Si le grand mur à la matière fécale, peint en 1977, sera montré à Paris, lors de la Rapide Rétrospective organisée au Passage de Retz, l’exposition de Katowice compte quelques remakes de choix. Rappelons ce qu’Antoni Collot écrit à propos de la Peinture à la matière fécale lizénienne. Extrait du Tome III.
Matière fécale (Merde, MerdRe). Ma grand-mère avait écrit sur les murs des double vécés : « Vous, qui arrivez en riant, prenez garde de ne mourir en faisant car Dieu punit de mort celui qui fait sur les bords. »Au dixième mois du calendrier pataphysique (le mois de MerdRe ), à peu près, Jacques Lizène naît à la clinique d’Ougrée, dans la banlieue entrepreneuse de Liège. Quelques décennies plus tard, retournant sur les lieux, celui qui est devenu l’artiste de la Médiocrité a la confirmation d’une idée qui lui trotte dans la tête. Le mur qui fait face à la clinique est en brique rouge ! Sa première vision du monde après le visage de madame Lizène et ceux du personnel médical, fut donc un mur de briques à l’infini de sa mesure de nouveau-né. Autre événement essentiel de sa trajectoire, en 1977, il commence la réalisation d’un mur de briques peintes avec sa propre M… Mur qu’il envisage de poursuivre inlassablement, ou plutôt avec la plus grande des lassitudes. À moins d’avoir un goût affirmé pour la psychanalyse de drugstore, aucun rapport logique ne semble se dessiner derrière cette relative coïncidence. Il en existe cependant un : la narration de ses propres annales. Lizène se raconte et nous raconte sa propre vie. Reconsidérer les briques face à la clinique d’Ougrée au regard de son œuvre, c’est assujettir l’ensemble de sa vie à son art. Faire de ce dernier l’attitude qui préside à tout acte de la délivrance à la délivrance, en passant par l’expression (au sens strict). Expression limitée par une Vasectomie (1970) et par le désir de se maintenir au rang de la Médiocrité. Habitant le monde en artiste, Jacques Lizène, fait œuvre de chaque action. Il est en ce sens l’artiste emmerdant par excellence puisque la moindre bière qu’il boit, la moindre partie d’échec qu’il ne joue pas, sont frappées du sceau : « Ceci est une œuvre d’art, ou pas. » Besogne d’art médiocrissime, certes, emmerdante souvent comme le sont les tâches ménagères (cf. la citation de ma grand-mère). Précisément, Lizène assure faire toujours la même chose pour donner tout son sens à l’expression : « une œuvre emmerdante ». Et se prend au mot en utilisant sa M… comme médium pictural.Si on peut remarquer un certain attrait pour la défécation dans ses dessins dès 1966, où il met en scène des personnages assis sur des toilettes, le premier emploi de la peinture au caca (comme il aime à la baptiser) date de 1977. Où est exposée, au Jardin Botanique de Bruxelles, une toile monochrome marron. Il s’agit d’une peinture réalisée selon la technique de l’aplat – que Lizène a apprise aux Beaux-Arts de Liège – réalisée avec une seule déjection afin de préserver une cohérence chromatique. Cette première peinture fécale était accompagnée de quelques photographies d’aliments ingérés pour en fabriquer la couleur. Lizène est ainsi fidèle au précepte qu’il définit dans la nuit du 7 au 8 mars de la même année : « Devenir son propre tube de peinture », et, pour ce faire, contrôler son alimentation afin d’obtenir, je cite, « des coloris variés et délicats ». Ce monochrome a été jeté par le concierge qui faisait office de gardien d’exposition. On peut considérer cet acte comme les représailles du gardien qui a dû endurer l’effluve de la M… durant toute la phase d’exposition. Mais il est difficile de délier cet acte de toute implication morale, de litige esthétique. C’est suite à la perte de ce monochrome que le Petit Maître liégeois de la seconde moitié du XXe siècle entreprend la réalisation d’une toile de six mètres de long sur laquelle il trace avec sa M… la représentation d’un mur de brique. Cette œuvre titrée Peinture analytique (analitique), sans Y, sera exposée au Cirque Divers l’année suivante, puis en 1979 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et à la galerie ADDA de Marseille. Elle perd alors son premier titre pour prendre celui de Mur des défécations. Quelle place pour ce mur sur nos murs ?
Je suis l’heureux propriétaire d’un fragment de mur à la M…, longtemps je n’ai pu transformer mon espace domestique en scato logis. Ma compagne d’alors ne souhaitant pas – par principe – arguait-elle, voir exhibée de la M… dans notre salon ou ailleurs ; les doubles vécés. Elle ajoutait : « J’aime bien l’idée, mais je n’aime pas l’odeur. » Elle apportait d’autres arguments à son refus :
1. Ce serait comme si tu me faisais la même blague tous les matins au réveil. Ou pire, comme si nous vivions dans une architecture humoristique de Venturi.
2. C’est dégoûtant.
Je m’interroge sur ce second argument ; en effet dans le dégoûtant, n’est-ce pas l’absence de goût qui crée la répugnance ? A-goûtant, en somme. La présence quotidienne d’une telle œuvre de M…serait donc susceptible de mener son regardeur à la perte du jugement de goût.
Hypothèse envisagée et souhaitée par Lizène soi-même, qui en forçant l’entrée de la médiocrité dans le domaine de l’art n’a d’autre dessein que d’en finir avec la faculté de juger (peut-être). Il s’agit de purger le monde de la pensée critique via une purge diarrhéique.
Mais j’arguë que le rappel à la M… est aussi essentiel à l’Homme lucide que le Memento mori des vanités. Je ne sais si la M… porte bonheur ou si, comme le croient les Falis du Cameroun, les âmes y élisent domicile, d’où elles passent dans le corps des femmes, mais la valeur de la M… me semble imputrescible. La doxa psychanalytique a volontiers associé rétention, désir de garder ses chères fèces, et collection. Les collectionneurs de l’œuvre de Lizène sont à la fois dans la rétention et dans la curation (curateur… les lacaniens vont se réjouir) occupant la place de la M.ère, ils n’ont de cesse de s’adresser à l’artiste en ces termes : « Mon petit, tu as fait un beau caca. »
Je commençais avec une citation de ma grand-mère, je finis avec une citation d’un enfant de quatre ans, à qui je demandais : d’où viennent les enfants ?, il me répondit : « Des fesses, et avant j’habitais dans le ventre de ma maman. »
Fatalement, à grandir dans le ventre et non dans l’utérus (donc à avoir été délivré par l’anus), que faire d’autre de sa vie que de merder (verbe dénominatif intransitif qui définit très intérieurement le fait d’échouer, et également tout dysfonctionnement qui aurait des conséquences périlleuses ou fatales. Un usage au sens « déféquer » est avéré dans des idiomes meusiens).
Faecal Matter (Shit, Pschitt). My gran wrote on the WC wall: “You who enter in here laughing, be careful not to die when doing for God punishes with death he who does it on the edges.”
In the tenth month of the pataphysical calendar (the month of Pschitt), more or less, Jacques Lizène was born in the clinic of Ougrée, in the industrious suburb of Liège. A few decades later, on returning to this scene, now as the Artist of Mediocrity, he found confirmation of the idea that was nagging away at the back of his mind. The wall facing the clinic was made of red bricks! His first vision of the world after the face of Madame Lizène and that of the medical staff had thus been a wall of bricks that was an infinity for his newborn eyes. Another essential event in his career came in 1977 when he started making a wall of bricks painted with his own s***, a wall that he planned to continue tirelessly, or rather, while growing extremely tired of it. Except for those with a strong taste for corner-shop psychoanalysis, no logical relation seems to underpin this relative coincidence. There is one thing, though: the narration of his own annals. Lizène recounts himself and recounts his life to us. To reconsider the bricks facing the clinic in Ougrée in relation to his work is to subordinate his whole life to his art, and to make this art the attitude that presides over every act of deliverance from delivery, via expression (in the strict sense). Which expression is limited by a Vasectomy (1970) and by the desire to sustain his level of Mediocrity. Dwelling in this world as an artist, Lizène makes every action a work. He is the extreme case of the pain-in-the-arse artist because every beer he drinks, every game of chess, he doesn’t play, is stamped with the hallmark, “This is a work of art, or not.” This is supremely mediocre art work, it is true, tedious stuff, like some domestic chores (cf. my gran’s words, quote above).Lizène says indeed that he always does the same thing in order to ensure that his work really is “a load of shit.” And so he takes himself literally and uses his s*** as a medium for painting.
If we can observe a certain attraction to defecation in his drawings as early as 1966, when he depicted figures sitting on toilets, the first use of “poo paint” (as he likes to call it) dates from 1977, when he exhibited a brown monochrome painting at the Jardin Botanique in Brussels. This painting was made using the solid colour technique that Lizène learnt at the Beaux-Arts in Liège, and with a single piece of excrement, in order to ensure chromatic coherence. This first faecal painting was accompanied by a few photographs of the food that had been ingested in order to make the paint. Lizène was thus keeping faith with the principle that he defined on the night of 7 March that same year: “Become my own tube of paint,” and to this end, controlled his diet in order to obtain, and I quote, “varied and delicate colours.” The monochrome was thrown out by the caretaker who was serving as the exhibition attendant. This act can be considered as a reprisal on the part of the caretaker, who had been forced to put up with the whiff of s*** throughout the exhibition phase. However, it is difficult to disconnect this action from moral implications and aesthetic disputes. It was after the loss of this monochrome that the Minor Master from Liège of the Second Half of the 20th Century embarked on a canvas six metres long on which, using his s***, he traced the representation of a brick wall. This work entitled (Analitic) Analytic Painting, without a Y, was exhibited at the Cirque Divers the following year, then in 1979 at the Palais des Beaux-Arts in Brussels and the ADDA gallery in Marseille. Its original title was now replaced by Defecating Wall.
What place does this wall have on our walls?
I am the lucky owner of a fragment of a s*** wall, and for many years was unable to transform my domestic space into scatolodgings. My partner at the time had no wish, out of principle (she argued), to see s*** exhibited in our living room or anywhere else: the WC. She added: “I like the idea, but I don’t like the smell.” She backed up her refusal with other arguments, too:
1. It would be as if you made the same joke every morning when we woke up. Or, worse, as if we were living in a joke building by Venturi.
2. It’s disgusting.
I am not sure about the second argument; for when something is disgusting, isn’t it the absence of taste that creates repugnance? A-gusting, in fact. The daily presence of such a s*** work would, it seems, be likely to lead the beholder towards a judgement of taste.
Lizène himself envisages this hypothesis himself, in that his only purpose in forcing his way into artistic mediocrity is to have done with the faculty of judgement (perhaps). The aim is to purge the world of critical thought via a diarrheic purge.
But I would argue that the reminder of sh** is as essential to Homo Lucidus as the memento mori of vanitas painting. I don’t know if s*** brings luck or if, as the Fali of Cameroon believe, souls takes up residence in it, and from there pass into women’s bodies, but it does seem to me that the value of s*** will never decay. Psychoanalytic doxa likes to associate retention, the desire to hold on to one’s dear turds, with the act of collecting. Collectors of Lizène’s work are both retainers and curators (Lacanians could have a field day with the word); occupying the position of the Mother, they are constantly saying to the artist: “What a nice poo baby has made for me.”
I began with a quotation from my grandmother, and shall finish with one from a four year-old child, who, when I asked him where children come form, replied: “From the bottom, and before that I lived in Mummy’s tummy.”
It’s inevitable. If you developed in the stomach and not in the uterus (and were therefore delivered through the anus), what else can you do in life but get into deep shit. (Note that in French, the intransitive verb merder means to fail, and also designates any kind of dysfunction with dangerous or fatal consequences. In the Meuse region, it can also mean to defecate).