoine culturel d’une communauté d’élection, interrogeant les notions d’appartenance et d’affiliation à un territoire, à une communauté.

Ainsi, en furetant dans le grenier de la Maison communale de Flémalle, Marie Zolamian a (re)découvert les six bustes de fonte de la Maison Renkin. Ce sont six fort classiques anonymes, de vrais ou de faux jumeaux, comme une doublure du Monde, trois fois deux bustes ou deux fois trois postures, les hommes casqués à la romaine ou ceints de la couronne de laurier, les dames joliment dépoitraillées, portant haut le chignon de Cérès. Ils proviennent de l’ancienne demeure du poète Renkin, cette élégante maison de plaisance, aujourd’hui disparue, bâtie au 18e siècle à Flemalle, en bord de Meuse. C’est là aussi que Marie Zolamian aperçut quelques isoloirs, ceux que, dans la commune, on utilise à chaque élection. Sur l’un d’eux, au dessus du placard annonçant un scrutin provincial, subsiste cette inscription : « Ne pas mouiller le crayon ». Marie Zolamian, invitée par la Commune de Flémalle, est alors en quête, à la demande du commanditaire,  d’idées convoquant la citoyenneté. Elle s’appropriera dès lors bustes et isoloirs, projetant d’installer ces derniers par couples de trois, rigoureusement alignés dans l’espace, afin d’y loger ces trois couples de bustes aux attributs d’élus. Chacun des bustes dès lors dans son isoloir, les isoloirs réunis dans un même espace, comme lors des dimanches électoraux.

On les a ainsi découvert, quelques mois plus tard, déposés sur la tablette de leur cabine, à l’abri des regards, retrouvant ainsi leur identité et leur place dans la conscience collective ; étranges assesseurs accueillant l’électeur, ils sont sortis de l’anonymat dans lequel ils étaient tombés. C’était là comme une fiction dans le réel, la mémoire d’un lieu, un lieu de la mémoire, une histoire bien réelle qui ressemble à une fiction : leur vol, la transhumance amstellodamoise de ces six sculptures qu’un jardinier communal perspicace et persévérant ramena en terre flémalloise. Marie Zolamian a, en effet, directement eu l’idée d’associer aux sculptures elles-mêmes, le récit que lui fit Alphonse Delagoen, responsable du Service des Plantations communales, principal acteur de la rocambolesque histoire des bustes de fonte de la maison Renkin, comme s’il se faisait le porte parole de ces six anonymes déplacés lors de la destruction de la demeure du poète, ensuite installés dans le parc de la maison communale, plus tard dérobés, exilés, retrouvés à Amsterdam et finalement, par crainte qu’ils ne disparaissent à nouveau, entreposés dans un grenier. Ils y sont d’ailleurs toujours.

De l’installation que conçut Marie Zolamian, ne subsiste plus aujourd’hui que l’essentiel : l’alignement des six photographies de ces anonymes et la voix d’Alphonse Delagoen qui emplit la pièce où ces six portraits semblent veiller, comme, ils le faisaient naguère, en bord de Meuse, sur les piliers de la grille de clôture de la maison du poète Renkin.

Invitée à exposer à Anvers, dans le châtelet d’entrée de l’ancien hôpital militaire de la ville, hôpital aujourd’hui pour bonne part détruit et dont le terrain a été loti en complexes d’appartements, Marie Zolamian a eu le même souci d’évoquer la mémoire collective qui habite les lieux. Dans le quartier, elle a retrouvé deux nonettes, deux sœurs augustines, Betty l’aînée, Marthe la cadette. Toutes deux, sœurs hospitalières comme l’édicte la règle de Saint Augustin, ont travaillé dès l’après-guerre à l’hôpital militaire.
En Belgique, de nombreuses sœurs hospitalières ont rejoint, dès 1835, les hôpitaux de l’armée.

Alors que la pendule de leur maison de retraite égrène les heures et les quart d’heures, comme celle du couvent devait rythmer les rites de la vie quotidienne de ces moniales, elles évoquent leurs souvenirs, toute une vie, album photo à l’appui.  La vocation, tout d’abord, l‘entrée au couvent et le noviciat, les craintes que suscitent cette retraite hors le monde : « Nous étions trois dans un camion bâché, explique sœur Marthe, et nous ne pouvions rien voir du monde extérieur. (Rires) C’est ainsi que nous sommes allées à Hoogboom pour y faire notre noviciat ». Elles parlent de la vie à l’hôpital bien sûr, de la décoration de la chapelle lors des Jubilés, de la visite officielle d’une délégation de l’Hôtel-Dieu de Paris, de leur service, l’une en salle d’opération, l’autre en salle psychiatrique, où l’on croise parfois des miliciens qui cherchent à échapper au service militaire. Elles évoquent leurs aînées, sœur Agnès qui n’a quitté son service qu’à l’âge de 90 ans, Mère Marie Léon, sœur Stanislas aussi ; celles-ci ont connu les années de guerre et le surpeuplement de l’hôpital. « Il faut dire que le couloir, explique sœur Betty, le grand couloir de l’hôpital, mais c’était avant notre époque, était rempli de lits, de malades et de soldats ». Elles parlent des suicides, des militaires désorientés dans leur vie, des accidents de déminage dans les années d’après guerre et de l’arrivée des blessés à l’hôpital, des paras de Braschaat, des petits encas qu’elles procuraient à leurs malades, en sus de l’ordinaire, un peu de bière, quelques moules à la vinaigrette, des garde de nuit et du rythme des pauses. Plus frivoles, elles décrivent leur cornette, les quatre robes et scapulaires successifs qu’elles ont portés, noirs, ensuite gris, plus « laïcs », le temps passant.  Elles racontent aussi leur vie actuelle, la maison de retraite qu’elles occupent depuis dix-sept ans ; elle s’inquiètent de la crise des vocations, s’enthousiasment des grands rassemblements de fidèles dont elles ont vent par la presse, de l’œcuménisme de leur évêque, et dans la foulée elles évoquent les familles juives et musulmanes du quartier, tous de braves gens, qu’elles aiment croiser. « Ce qu’on a aimé, confie sœur Betty,  en venant habiter ici, c’est que dès qu’on passe la porte, on connait des gens d’avant… oui… oui ».  Au fil de ce monologue à deux voix, les Sœurs se répondent et se prennent à témoin ; elles échangent, se corrigent mutuellement ou abondent, ponctuant leur récit de oui, oui, et de n’est-ce pas. Les réminiscences sont confuses, les dates incertaines, les lieux indistincts. Avant, après, ici où là n’a plus d’importance : tout se fond dans l’évocation d’une vie faite d’acceptation, de bonté et de patience, une existence aux immuables rituels.

Marie Zolamian a peint Marthe et Betty. Deux petites toiles à l’acrylique les représentent, sous leur cornette, dans leur cadre de travail, une chambre d’hôpital. Curieusement, les lits sont vides. Oui, c’est  effectivement curieux, dans le sens où la dernière série de peintures de l’artiste représentaient également des lits, mais cette fois occupées par des gisantes, des jeunes filles allongées sur des lits  dans des intérieurs étrangement familiers, seules, parfois veillées par une femme, des chambres aux secrets bien gardés, des décors parfois réduits à l’essentiel, un tapis, un meuble, un portrait d’aïlleule, matriarcal. En fait, dans ce rapport d’absence et de présence, Sœur Marthe et Sœur Betty participent pleinement de cette série, comme si elles veillaient toutes ces gisantes.  Dans le châtelet de l’ancien hôpital militaire, les toiles représentant les deux Sœurs étaient d’ailleurs associées à quelques-unes de ces toiles, tandis que le chuchotement du récit des Sœurs provenait d’une pièce voisine, porte à peine entr’ouverte, ; ainsi elles occupent encore ces lieux qui leur furent familiers.
Cette fois-ci, Marie Zolamian a choisi d’accrocher une des deux toiles, celle qui représente sœur Marthe, isolée, iconique, non loin d’un rideau blanc. De derrière celui-ci provient le son du récit des « Twee Zusters ».

A mi-chemin entre ces deux installations sont accrochées deux petites toiles que Marie Zolamian appellent communément « les bourguignonnes ». Elles  aussi participent de cette série des gisantes, laissée « sans titres ». Marie Zolamian a initié cette série  de toiles libres, tendues sur le mur comme une peau, après avoir vu le film « Departures » de Yojiro Takita, une œuvre qui entraîne le spectateur dans le monde peu connu des rites funéraires japonais. De ses gisantes, on ne sait si leur sommeil est éternel. Marie Zolamian les décline, envisageant le rapport de leur corps à l’espace de telle façon qu’à chaque fois, nous nous situons dans un univers transcendant le champ visuel. De fait, les chambres qui les accueillent se déclinent comme des lieux en retrait, à l’écart d’un temps ou d’un lieu spécifique. Sauf, peut-être dans le cas de ces bourguignonnes ; celles-ci font référence à un lieu déterminé, les chambres du château de Châteauneuf en Auxois, que Marie Zolamian a reproduites à l’occasion d’une exposition s’y déroulant, s’appropriant dès lors, à nouveau, un patrimoine collectif particulier. En ce huis clos, dans une des chambres reproduites, ces quatre toiles semblaient hantées par la figure de Catherine, châtelaine locale, dernière héritière de la famille de Châteauneuf, brûlée vive en 1456 après avoir empoisonné son second mari. Toutes proches d’un gisant porté par huit monumentaux pleureurs de pierre noire, elles ont vibré de l’histoire des lieux.  Extraites de ce contexte particulier, elles gardent cette dimension qui leur est essentielle, celle de cette présence qui nous égare et dans laquelle nous nous retrouvons.

Les Anonymes, 2011
Impressions jet d’encre sur papier Fuji fine art 300 grammes et CD audio.
(6) x 31 x 21 cm,  00:10:05

Before After, 2011
Acrylique sur toile préparée à la colle de lapin et CD audio.
22 x 26 cm, 20 x 27 cm, 1:01:08

Sans titre (les bourguignonnes)
Acrylique sur toiles, formats divers,
2010 – 2011