De Benjamin Monti, on verra, à Madrid, une sélection de travaux récents. Quelques encres de chine sur papier Perspecta, ce papier millimétré et récupéré, bicolore, formulaire pour la vue isométrique, des plans de ville et cartes géographiques, un cheval à Rome (Marc Aurèle au Capitole ?), un berger de Bergame, deux adolescents dans les îles Toscane ou encore ces figures d’architecture – réversibles – publiées par G & S Robinson que Monti flanque d’un pilastre composite et tête bêche.
Profitons-en pour reprendre le portrait de l’artiste publié dans le Guide de l’Irrévérence paru en 2011 chez Yellow, mais cette fois en version intégrale et d’origine.
Si Benjamin Monti cite volontiers Ernst Hans Grombrich, qui nous rappelle que « même dans les illustrations scientifiques, la vérité de l’image dépend de la véracité de sa rubrique », ce serait plutôt en tenant compte du « Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis » de Pierre Desproges. « L’art et l’illusion » de Gombrich a pour objectif, précise son auteur, « d’expliquer les raisons pour lesquelles les artistes qui tentent résolument de créer des images mimétiques ont à faire face à des difficultés inattendues ». Et Benjamin Monti rencontre sans aucun doute, dans sa pratique de la copie, de nombreuses difficultés inattendues. Mais il a lu Desproges et, à coup sûr, cette lumineuse définition de l’oeil où Desproges précise que « l’œil est un outil merveilleux, que c’est grâce à lui que l’homme peut, en un instant, reconnaître à coup sûr une langoustine d’un autobus, ce qui lui confère évidemment un sentiment de puissance sur la nature. La preuve en est, précise Desproges, qu’un homme privé de ses yeux se met instantanément à raser les murs honteusement ». Intense noirceur et intelligence aiguisée, ici, on le verra, fort bien comprises.
Benjamin Monti est un collecteur patenté, un collectionneur averti, il chine les livres et les images anciennes, il rassemble des carnets usagers, des cahiers d’écolier, des dessins anonymes oubliés. Il campe, itinéraire singulier, au carrefour de l’illustration et du dessin, des arts plastiques et graphiques. Très actif au sein du collectif Mycose (1999-2008), il appartient à cette génération spontanée qui a décloisonné l’univers de la bande dessinée. « On place cet auteur, déclare l’un de ses éditeurs, parmi les artistes contemporains. Où d’autre placer, d’ailleurs, un véritable auteur ? ».
Lorsque, adolescent encore, il conçoit son premier « Carnet », cette plongée en apnée, frénétique champ de bataille pilonné d’une seule et longue griffure, véritable purge de tous les doutes existentiels, il lit « Opium » de Cocteau. « Écrire pour moi, c’est dessiner, nouer les lignes de telle sorte qu’elles fassent écriture, ou les dénouer de telle sorte que l’écriture devienne dessin, c’est la leçon de Cocteau ». Ecrire, oui. Son « Autobiographie », « pas d’états d’âme, juste des faits », est d’une blancheur comptable grinçante. On ne peut plus radical dans le domaine de l’intime. Dessiner oui, l’hallucinante pérégrination de Thomas l’Obscur de Blanchot : mais « Vide » est-il à l’image de Blanchot ou de Monti ?
Apprenti fort peu sage, Monti se dit en apprentissage. Copiste attentif, il recopie, plonge et pille ce qu’il collecte. Mimétisme du geste, serait-ce là que réside la difficulté ? Parfois ces images, il les recopie telles quelles, un « crétin du Valais » comme « Notre Dame aux Esclaves », des vieilles pages de cours de Néerlandais qu’il adresse à des Parlementaires francophones ; « Couillu », lancera l’un d’eux. Il hybride aussi, recycle, compose et décompose, transgresse les règles comme dans ces leçons de Droit manuscrites et anonymes datées de 1901, dont il occupe les marges, le texte, la feuille, l’espace. Il récupère les supports comme il recycle les images qu’il glane. Et rien ne lui échappe quant au sens des images qu’il colle et copie. Mais oserais-je cette expression pour un Monti copiste ? Assurément, Monti fait la différence entre une langoustine et un autobus. Surtout s’il mêle d’heureux acolytes du divin flacon et de bienheureux alcooliques du divin tout court, preuves iconographiques à l’appui. Ces deux dessins sont recyclés sur papier « Perspecta », papier qui, à l’époque, ne l’était pas. Et ceux-ci ne manquent pas, aujourd’hui, de perspectives lorsqu’il s’agit, par exemple, en trois planches, de dresser « une très brève histoire de la religion catholique ». Mais oui, trois planches suffisent. Je laisse à Desproges la conclusion : « L’œil du sourd est normal ». Ajoutons y que c’est « la véracité de la rubrique », merci cher Ernst Hans Grombrich, vous m’assurez la chute.
Sans titre, encre sur papier imprimé, 15,2 x 10,5 cm, 2010
Sans titre, encre sur papier imprimé, 15,2 x 10,5 cm, 2010
Sans titre, Encre de chine sur papier « Perspecta », papier millimétré bicolore pour dessin en perspective. Formulaire pour la vue isométrique, 29, 7 x 21 cm, 2010 – 2011
Sans titre, Encre de chine sur papier « Perspecta », papier millimétré, bicolore pour dessin en perspective. Formulaire pour la vue isométrique,, 29, 7 x 21 cm, 2011