JACQUES CHARLIER

PHOTOS - SKETCHES & HARD' MUSIC (1971-77)

 

 

LA POÉSIE DES RELATIONS TACTIQUES

 

      A Barbara Reise

 

Echapper à tous les systèmes, qu’ils soient locaux ou internationaux. Etre invité à la très sérieuse biennale de Paris par le Service de Propagande (sic !) artistique du ministère belge de la Culture et décider d’y aller en emmenant ses potes artistes. Fantasmer dès lors sur la puissance de la télé. Faire de la musique au coin du poêle à mazout, s’enregistrer, déclarer qu’il s’agit là de performances psycho acoustiques et introduire ses cassettes audio dans un cénacle très local de l’art contemporain. Dans la foulée, considérer sa guitare électrique, ses pédales et son ampli Minix comme dignes de composer quelques natures mortes et les photographier en série (ah ! le concept conceptuel de la photographie en série) ; ce seront de belles pochettes de vinyles. S’inspirer du roman photo et de la bande dessinée pour croquer  le monde de l’art, ses galeristes, ses connoisseurs et ses artistes. Se mettre en scène dans des photos sketches en accentuant le burlesque et le clownesque de la situation, et cela, vingt ans avant « The Painter » de Paul McCarty. Finir par classer ces travaux au rang de l’art bidon. Observer le public des vernissages et en faire un motif. Et se dire qu’un jour ou l’autre, on comptera les présents et les absents. Réintroduire la caricature dans le champ de l’art, bel hommage à Daumier et consort, la réhabiliter et dès lors mettre en relief les comportements, pasticher des situations, démonter les systèmes et camper les attitudes. S’engager bien sûr, pour le Journal POUR par exemple, et participer à la soirée Salto/Arte organisée par Isy Fismann, Jean Coquelet et Harald Szeemann, place Flagey à Ixelles, aux côtés des Beuys, Filliou, Ben Vautier ou Boltanski. Y faire le saltimbanque avec les autres et surtout, ne pas oublier de demander à son épouse de photographier tout le déroulement de la soirée, car cela participe du travail. Tout cela est parfaitement logique. Pensez donc, alors qu’il conçoit ces travaux, l’artiste a déjà introduit dans le champ de l’art tout le Service Technique Provincial qui lui permet de mettre du mazout dans le poêle familial et n’a pas hésité un moment à envisager de couler la ville de Liège où il habite sous une seule dalle de béton en guise de Zone Absolue.

 

A l’époque, Barbara Reise – et ce n’est pas un hétéronyme de Charlier, mais une bien réelle critique d’art, originaire de Chicago, installée à Londres dès 1966, trop tôt disparue en 1978 -, a bien compris l’esprit, les motivations de l’artiste,  sa « position excentrique », son goût de la liberté, sa nécessité intérieure d’être en phase avec le réel : « La biennale de Venise est un désert vide, écrit-elle à propos de l’édition de 1972, vide de sens, sans spectateurs, avec de l’art malade et idiot que nul n’intéresse. Mais Charlier et sa famille, qui vient à Venise, qui y va nager, manger ensemble dans des restaurants pas chers, avec des gens sympas, ah, ça c’est véritable et c’est sain. Et cette santé est présentée au monde de l’art comme un défi ». Et Reise poursuit : « Ce qui compte pour Charlier, ce n’est pas l’acharnement solitaire de l’artiste, ou la valorisation, ou la définition des possibles, ce qui compte, ce sont les relations humaines immédiates, l’aventure, la présence hic et nunc de la vie véritable. De là cette fascination pour le monde de l’art, l’obsession de l’intrigue, la poésie des relations tactiques et stratégiques, la géographie du monde international de l’art ».

 

Alors que le musée d’art contemporain d’Anvers présente actuellement une série significative de travaux photographiques des années 70 de Jacques Charlier dans le cadre de l’exposition « De Broodthaers à Braeckman – La photographie dans les arts plastiques en Belgique », conçue par Liesbeth Decan, la galerie Nadja Vilenne propose de découvrir et redécouvrir une série très précise de travaux des années 70.  Certains ont été très rarement présentés, d’autres  sont inédits. Volontairement multimédiale (film, son, photographies, dessins), le concept de l’exposition épouse au plus près ce qui anime Charlier durant ces années 70, entre photos - sketches et performances rock and roll, cette capacité aigüe de regarder le monde et d’y vivre, un monde réel qu’il considère comme son terrain, un monde où la communication transforme la situation elle-même, son monde à lui qu’il introduit dans le champs de l’art, n’hésitant pas, et sans détour, à miner le terrain.

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016