Sous la fontaine de cheveux de Jacques Lizène : un masque de joie iroquois, un masque haume hopi ou navajo, dit Tête de boue, un masque de Kashina Koyemshi, également dit Tête de Boue ainsi qu’un masque d’Atsara (Tibet). A gauche, Arlequin de Pablo Picasso.
Parmi les hommes – limites, certains se distinguent par leur condition de clown : ce sont les bouffons rituels d’Amérique du nord, qui ont leurs homologues en Afrique et parfois en Asie. Ils ont comme fonction de rendre manifeste le censuré, le refoulé, le réprimé. Ils ne respectent rien ni personne et leurs attaques frappent à l’occasion des cérémonies les plus solennelles.
Jaillissement d’une pensée qui déborde, la fontaine de cheveux dressée sur la tête de Jacques Lizène, le « Petit Maître liégeois » comme il se nomme, rappelle le dispositif de la houppette des clowns Auguste qui leur permet de faire jaillir un jet d’eau au sommet de leur crâne. La fontaine de cheveux est le signe d’un excès de sens, d’une outrance manifeste, le jaillissement incessant de la turbulence.
L’idiotie a cette passion d’une projection au sommet, ici gerbe capillaire, que longtemps l’on a percé pour en extraire la folie dans l’imagerie populaire, sous la forme d’un entonnoir. La houppe rappelle également celle des bouffons rituels d’Amérique du Nord, connexion avec le souffle du Grand Esprit.
Dans un entretien qu’il accorde à Sandra Adam-Couralet, Jacques Lizène précise :
« Je suis un petit maître du désordre, quasiment nul. Je ne suis pas un chaman. Beuys voulait être une sorte de chaman, un artiste social. Moi pas. Celui qui décide de ne pas procréer, ça c’est le summum du désordre. Paradoxalement, le chaman, c’est un type qui essaye de solutionner les problèmes obscurs de la société. Je n’ai pas ce rôle dans la communauté humaine. Je suis un « individualiste crasse » (…)Ou alors je suis une sorte de comédien qui joue au faux chaman, si j’en suis un.
C’est comme les gens qui croient être clown quand ils mettent un nez rouge. Eh bien moi c’est cela, je joue au clown, sans nez rouge. De faux « chamans » dans mon genre, en un sens, il en a existé avant moi, mais on ne s’en apercevait pas, on les appelait plutôt des importuns. Je joue souvent au misanthrope, mais je joue surtout à l’art, dans le rôle du petit maître d’art nul.
En vérité moi c’est l’ordre absolu qui pointe derrière mon désordre apparent. Je propose que l’espèce humaine s’éteigne gentiment, c’est l’ordre absolu, ou plutôt « la nostalgie de la perfection ». Mais c’est ironique. C’est une théorie ironique.
Toutes mes œuvres sont clownesques. Mais il n’y a pas d’humour dans ce que je fais, car mon humour consiste à ne pas en avoir.
Mes sculptures génétiques ? C’est mon côté Arlequin. La génétique c’est un peu un patchwork. Je tourne en dérision la génétique en surenchérissant, virtuellement. En montrer toutes les possibilités, burlesquement (hop !)
Comme Picasso, j’ai repris tous les thèmes classiques de l’art, le portrait, le nu, la nature morte,… systématiquement. Mais lui, il l’a fait de manière très talentueuse. C’est un peu mon parangon inversé. Moi c’est la lune, lui c’est le soleil. Dans la commedia dell’arte, peut-être encore plus qu’Arlequin, moi, je serai plutôt Pantalone, celui qui dit tout et n’importe quoi.
La Fontaine de Cheveux (1980) vient d’un souvenir d’enfance, quand on s’amusait avec mon frère, en se lavant les cheveux, à se les dresser sur la tête. J’ai repris cette idée de mèche pour le personnage du chanteur en dessous de tout et le Minable Music Hall, en 1980. Je me suis dit : cela sera ma fontaine, après celle de Duchamp. Une sculpture de soi. Le minable music-hall est une suite de clips particulièrement médiocres : de minables chefs d’œuvres vidéo interprétés par le Petit Maître à la Fontaine de cheveux. Je déclare que je suis la médiocrité et comme je fais effet de miroir, les autres ne me supportent pas, puisqu’ils se voient ! »