L’excellent site internet « Le Salon » vient de mettre en ligne « La collection virtuelle de Jacques Lizène », un film réalisé en 2001 par Isabelle Arthuis et Erwan Maheo.
A propos de cette collection virtuelle, j’écrivais dans Le Petit Lizène Illustré, Une tentative inachevée d’abécédaire autour de l’œuvre du Petit Maître :
Collection virtuelle. Anciennement : collection mentale (1961). Collection virtuelle dès le début des années 90, lorsque l’artiste envisage également le concept d’exposition virtuelle. Collection imaginaire du Petit Maître, amateur d’art. La collection virtuelle est occasion d’actions d’art comportemental : se comporter comme un collectionneur d’art. Jacques Lizène aime à rappeler qu’il est un immense amateur d’art. Historien de sa propre démarche, surqualifiant ou disqualifiant lui-même ses œuvres afin de couper court à toute tentative de critique basée sur le jugement, il est également collectionneur, d’une immense générosité purement intellectuelle puisque cette collection est virtuelle. Il se comporte comme un collectionneur d’art depuis 1961. Nous l’avons vu lors d’un vernissage parisien intervenir dans une vente aux enchères par téléphone (en fait, son soulier collé à l’oreille). Il n’est pas rare d’entendre le Petit Maître se présenter comme collectionneur auprès de quidams fréquentant les événements artistiques. Interrogé en 2006 pour un journal d’art contemporain à propos de ses dernières acquisitions, le Petit Maître collectionneur et amateur d’art répondait qu’il venait d’acquérir un tableau métamorphique de Picasso conservé dans un musée berlinois, un piano de l’artiste japonaise Suchan Kinoshita, hommage au philosophe Nietzsche (mais dans une version à queue et couleur blanc ivoire de Yamaha), ainsi qu’une œuvre du jeune Olivier Foulon, et dans la foulée, L’Atelier de Courbet et L’Enseigne de Gersaint de Watteau. On l’aura compris : la collection lizénienne tient de l’attitude, du discours, de l’appropriation et participe entièrement de la façon dont il élabore son œuvre. Lizène conduit le récit de cette collection avec toute la générosité induite par cette médiocrité revendiquée qui permet à tout d’exister. Il peut acquérir l’œuvre d’un aquarelliste amateur comme les plus grands chefs-d’œuvre des musées. Toutes sont susceptibles de commentaires, sans jamais aucun jugement disqualifiant : « J’apprécie tous les artistes, dit-il. Ce qui est bien dans l’art, c’est la diversité. Le système de l’art imite le système de la vie, mais avec la différence qu’en art, il n’y a pas d’erreur, où si vous voulez, même l’erreur est une réussite. On peut faire quelque chose d’abominable en art, cela ne nuit à personne, sinon un peu à l’artiste lui-même, et encore. »
En 2001 un film a été consacré par Isabelle Arthuis et Erwan Mahéo à la collection virtuelle de Jacques Lizène. « Ce film, précise Jacques Lizène, s’est fait très vite, à un moment où je pensais d’ailleurs vendre ma collection virtuelle. » En un long monologue qui s’apparente à une visite virtuelle du musée lui-même virtuel, l’artiste accompagne le visiteur au carrefour de ses synapses. Il lui présente, en situation, les œuvres de la collection, de Picasso à Piero della Francesca, de Chardin à Charlier, de Ben à Ensor, en passant par le marsupilami de Franquin, vraie Sculpture génétique précise Lizène, l’œuvre sociale de Gaston Lagaffe, l’intégrale des œuvres perdues d’Alain d’Hooghe (dont la course cycliste pour l’art), la sculpture hindoue et ses triples flexions végétales. Il y évoque même la « Salle des suicidés » où il conserve entre autres les peintures détruites dans l’incendie de l’atelier de Gorki. Pourquoi une salle des suicidés ? « À une certaine époque, j’ai rencontré Richard Tialans dont je ne savais pas encore qu’il était pataphysicien, mais qui était féru de littérature et qui a publié le théâtre de Filliou. Je lui ai demandé de me conseiller des livres, mais uniquement d’écrivains suicidés. » Le musée virtuel de Jacques Lizène participe de son œuvre, il serait même œuvre à part entière. « En fait, explique Lizène, il n’y a rien d’original à cela. Bon nombre de gens collectionnent virtuellement ; la différence, c’est que je le déclare et accorde des interviews sur le sujet, et que je raconte des anecdotes ; en fait je collectionne aussi les anecdotes. » La collection virtuelle participe d’un système, dans lequel pourraient également s’inscrire les Lotissements de cimaise que Lizène pratique depuis 1975, ses Placards à tableaux (1970), dans lesquels il lui arrive d’intégrer les tableaux d’autres artistes, ou certains films tel Un certain art belge, une certaine forme d’humour (1993), exposition virtuelle où des œuvres d’artistes belges deviennent des monuments dans l’espace public parisien. Y aurait-il des œuvres de Jacques Lizène dans la collection virtuelle de Jacques Lizène ? « Oui, oui, répond-il, mais pas toutes… J’en ai laissé quelques-unes pour les autres. »
Virtual Collection. Formely: Mental Collection (1961). Virtual collection as of the early 1990s, when the artist also considered the concept of the virtual exhibition. Imaginary Collection of the Minor Master, Art Lover. The virtual collection provides the occasion for Behaviour Art: Behaving Like an Art Collector.
Jacques Lizène likes to remind us that he is a great art lover. The historian of his own career, himself over-qualifying or disqualifying his works in order to pre-empt any attempt at criticism based on judgement, he is also a collector of tremendous, purely intellectual generosity, since his collection is virtual. He has acted as an art collector since 1961. He was thus seen at a Parisian opening intervening in an auction over the phone (in fact, his shoe pressed against his ear). It is not unusual to hear the Minor Master introducing himself as a collector to people at art exhibitions. When asked about his latest acquisitions by a contemporary art magazine in 2006, the Minor Master, Collector and Art Lover, replied that he had just acquired a metamorphic painting by Picasso kept in a museum in Berlin, a piano by the Japanese artist Suchan Kinoshita, a homage to the philosopher Nietzsche (but in an ivory-white grand piano by Yamaha), plus a work by the young Olivier Foulon, and after that, L’Atelier by Courbet and L’Enseigne de Gersaint by Watteau.
It will be understood here that Lizène’s collection has to do with attitudes, discourse and appropriation, and is totally bound up with the way he elaborates his oeuvre. Lizène conducts the narrative of this collection with all the generosity that goes with this proclaimed mediocrity, which is what allows everything to exist. He is able to acquire a work by an amateur watercolour artist as easily as he can the greatest museum masterpieces. All are subject to commentary, but never to any disqualifying judgement. “I appreciate all artists,” he says. “What’s good about art is the diversity. The art system imitates the life system, but with the difference that in art there are no mistakes or, if you prefer, even mistakes are a success. You can do something abominable in art, it doesn’t harm anyone, except perhaps the artist himself, a bit, and perhaps not even that…”
In 2001 a film was made about Jacques Lizène’s personal collection by Isabelle Arthuis and Erwan Mahéo. “This film,” Lizène tells us, “was made very quickly, at a time, indeed, when I was thinking of selling my virtual collection.” In a long monologue, which is like a virtual tour around the museum, itself virtual, the artist accompanies visitors to the intersections of his synapses. He presents the works of the collection, in their actual places, from Picasso to Piero della Francesca, from Chardin to Charlier, from Ben to Ensor, via Franquin’s Marsupilami (a true Genetic Sculpture observes Lizène), the social work of Gaston Lagaffe, the complete lost works of Alain d’Hooghe (including the cycle race for art), Indian sculpture and its triple “vegetal flections.” He even mentions the “Suicides Room” where, among other things, he keeps paintings destroyed by the fire in Gorky’s studio. Why a room of suicides? “Some time I ago I met Richard Tialans. I didn’t know at the time that he was a pataphysician, but he was a great lover of literature and had published Filliou’s theatrical works. I asked him to recommend some books, but only by writers who had committed suicide.” The Jacques Lizène Virtual Museum is part of his work, and is indeed a work in its own right. “In fact,” explains Lizène, there’s nothing original about that. A good many people collect virtually. The difference is that I actually say so and give interviews on the subject, and that I tell anecdotes – in fact, I collect anecdotes.” It is part of a system in which we could also include the Divisions of Picture Walls that Lizène has been making since 1975, his Cupboardsful of Pictures (1970), in which he manages to integrate paintings by other artists, or certain films such as A Certain Kind of Belgian Art, a Certain Kind of Humour (1993), a virtual exhibition in which works by Belgian artists become monuments in Parisian public space. Might there be works by Jacques Lizène in Jacques Lizène’s virtual collection? “Yes, yes,” he answers, but not all of them. “I left a few for other people.”
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