Barry  Barker, qui a bien connu Marcel Broodthaers au début des années 70 et qui a collaboré à divers projet de l’artiste, le rappelle dans un texte récent : avec un rare sens de l’écoute, Marcel Broodthaers excellait dans l’art de la conversation. Il ne  s’enquérait pas seulement de votre santé, se souvient Barry Barker, mais se lançait régulièrement dans de vrais débats d’idées, vous questionnant, demandant votre opinion, y répliquant de telle sorte que la conversation prenne, dans bien des cas, le tour d’une création en soi.

 

Cet art de la conversation, Marcel Broodthaers l’entretient même avec son chat. Rappelons les faits : ils se déroulent à Düsseldorf en 1970, au 12 Burgplatz, siège du Musée d’Art Moderne, Département des Aigles. Broodthaers converse avec un chat domestique et enregistre l’interview. Il interroge le félin :

- Est-ce un bon tableau celui-là ? Correspond-il à ce que vous attendez de cette transformation toute récente qui va du Conceptual Art à cette nouvelle réaction d’une certaine figuration, pourrait on dire ? Après un temps d’hésitation, le chat répond :

- Miaou.

- Vous croyez ? insiste M.B.

Le chat se fait dès lors plus disert, affirmatif et concerné par le sujet. Nouvel académisme, audace contestable de l’art, marché, évolution d’une collection, utilité des musées : en deux minutes précisément, Broodthaers et le chat abordent une série de questions épineuses qui, précise Broodthaers, «préoccupent beaucoup d’artistes». Le chat a réponse à tout ; à tout le moins semble-t-il avoir un avis autorisé sur ces questions.

 

Je repense, bien sûr, à cette performance de Joseph Beuys qui eut également lieu à Düsseldorf, cinq ans auparavant, en la galerie Schmela : «Wie man dem toten Hasen die bilder erklärt» (1965), «comment expliquer les tableaux à un lièvre mort». Durant les trois heures que durent cette performance, Joseph Beuys est seul à l’intérieur de la galerie en compagnie d’un lièvre mort tandis que le public observe la scène, depuis l’extérieur, par les fenêtres. Beuys a la tête couverte de miel et de feuilles d’or. A son pied droit est attachée une longue semelle d’acier contre laquelle est déposée une semelle de feutre de même dimension. Au lièvre mort, il murmure des choses inaudibles pour l’auditoire, lui montrant les tableaux accrochés aux murs de la galerie. La performance est célèbre, elle sera réinterprétée, entre autre, par Marina Abramovic (2006).

 

A Düsseldorf toujours, mais beaucoup plus tard, Olivier Foulon réinterprétera l’ «Interview avec un chat», cette fois en allemand, avec la complicité de la curatrice Suzanne Tits dans le rôle de Marcel Broodthaers, Olivier Foulon s’attribuant le rôle du félidé (2005). Sur la face B de la pochette du 45 tours édité pour l’occasion,  on découvre  une photo du 12 Burgplatz ; sur la face A, un singulier dessin de Léonaert Bramer, actif à Delft durant la première moitié du 17e siècle. Il représente une façade de maison et sa porte en bois, percée en son centre d’un trou circulaire aussi singulier qu’inattendu, non pas un vrai judas percé dans la porte, mais un trou tout rond, irréel, bordé d’un motif décoratif. De part et d’autre de cet orifice, des curieux se pressent. Que regardent-ils ? Le vinyle sous la pochette ? Nul ne sait. Il n’est pas impossible que ce dessin de Bramer soit la maquette d’une façade d’une boîte optique comme le suggère ce curieux œilleton pour curieux, presque duchampien, si l’on fait référence à «Étant donné. 1. La chute d’eau. 2. Le gaz d’éclairage». Peu de temps avant le moment où il réinterprète l’interview avec un chat, Olivier Foulon retrace un dessin trouvé dans une revue satirique du 19e siècle, représentant un visiteur du Salon parisien faisant le poirier devant les œuvres exposées. Le dessin est légendé : « Le plus difficile n’est pas de faire le tableau mais de savoir le regarder ».

 

L’humour et l’ellipse brotharciens, le rituel beuyssien, la question de la traduction et de l’interprétation –y compris celles des images – chez Foulon : on l’aura compris, tout tourne autour de l’art de la conversation, de la conversation sur l’art et, surtout, de sa compréhension. «Sans le caractère ostentatoire de la performance beuyssienne, constate Barry Barker, Broodthaers fait avec finesse et humour référence à toute la complexité de l’entendement de l’art, de sa valeur d’échange contemporaine». Donner sa langue au chat, gardien de tous les secrets, suppose que l’on renonce au jeu de la devinette. La parole du chat serait donc de valeur considérable, et il pourrait s'agir en «donnant sa langue au chat», de lui prêter la parole pour qu'il nous donne réponse aux devinettes posées. Lui prêter la parole, oui, mais n’oublions pas que seul le Chat Botté de Charles Perrault parle le langage des humains, du moins sur le 45 tours de mon enfance, où je l’entend encore répondre au marquis de Carrabas (...) (Jean-Michel Botquin)

 

The frontcover contains a reproduction with the following caption:

Leonard Bramer 'Die Neugierigen'

Düsseldorf, museum kunst palast, Sammlung der Kunstakademie (NRW)

 

Dank an Michel Assenmaker, Dr. Sonja Brink, Yves Gevaert, Peter Gorschlüter, Dr. Ulrike Groos, Dr. Gregor Jansen, Kathrin Jentjens, Rita Kersting, Ella Klaschka, Jean-Hubert Martin, Rita McBride, Kathleen Rahn, Bertram Rutz, Julia Stoschek, Filiep Tacq, Susanne Titz und besonders an Maria Gilissen.

 

The A-label contains following information:

version française

1970

Ceci est une interview recueillie au Musée d'Art Moderne, Département des Aigles 12, Burgplatz à Düsseldorf

Interview with a Cat

Marcel Broodthaers

 

The B-label contains following information:

deutsche version

1970

Ceci est une interview recueillie au Musée d'Art Moderne, Département des Aigles 12, Burgplatz à Düsseldorf

Interview with a Cat

Marcel Broodthaers

 

Recorded on the 12th March 2006 for the exhibition 'redites et ratures'.

 

Pressing plant uncredited, identified by the matrix numbers.

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016