NAPOLÉON AUX AUTRES ŒUVRES

 

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Durant les deux mois que dura le travail de cette exposition, ce fut un incessant ballet de caisses et de boîtes dans une continuelle réévaluation du travail. Des œuvres apparaissent, d’autres disparaissent. L’espace au fil des jours se transforme. Honoré δ’O est attentif à chaque point de vue ; chaque installation, chaque sculpture, selon l’angle du regard, selon le moment, en contient plusieurs ; sans cesse il quête la lumière, sa quasi-valeur auratique, son énergie révélatrice. Continuellement, Honoré δ’O pose des questions fondamentales sur l’essence même de l’art et l’engagement que celui-ci suppose. Peu à peu s’élabore un scénario ayant trait à la concentration et à l’extension du langage plastique. L’artiste nous a le plus souvent habitué à une poétique oscillant entre dilatation spatiophage, cette sorte d’extension continuelle, de prolifération, d’all over, all on, all in, all between, et des interventions ponctuelles, cadrées de façon précise, aptes à faire image de façon concentrée.

 

Ainsi l’exposition s’articule sur deux propositions précises. Le rez-de-chaussée de la galerie est ponctué d’œuvres ouvertes au monde, mais closes, en toute transparence et légèreté. Une douzaine de travaux rythment l’espace, comme autant d’éléments de vocabulaire, de propositions incises et précises, la plupart sous caisson de plexiglas, ce matériau qui, pour l’artiste, est plus un réceptacle immatériel, un élément syntaxique qu’un simple caisson de conservation. Ce sont comme des cornues alchimiques dans lesquelles se distille cet art à l’état gazeux», ce champ d’expérience procédural qui tend à l’équilibre substantiel, matériel; un éther poétique contenu, là où la production d’expérience ne se volatiliserait pas. À l’étage, l’œuvre prolifère, elle s’inscrit dans l’espace, elle joue délibérément la carte d’une stratégie de la dissémination. En fait, c’est la galerie elle-même qui devient réceptacle immatériel et éther poétique contenant le fragile équilibre du travail. Dans l’un et l’autre cas, les phrasés font texte, mais suivant une respiration différente, selon le rythme de la ponctuation. Il y a là les références, les axiomes, tout en dérive d’une poétique métaphorique. Tout potentiel est extensible, toute extension est potentielle.

 

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Axiomes, dérivés, prototype, principe de sublimation, expériences réévaluées, art à l’état gazeux. Les références à un véritable projet scientifique idiosyncratique, au fil d’une méthode immersive systématique, sont nombreuses. Dans « Math book », ce petit livre ancien, quelques coquillages faisant office de signet sur la page ouverte, évoque le quantum, cette plus petite mesure indivisible, que ce soit celle de l’énergie, de la quantité de mouvement ou de la masse. Cette notion est centrale dans la théorie des quanta, laquelle donnera naissance à la mécanique quantique. Je me souviens des images de cette exposition «Une visite rare accroît l’amitié» produite en 2002 à la Maison de l’Université de Rouen et à l’initiative de la Galerie Duchamp. L’installation créée par Honoré δ’O agissait, dans les couloirs même du bâtiment, en une longue dérivation d'objets et de sculptures agencés, nous a-t-il dit, comme les rythmes fluides et ondulatoires de la mécanique quantique. Une onde, en effet, comme une énergie rayonnante continue et discontinue, composée de vides et de pleins de toutes ces choses dues à l’expérience. «Au Volant» y participait déjà, tout comme ce «Napoléon» composé et paysagé des pieds au bicorne, au cœur tricolore, joueur de flûte lui aussi, et dont le linge pend au vent sur les cordes de l’imaginaire. Oui, il s’agirait à tout le moins d’une science du processus. «On comprend que l’aléatoire est plus maîtrisé qu’il n’en a l’air au premier abord. Que les césures, les changements d’échelle ou de vitesse de défilement des images participent à une stratégie globale. De toute manière on n’épuisera jamais la multiplicité des connexions que ces univers en expansion sont capables de générer», écrivait alors Stéphane Carrayou, évoquant ce «Perpetuum mobile» de l’oeuvre.

 

Nous ne serions pas loin de penser qu’Honoré δ’O n’est pas si éloigné de la pataphysique en ce que sa pratique tient de la science des exceptions et des solutions imaginaires. On pensera aussi à Robert Filiou qui échafauda tout au long de sa vie un labyrinthe de signes, de traces, d’indices, qui se font écho et constituent la trame d’un processus de production permanente irréductible à toute finitude, une création comprise comme un élan vital. Lui aussi développa toute au long de son œuvre ce principe d’équivalence. D’un point de vue scientifique, celui-ci sous-tend l’évolution et la complexification de la matière à travers un processus d’altération et de reconfiguration des particules élémentaires. Sur le plan esthétique, l’équivalence devient catalyseur d’un processus artistique ininterrompu. C’est là une pensée en constante progression.

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016