Des cycles hors-champ : MAURICE PIRENNE

 

 

Maurice Pirenne

Le pot d'onguent, 1966

Pastel sur papier, 24,7 x 19,9 cm (encadré 27 x 22 cm)

Signé et daté au centre, en bas.

LES LUMINEUX SILENCES DE PIRENNE

 

Maurice Pirenne n’a pas fait une carrière tonitruante. Trop secret, discret, modeste. Frère d'Henri Pirenne, l'historien, il n'avait pas la fibre étincelante de son parent armorié. Cultivant les souvenirs, les émotions, les .discrétions d'usage, Pirenne le peintre fut un passeur de sensations. Un Morandi wallon en des temps où, pourtant, s'attisaient les tensions entre tenants de l'abstraction, rigoureuse ou lyrique, et d'incurables figuratifs campés devant leur chevalet. Pirenne voyait tout en petit. Il dessinait ou peignait à même sa table. Que peignait-il ? Ce qu'il voyait en faisant le tour de sa chambre, ce qu'il subodorait en regardant à travers les rideaux d'une fenêtre donnant sur le large. Sans prétention ni vocation à être reconnu. L'enchantait le bonheur confus de se raconter par le biais d'objets coutumiers ou d'histoires qu'il revivait grâce à eux. Attiré par les formes, par les couleurs, par l'indicible enclos en chaque alentour, Pirenne reproduisait sur sa toile, son papier, son bout de carton, des évidences entrevues par un œil à l'affût de fugaces ou obsédantes vérités.

 

Soutenu par André Blavier, verviétois comme lui et pataphysicien rarement avare en fraternités espiègles et salutaires Pirenne alla sa vie comme on se lève pour arpenter un monde réduit à quelques mètres carrés. Tout n'y est-il pas dit en réduction et, appendice favorable, loin des manipulations qui discréditent les réalités aveugles ? Les tableaux exposés - une quarantaine - sont, tantôt, des pastels, tantôt, des huiles sur toile ou sur carton. Une même ferveur les habite: l'approche sensible de la lumière au travers d'objets soudain vivants, accordés à l'ambiance et à l'espace. Sur les murs blancs, deux étages de la si belle galerie – une ancienne usine des cycles Star - de Nadja Vilenne, les pièces à conviction de Pirenne bénéficient de la scénographie, très simple, mesurée, souple, aérée, d' Olivier Foulon, un jeune artiste qui, au départ, ne connaissait pas du tout Pirenne, et l'a manifestement aimé.

 

On rêve et on s'émeut avec Pirenne et ses objets, miracle d'une transmission sans faux-fuyant. Ses objets deviennent les nôtres, ceux dont on aimerait s'entourer avec cette simplicité d'une vie sans heurt extérieur.

 

Les œuvres sont datées de 1929 à 1968. Elles nous profilent un parcours vivant. Après, en sa jeunesse, un séjour parisien au gré duquel il rencontra Degas qui l'encouragea, Maurice Pirenne, qui croisa aussi Ensor et fut, à son image, un fameux caricaturiste, s'en revint à Verviers pour y couler des jours discrets. Directeur du musée de sa ville natale de 1 912 à

1948, il peignit d'abord des vues de sa cité lainière avant, l'après-guerre venue, de se consacrer aux fenêtres qui, comme les chantait Brel, rigolent, s'apitoient ou médisent. Les siennes égrenaient une ritournelle attendrie, dont témoignent ses vues intérieures et extérieures.

 

Comment ne pas encourager Nadja Vilenne et Jean-Michel Botquin qans leur volonté de rendre à ce César des mondes du dedans la part du gâteau qui lui revient de droit divin ? Tout, ici, est beau et vibrant, avec une prédilection pour les pastels des années de la maturité, après 1950. Maître du cadrage, du hors-champ, de la composition cinématographique et du silence, Pirenne enchante avec un pot, une pipe, une bouteille, des touches de vert et de bleu, une cage d'escalier, une fumée de train, un géranium. Mystère de l'objet, lumière et réverbération,

Pirenne fut un maître.

 

Dans La Libre Arts. Roger Pierre Turine

 

 

REDÉCOUVRIR MAURICE PIRENNE

 

La galerie Nadja Vilenne propose actuellement une exposition d'une quarantaine de peintures et de pastels de Maurice Pirenne (1872-1968). Né à Verviers, l'artiste a eu une carrière aussi longue que volontairement discrète. L'accrochage, réalisé par le jeune artiste Olivier Foulon, permet de s'attacher à chaque œuvre isolément, tout en créant des relations figurales entre les différentes peintures. Les œuvres qui composent l'exposition proviennent de collections privées ; elles témoignent d'une cohérence et d'une variété dans le travail de cet artiste contemporain de tous les mouvements picturaux du tournant entre les 19ème et 20ème siècles.

 

On appelle 'autodidactes' ceux qui ne fréquentent ni écoles, ni académies : la formation de

Pirenne a pris la forme de voyages d'études à Gand, Bruges, Paris et Bruxelles durant lesquels il s'est frotté tant à la peinture classique qu'aux mouvements de l'époque. En 1900, il revient dans sa ville natale où il demeurera jusqu'à la fin de sa vie. Ces éléments biographiques trouvent un écho dans son œuvre : des grands formats de ses débuts il va progressivement se tourner vers des formats de plus en plus petits. Les paysages qu'il peint deviennent ceux de la ville avant de représenter ce qu'il voit de sa fenêtre. Il s'attache aux scènes d'intérieur et, les années passant, ce sont les objets quotidiens - un bouquet de fleurs, des bouteilles, une cruche en fer sous Je robinet de la cuisine, le pot à tabac - y compris les plus intimes - la robe de chambre, la pipe - que l'on retrouve d'une œuvre à une autre. Il va aussi décider de cesser d'exposer laissant à ses amis le soin de s'occuper de son œuvre.

 

Pirenne peignait ce qu'il voyait, comme il le voyait : le jardin derrière la fenêtre, deux crayons sur une table ou ses pieds chaussés de pantoufles sous la fumée de sa pipe ... Les cadrages de ses tableaux épousent ce regard qui évoque le cinéma : caméra subjective, surcadrages, décentrements. Des rapports singuliers s'instaurent entre l'ensemble et le détail. Le décor est brossé de façon minimale - une couleur modulée de zones d'ombre et de lumière figurant tantôt un jardin, tantôt un intérieur - et le sujet (souvent un objet) qui donne son titre à l'œuvre émerge comme un éclat vif. Un petit trait rouge figure une allumette, un cercle d'un jaune intense au centre du tableau devient fruit, la poignée de la porte scintille de bleu, une abeille se détache dans le paysage au sommet du bouquet de fleurs mauves.

 

Reconsidérer une œuvre du passé et lui apporter une lecture actuelle relève d'une des missions des musées, puisqu'ils s'y livrent trop peu, des acteurs privés s'attachent à réaliser ce travail essentiel. Cette exposition inaugure les 'cycles hors-champ' que la galerie Nadja Vilenne entend répéter chaque été ; il ne s'agit pas d'un hommage, mais de la confrontation d'une œuvre au regard contemporain. On ne peut qu'espérer que cette belle redécouverte de Maurice Pirenne trouve des prolongements dans un futur proche.

 

Dans H.ART, Colette Dubois

 

 

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016