Revenons un moment à cette exclusion de Jacques Lizène suite à l’exposition « Le Jardin, lectures et relations », exclusion que nous évoquions dans notre précédente notule.
Jacques Lennep nous signale qu’en fait ce n’est pas le « jardin d’enfants » d’Antaki et du collectif du Cirque Divers qui déclencha « la crise », mais bien, un ensemble de paramètres et plus particulièrement une œuvre singulière de Lizène, intitulée « Drôle de Mycologie ». « Lizène, déclare Lennep, m’avait envoyé pour le livre « Le jardin-lectures et relations » des photos de pénis (le sien?), sans doute par comparaison avec les satyres puants, une sorte de champignon. Cela m’a mis dans un grand embarras, car j’estimais devoir signaler la chose à tous les participants à l’ouvrage (scientifiques, écrivains, artistes, etc.). Tous nous avaient fait confiance en nous offrant leurs contributions, et l’un ou l’autre aurait pu ne plus accepter de participer à la publication. J’avais assez de boulot comme cela, notamment comme secrétaire et animateur du CAP qui avait à gérer cette exposition très complexe au Botanique. J’ai donc fait part de la situation à Lizène, qui l’a fort bien comprise, a proposé autre chose en exigeant qu’on signale qu’il avait été censuré. Ce que j’ai fait sans sourciller. Après l’exposition, à la suite à cette affaire, j’ai averti les membres du CAP que je n’assumerais plus ma fonction au sein du groupe. Personne ne s’est présenté pour me remplacer, surtout à cause de la présence perturbante de Lizène. Comme nous souhaitions tous que le CAP continue ses activités, Lizène en a été évincé (l’Histoire démontre que ce fut temporaire), et j’ai été invité à reprendre les rênes ».
« Drôle de mycologie » n’a en effet pas été reproduite dans le livre « Le jardin. Lectures et relations », mais a bien été exposée au Botanique en décembre 1977- janvier 78. Il s’agit de quelques polaroïds du sexe du Petit Maître, tirages retouchés à l’encre, sur le thème du sexe gai et sexe triste. Lizène décline l’œuvre sur mode botanique en fonction du lieu où il les expose. « Drôle de Mycologie » est, en fait, une variation du « Sexe – Marionnette » (1977, œuvre perdue).
C’est en 1977 que Lizène produit, en effet, son premier « Sexe marionnette », un film qui disparaîtra, tout comme sa première peinture à la matière fécale, film dont l’artiste fera un remake en 1993. Glissant son sexe dans un trou ménagé dans une planche de contreplaqué, Jacques Lizène l’agite longuement, par saccades, sexe garroté au bout d’une ficelle. En voix off, on l’entend répéter : « Il est triste le sexe marionnette, il est moins triste le sexe marionnette ». « L’œuvre, rapporte Lizène, a été « accidentellement » détruite en 1979 par une assistante de la RTBF (peut-être choquée), chargée de transférer la séquence sur support U-matic. Encore une mésaventure vidéo du petit maître ». A propos du Sexe – Marionnette, Michel Houellebecq écrira dans son « Carnet à Spirales » en 1995, suite à une projection en Avignon lors d’un colloque sur le thème du « Ratage » organisé par Arnaud Labelle-Rojoux : « (…) Puis j’ai vu une vidéo de Jacques Lizène. La misère sexuelle le hante. Son sexe dépassait d’un trou ménagé dans une plaque de contreplaqué ; il était enserré dans un nœud coulant par une ficelle servant à l’actionner. Il l’agitait longuement, par secousses, comme une marionnette molle. J’étais très mal à l’aise. Cette ambiance de décomposition, de foirage triste qui accompagne l’art contemporain finit par vous prendre à la gorge ; on peut regretter Joseph Beuys, et ses propositions empreintes de générosité. Il n’empêche que le témoignage porté sur l’époque est d’une précision éprouvante. Toute la soirée, j’y ai pensé, sans pouvoir échapper à ce constat : l’art contemporain me déprime ; mais je me rends compte qu’il représente, et de loin, le meilleur commentaire récent sur l’état des choses. J’ai rêvé de sacs-poubelles débordant de filtres à cafés, d’épluchures, de viandes en sauce. J’ai pensé à l’art comme épluchage, aux bouts de chair qui restent collés aux épluchures ».
Mais revenons-en à la contribution lizénienne à cette exposiition CAP 40 ans.
Art auto-publicitaire, 1975. « Collectionneurs avertis, il vous faut acquérir un Lizène d’art médiocre pour mettre en valeur par opposition vos tableaux de maîtres et votre mobilier de qualité » En remake.
technique mixte sur toile, 79 x 70 cm, 2011. L’oeuvre d’origine st une simple feuille de papier de format A4, reproduite, ici, au centre de la toile.
Personnage photographié écrasant le bout de son nez contre la surface de la photo & Conséquence du fait présenté ci-dessus : saignement de nez, traces récoltées sur mouchoir de poche… On ne joue pas impunément avec le mensonge et l’artifice. Démarche académique. Art sans mérite. Sans importance, hop ! mars 1973
photographie NB 18 x 24 cm et technique 73 x 57 cm, 1973
Oeuvre montrée pour la première fois lors de la Triennale 3 à Bruges, en 1974. Le groupe CAP y est invité collectivement. Pour le catalogue, Lizène décide de reproduire « Nu contraint à s’inscrire parfaitement dans les limites du cadre d’une photo, personnage refusant de subir la contrainte arbitraire des limites du cadre d’une photo… et une tentative de sourire ». Le Nu et le personnage refusant la contrainte sont actuellement exposés dans les Hauts de Seine, à Bagneux, pour une exposition intitulée « Burlesques », organisée par Nathalie Pradel.
Contraindre le corps à s’inscrire dans le cadre de la photo, 1971, en cadre de cadres 1970 et circuit fermé, 1970
20 tirages argentiques NB marouflées sur une impression numérique, 75 x 53,4, 1971. En remake.
Meuble découpé 1964, naufrage de regard, art syncrétique 1964, sculpture génétique culturelle 1974, statue fétiche d’art africain croisé statuette de style pré-colombien, en remake 2011
commode découpée, technique mixte, 120 x 70 x 50 cm, 2011
Lu dans la publication accompagnant l’exposition, sous la plume de Pierre Jean Foulon :
Par ailleurs les nouvelles technologies, émergentes en ce début des années septante, permettent aux membres du CAP de dépasser – sans le renier d’ailleurs, ceci est important à souligner – le monde traditionnel de la peinture, de l’estampe et de la sculpture. C’est en effet le 7 décembre1973 qu’a lieu la réalisation de la première vidéo par les artistes du « Cercle d’art prospectif » qui deviennent dès lors les pionniers de cet art en Belgique. En ce domaine, Jacques Louis Nyst joue un rôle essentiel, ainsi que quelques autres artistes liégeois qui, très vite, vont intégrer le collectif fondé par Courtois, Lennep et leurs amis. C’est au moment même où se déroule la première exposition du CAP à Bruxelles, en mars et avril 1973, que Jacques Lennep prend en effet contact avec Jacques Louis Nyst, un artiste liégeois particulièrement intéressé par l’ouverture de l’art aux technologies nouvelles (photographie mais aussi vidéo) et par une vision de la création basée sur le thème d’une «lecture» des œuvres – tel est le terme personnel qu’il utilise alors effectué selon différents points de vue confrontant réalisme et approche conceptuelle.
Le milieu de l’avant-garde liégeoise est à ce moment très actif. Au sein de celle-ci, Jacques Lizène occupe une place toute particulière. Lui aussi va rejoindre CAP. Se présentant comme un « petit maître liégeois de la seconde moitié du vingtième siècle», il pratique un art qui se veut «médiocre» ou «nul» et qui, en réalité, ironique, provocateur et désabusé, est basé sur la performance, le happening, l’installation, mais aussi sur le dessin et sur divers types de peintures aux matières parfois très singulières. L’œuvre de Lizène, c’est en quelque sorte une expérience existentielle volontairement escamotée, décrite en ces termes par Jean-Yves Jouannais: une «aventure en creux, patientes collections de non-réalisations, de sabordages et de dépits choisis » Au sein de cette œuvre dissimulant le pathétique sous le goguenard, l’aspect relationnel surgit souvent d’assemblages singuliers d’images et d’objets, comme par exemple ses « sculptures génétiques», étranges portraits imbriquant les traits de personnes différentes.
En citant la date du 7 décembre 1973, Pierre Jean Foulon fait référence à la première séance d’enregistrement vidéo faite collectivement. Lizène utilise la vidéo depuis 1971. Son premier film, « Mur », est un hommage à la non-procréation.