bENGEL - INTERFACE

 

2.

«bENGEL», le chérubin est un polisson, l’angelot, un chenapan, un gamin et un drôle de garnement. Ceci, nous confie Honoré δ’O, est également un autoportrait : Honoré δ’O est un ange et un garnement facétieux, le titre de l’œuvre une contraction entre «engel», l’ange et «bengel» le polisson. Il a bonne balle et lunettes noires. Angelot, ou putto baroque en majesté au centre d’un triptyque, les plumes d’un oreiller et une grappe de flocons d’ouate constituent son corps joufflu. C’est un ange composite, aux ailes de plâtre, comme un ange saint sulpicien, aérien, porté par le ballon gonflé d’un galopin. S’il perd ses lunettes noires, il les remplacera par un masque de clown, celui qu’il serre avec son agenda, comme sous le bras qu’il n’a évidemment pas. Voici Hermès, on pense au messager. Et bien sûr, dans la foulée, au Soigneur de Gravité de Marcel Duchamp, cette part secrète du Grand Verre, ce jongleur, manieur, personnage allégorique qui, sur la robe de la Mariée et au sein d’un système complexe dont il dépend étroitement, oscille entre chute, bref équilibre instable et instant de tranquillité. L’autel du Soigneur de Gravité, photographié en 1947 par Willy Maywald, est un guéridon (mais oui guéris donc, déclare le Soigneur) en apesanteur sur lequel roule la boule virevoltante du jongleur. Elle est telle la balle ou le ballon de «bENGEL». Et il joue de la flûte, cet ange musicien. Une flûte, une gaine de plastique, une courte section d’un objet qu’Honoré δ’O a souvent sculpté, assemblé dans l’infinité de compositions en expansion, des «Portables» aux «Grisailles». On s’en souvient, le joueur de flûte de Hameln est celui qui vient d’ailleurs, l’étranger, le séducteur. Dans toute séduction, il y a présence et attirance de l’étranger. Car il apporte du nouveau, il dépayse, il déterritorialise. Portrait de l’artiste aux lunettes noires en séducteur, mais l’art est-il séduction ? Portrait de l’artiste qui s’interroge, en apesanteur, ange-garnement.

 

3.

Cet angelot est une pièce déjà ancienne dans la production de l’artiste. Elle date de 1989 ou 1990. «Disons il y a vingt ans, se souvient l’artiste. En fait, j’avais six ans, ajoute-t-il». C’est très juste. Honoré δ’O est né en 1961 à Oudenaarde, mais il a choisi ce patronyme en inaugurant sa carrière d’artiste en 1984 à Gand. Quoi de plus normal, dès lors, que de se représenter en putto ? Je remarque aujourd’hui que l’œuvre voisine, «Interface», dessine également sur le mur une paire d’ailes d’ange. Et celles-ci sont d’ouate. Sa situation ne tient sans doute pas du hasard.

 

En fait, cette œuvre-ci est une conversation. Trois phylactères la composent, trois bulles de mousse de polystyrène bordées de cotons d’ouate, en lisière, comme un littoral découpé, forment un flux et reflux de paroles cotonneuses. Au point le plus bas, une main expansée de micro-billes de polystyrène, tient entre deux doigt une petite haltère sans poids, sculptée dans cette même mousse de polystyrène. Centre de gravité de l’oeuvre, elle n’est pas plus lourde que le ballon gonflé qui pousse «bENGEL» vers le haut. C’est là un singulier principe d’équivalence. Elles sont nombreuses ces conversations dans l’œuvre d’Honoré δ’O, parfois associées à d’autres éléments, à diverses reprises des bibliothèques de polystyrène, mise en espace du livre et de la parole. Bulles, nuages, ces pictogrammes qui définissent le lieu de la parole sont dès lors comme des éléments de vocabulaire. Ici, l’ensemble est composé de trois nuages ; le troisième crée une interférence et «la création d’un nouveau corps d’échange». «On an exagerated level of ergonomy», à un niveau d’ergonomie exagéré, précise l’artiste.

 

Lorsque Honoré δ’O converse à propos de son œuvre, c’est fort souvent dans un singulier sabir où il mêle le Français, le Néerlandais et l’Anglais, un discours tout en dérivés, aux nombreux néologismes, aux contractions imagées. Tout comme dans son œuvre plastique, il utilise le paradoxe et l’oxymore, l’hybridité du langage. Des observateurs attentifs du Grand Verre ont fait remarquer que les trois premières lettres de la «MARiée» et des «CELibataires» composaient le prénom Marcel. C’est un peu la même chose dans le cas du putto qui nous occupe : «bengel» et «engel» composés, contractés. Le titre portraiture l’artiste. À diverses reprises, concevant une conférence ou une lecture, Honoré δ’O a confié son texte à des voix d’enfants. Des voix claires et chérubines.

 

4.

J’écris à Honoré δ’O. Je lui envoie une photographie de l’autel du Soigneur de Gravité. «Je l’avais oublié, me répond-il. Cela pèse moins qu’avant. Ou plus, dans cette boîte». (...)

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016