SCULPTURES GÉNÉTIQUES, 1971

 

A.G.C.T.

 

Ces quatre lettres désignent les bases puriques que sont l’adénine et la guanine et les bases pyrimidiques que sont la cytosine et la thymine ; c’est l’alphabet de l’ADN dont Lizène s’empare dès 1971. Déconcerté par la science de l’hérédité, face à l’ampleur d’un tel phénomène microcosmique et contingent, Lizène exprime un certain émerveillement et un peu d’effroi (teinté de résignation, précise l’artiste) : «Le monde est une immense histoire génétique.»

Dénominateur essentiel de la démarche génétique, AGCT envisage de « filmer le plus grand nombre de visages humains». Il en résulte deux films de 16 mm : Extrait n°1 et n°2 (1971 et 1972), principe qu’applique également Lizène à une  Action photographique (1971), un projet de recensement du plus grand nombre de visages toutes races confondues. Ce projet évoque étonnamment les Variable Piece (1970) de l’artiste conceptuel Douglas Huebler, qui propose de «photographier l’ensemble des personnes vivantes, afin de fournir la représentation la plus authentique de l’espèce humaine». Cependant, la dimension chimérique chez Lizène et l’importance du thème dans son œuvre résonnent de manière bien différente de Huebler. Le Petit Maître reprendra en effet le projet en remake. Avec le Fun Fichier (1993), il applique le principe AGCT d’une nouvelle façon. Il décide de découper les visages en trois zones. La première concerne le front, la seconde les yeux et le nez, la troisième la bouche et le menton. Il s’agit ensuite d’échanger les différentes zones avec celles d’autres visages pour que résulte un nouveau faciès humain.

Dès 1996, la démarche évolue encore et prend le nom de Sculpture génétique (1971). Lizène propose aux spectateurs lors de vernissages ou au quidam lors de promenades en rue (action de rue) de poser devant l’objectif en tenant en main une partie d’un cliché représentant le bas ou le haut d’un visage. Pour cette pratique, une comparaison peut être établie avec plusieurs photographies de Marcel Mariën, qui reprennent le principe du collage réaliste de manière ponctuelle avec des parties de visages moins délimitées que chez Lizène. Réalisé lors de la cinquième édition de Bandits-Mages, forum de rencontres internationales des arts audiovisuels et du multimédia localisé à Bourges, Fun fichier/Sculpture génétique (1997) sera l’occasion pour Lizène de renouer avec un des aspects du projet initial. À partir de visages filmés à l’aide d’une caméra vidéo, l’artiste transforme électroniquement le faciès humain en interchangeant le nez et les yeux.

Lizène réactualise ainsi le circuit fermé de télévision qu’il projetait dès 1971, mise en œuvre d’une caméra de surveillance placée sur un moniteur, en circuit fermé donc, et de la photographie d’un demi-visage appliquée sur l’écran, croisée au demi-visage de celui qui se placera devant la caméra. De même, il multiplie les croisements en collages et dessins, associant l’Art syncrétique à ces expérimentations génétiques. Le Petit Maître s’occasionnera ainsi dans l’hybride, qu’il se mêle à diverses personnalités (Lizène croisé Szeeman, 1997) ou qu’il s’adjoigne quelques attributs objets, un sexe en érection sur la tête, exemple, reprenant ainsi en sculpture la démarche photographique «Mettre n’importe quel objet sur sa tête». Aujourd’hui l’AOC Sculptures génétiques culturelles est toujours en vogue. (Cécilia Bezzan)

 

SCULPTURES GÉNÉTIQUES

 

Le registre des «sculptures génétiques» participe du double principe du collage et du montage – tel qu’il est présent dans nombre d’œuvres canoniques de la modernité (Max Ernst, avant tout, mais aussi Eisenstein, Heartfield, Erró, Rauschenberg, Godard, Jorn, etc…). Pour Lizène comme pour tous ceux-là, il s’agit de faire entrer en collision deux éléments hétérogènes (prélevés dans les registres les plus divers), suffisamment éloignés pour produire un effet de heurt ou d’incongruité (il s’agit de réunir ce qui logiquement n’aurait jamais dû l’être) et pourtant ajustables, harmonisables (la rencontre doit aussi avoir un caractère d’évidence). Mais ce qui singularise Lizène, c’est que l’effet de surprise ou d’émerveillement n’est jamais dénué d’une certaine dimension burlesque (seuls quelques collages d’Erró s’aventurent dans cette direction-là), résultant notamment d’une transgression des classifications et des hiérarchies admises. D’où par exemple, le «montage» d’une statuette d’art primitif et d’une sculpture classique ; l’hybridation de deux ou plusieurs visages (Freud-Hitler, Proust-Kafka, Lizène-Picasso) ; l’irruption d’un regard féminin dans l’image du buste de Sade par Man Ray ; l’ajout d’éléments farcesques et perturbateurs (les faux-nez) à certains portraits ; la création d’objets paradoxaux (la Guitare-pioche, la Guitare à deux manches) ; le télescopage de deux moitiés de meubles (chaises, canapés) appartenant à des styles opposés ; l’invention de végétaux d’une « dualité » défiant toutes les lois de la nature (un sapin «mutant» soudainement en palmier, un arbre dont le tronc se développe brusquement à l’horizontale, en formant un angle droit) : les variations, on le sent, sont infinies. Mais ce qui fait la singularité de Lizène, aussi, dans ce répertoire, c’est qu’il peut se concrétiser dans tous les langages dont il dispose : ces collisions peuvent tout aussi bien s’incarner dans des collages d’images ready-made, des dessins tracés à la main, des créations d’objets (résultant à l’occasion de ces dessins), des vidéos (les techniques de l’incrustation, ici, font merveille) des détournements de sculptures, des actions de rue (l’inénarrable performance où il aborde les passants, pour leur apposer sur le visage le fragment photographié d’un autre visage, les transformant de facto en sculptures génétiques vivantes), et même des inventions de symboles (son fameux drapeau belge, peut-être pas entièrement ironique, résultant de la conjonction de la moitié du lion flamand et de la moitié du coq wallon…). (Guy Scarpetta)

A.G.C.T.

 

These four letters designate the purine bases adenine and guanine and the pyrimidine bases cytosine and thymine which form the DNA alphabet. Lizène began using this in 1971. Disconcerted by the science of heredity and the sheer significance of this microcosmic, contingent phenomenon, Lizène expressed wonderment and a little dread (coloured, the artist points out, by resignation): “The world is one great big genetic history.”

The essential basis of the genetic approach, AGCT was a plan to “film as many human faces as possible.” The result was two 16mm films: Extract no. 1 and no. 2 (1971 and 1972). Lizène also applied this principle to a Photographic Action (1971) whose aim was to gather the greatest possible number of faces from every possible race, an idea astonishingly similar to the Variable Pieces (1970) by conceptual artist Douglas Huebler, who set out to “photograph all living people, in order to provide the most authentic representation of humankind.” However, Lizène gives this idea a chimerical dimension and it has a very different resonance in his oeuvre than in Huebler’s.

The Minor Master in fact took up the project as a remake. In his Fun File (1993) he applied the AGCT principle in a new way. He decided to divide the face into three separate zones: the forehead, the eyes and the mouth and chin. These zones were then mixed with those from other faces to produce a new set of human faces. In 1996 this approach began to change again and acquire the name Genetic Sculpture (1971). Lizène asked visitors at openings or people met in the street (Street Action) to pose for the camera holding part of a photograph representing the upper or lower part of a face. This practice can be compared to several photographs by Marcel Mariën, which adopted the realist collage principle but with parts of the face that were less clearly defined than in Lizène. Made for the fifth Bandits-Mages, an international audiovisual and multimedia festival in Bourges, Fun File/Genetic Sculpture (1997) gave Lizène an opportunity to go back to one of the aspects of the initial idea. Taking faces filmed with a video camera, the artist transformed the human physiognomy by electronically interchanging the nose and the eyes.

Lizène was thus revisiting the closed television circuit that he conceived in 1971, with a surveillance camera placed on top of a monitor (therefore forming a closed circuit), and the photograph of a half-face put over the screen, crossed with the half-face of the person standing in front of the camera. He also produced numerous hybrids in collages and drawings, combining Syncretic Art with these genetic experiments. The Minor Master thus ventured into hybrids, whether combining himself with various public figures (Lizène Crossed with Szeemann, 1997) or grafting various attributes onto himself, such as an erect penis on his head, this being a sculptural extension of his photographic idea of “Putting Any Old Object on My Head”. The Cultural Genetic Sculptures CO are still in vogue today

 

GENETIC SCULPTURES

 

The category of ‘genetic sculptures” uses the double principle of collage and montage – like in numerous canonical works of modern artists (most of all in Max Ernst, but also Eisenstein, Heartfield, Erró, Rauschenberg, Godard, Jorn, etc…). Like for all of them, the point for Lizène is in a clash between two heterogeneous elements (belonging to quite different categories), sufficiently distant to create an effect of contrast or impropriety (by joining what, according to logics, would never join), nevertheless justified and harmonious (because the clash is to make an impression of obviousness). What differs Lizène from them, however, is the fact that the effect of surprise or enchantment is never deprived of a dose of burlesque (only a few collages by Erró are like that) resulting from exceeding accepted hierarchies and classifications. Such is the case of a “montage” of a primitive sculpture with a classical one; hybrids of two or more faces (Freud-Hitler, Proust-Kafka, Lizène-Picasso); attaching a feminine look to the bust of marquise de Sade by Man Ray; adding farce elements (fake nose) to portraits; creating paradoxical objects (guitar-pickaxe, guitar with two fingerboards); joining halves of chairs or sofas made in contrasting styles; inventing “dualist” plants contradicting natural laws (spruce turning into a palm tree or a right angle tree trunk): we feel that such variations can be innumerable. What makes Lizène someone unique in this repertoire, however, is the fact that he realizes all this in all techniques and languages he uses: collages, ready-mades, drawings, objects (appearing in parallel with these drawings), video (techniques of incrustation bring miracles here), turning sculptures over, street actions (comical performance consisting in stopping the passers-by and comparing their face with the fragments of other face, what transforms them , in fact, in living “genetic sculptures”), and even inventions of symbols (his famous Belgian flag, maybe not fully ironic, made by joining a half of the Flemish lion with a half of the Walloon rooster …). (Guy Scarpetta)

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016