VALÉRIE SONNIER - FAIRE LE PHOTOGRAPHE

 

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Valérie Sonnier

Sans titre (de la série faire le photographe), crayon de couleurs sur papier, 31 x 41,5 cm. 2012

Le «Cahier des morts minuscules» paru il y a quelques mois chez Yellow Now à Liège est incontestablement la meilleure introduction qui soit à l’actuelle exposition, «Faire le photographe» que Valérie Sonnier propose à la galerie.

A bords perdus, et la perte prend ici tout son sens, il rassemble une série de dessins tracés en 1990 sur le papier ligné de vierges feuilles comptables, une série de dessins au crayon et cire sur papier, comme un story-board dont les protagonistes sont un petit camion rouge chargé de deux cruches à lait, une poupée, une mappemonde, un pistolet à eau, et un pantin squelette, des jouets teintés d’une nostalgie transcendant celle que l’on peut avoir dans le souvenir de l’enfance. Dans les premières pages des Cahiers de Malte Laurids Brigge, précise l’éditeur en quatrième de couverture, Rainer Maria Rilke écrit : «On savait jadis (ou peut-être sentait-on) que l’on avait la mort en soi tel un noyau dans le fruit. Les enfants avaient une petite mort en eux, les adultes une grande.» C’est peut-être l’idée d’une échelle réduite de la mort qui a conduit Valérie Sonnier à réaliser ces séries de dessins, il y a maintenant un peu plus de vingt ans, pour l’éloigner, cette mort, la rendre moins terrifiante, jouer avec elle. Jouer, ce n’est pas autre chose que s’emparer d’un monde en modèle réduit pour s’en rendre maître. Or, seuls les jouets permettent d’appréhender le monde des adultes tout en s’en préservant.

 

L’ouvrage est introduit par Dominique Païni, qui voici peu montrait le travail de Valérie Sonnier au musée des Beaux-Arts de Taiwan, ainsi que par Bruno Girveau, chef du département du développement scientifique et culturel au Beaux-Arts de Paris. De ces deux contributions, je citerais volontiers les deux passages suivants :

 

«Et inutile d’insister sur l’ambivalence perverse des jouets, et particulièrement des poupées, comme déclencheurs des anamnèses dont le cinéma usa et abusa avec génie. Alfred Hitchcock utilisa dans Le Grand Alibi (1949) une poupée tachée de sang pour confondre le personnage interprété par Marlène Dietrich… L’essentielle beauté de ce Cahier des morts minuscules réside dans une éclosion de réminiscences. Freud encore, dans le texte fameux déjà évoqué, en commentant l’Homme au sable tiré des Contes nocturnes d’Hoffmann, s’arrête sur la folie du héros Nathanaël qui s’exclame : «Petite poupée de bois, tourne !». Petit camion de bois, tourne à ton tour ! Ce jouet accomplit un tour du monde, entre naissance et mort, et en cela il évoque la destinée de certains de ces objets trouvés, qui sont détenteurs de secrets nous concernant. Incontestablement, ce camion en sait long sur celle qui le dépeint» (Dominique Païni).

 

Derrière leur apparente légèreté – derrière l’apparente légèreté des dessins de Valérie Sonnier –, les jouets sont d’une richesse symbolique et culturelle immense. Ils préparent à la vie de «grand» autant qu’ils permettent de s’en émanciper en éveillant notre imagination. C’est la raison pour laquelle il est si difficile de s’en séparer. Leur abandon est douloureux, car il signifie notre entrée dans l’âge adulte, fait d’amour et de rencontres, mais aussi de compétition, de responsabilités et au final, de néant. De même que le jouet est une réduction poétique du monde réel, le destin du petit camion laitier est la contraction mélancolique d’une vie humaine. Et ce cahier, dans la force d’une première idée, sans une parole, nous offre un poignant livre d’artiste. (Bruno Girveau)

 

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016