L'ARBRE DE LA CONNAISSANCE

 

5.

Au pied de «L’arbre de la connaissance», il y a deux sources, deux petites pissotières. Masculin et féminin. «Fountain», Marcel Duchamp est toujours là. Aux ouates blanches qui grimpent le long de la tuyauterie, un «bENGEL» facétieux a ajouté des ouates pisseuses. Me viennent à l’esprit les images des arbres de la connaissance de toutes les civilisations, de toutes les mythologies et cultures, celui du jardin des Hespérides, l’Arbre de Vie, le figuier des Pagodes, l’Arbre de Jiva. «Ce n’est pas la pomme qui m’intéresse, me confie l’artiste, ce sont les branches». Tous les paysages immersifs que l’artiste conçoit, même les plus démesurés, au sens littéral et figuré, hors mesures en quelque sorte, procèdent de gestes microscopiques, dans un continuel processus de pensée créatrice truffé d’anecdotes formulées par des accidents de rencontre, révélés au hasard des conversations. C’est aussi ainsi que l’arbre croît.

 

Sur le cube de plexiglas a moitié rempli de petites cuillères en plastique, un livre : «Vita Brevis» de Maurice Gilliams, un poète belge d’expression néerlandaise, trop peu connu, trop peu traduit, précise Honoré δ’O, décédé à Anvers en 1982, marqué par la double angoisse de Rilke et de l'expressionnisme. Il a consacré sa solitude d’esthète à une analyse intérieure dont témoignent ses essais. Ces petites cuillères sont les mêmes que celles que l’artiste accroche en série sur une bande adhésive, dans le ciel, lorsqu’il évoque Babel ; elles sont comme toutes les langues. Le livre soutient un petit personnage, assis en tailleur sur sa corde d’alpiniste ; et sa corde est soigneusement lovée sous son nœud d’arrêt. Assis comme un Bouddha, il a la tête bandée. Une corde similaire grimpe vers le ciel, vers trois rouleaux d’adhésif transparent, accrochés au mur. Réparer des déchirures. Assembler, coller une feuille de papier au mur.

 

Il y a quelques mois, lors de l’exposition RE:PRINT à Mechelen, Honoré δ’O proposait une première version de cet Arbre de toutes les connaissances et écrivait à ce moment-là : «I shall draw faces, something I’ve never done, because I was trained mainly in composition and landscapes,.(…) I imagine handing in prints and copies, having the original Flemish drawings « commercialised » at an art fair in Brussels by, say, a Walloon gallery ». Trois dessins, en effet, étaient accrochés dans l’arbre, trois portraits, «Oscar», «The Winner» et «Looser in loop», trois portraits d’actualité, à la Une du journal sur la table du petit-déjeuner. La célébrité, la consécration, le politique. Et ce troisième, le portrait du politicien, looser en boucle, est dessiné deux fois, l’un par Inge (door Inge), l’autre pour Inge (voor Inge). «Ziek, malade», ajoute Honoré δ’O sous son dessin. «Juiste diagnose».

 

Le diagnostic cette fois consiste à soustraire les dessins de l’Arbre, dont la couronne prend cette fois beaucoup plus d’amplitude. Toute œuvre peut toujours être constituée des mêmes éléments, ou d’éléments similaires dans une constellation différente. Ou d’éléments différents dans une constellation similaire. Honoré δ’O notait alors : «merk je verschillen tijdens de productie van alternatieven ? Merk je beslissende verschillen tijdens de productie van alternatieven ? Alternatief perspectief van een stilstaande productiefase, een omgekeerd rechtgelezen». Les chemins de la connaissance sont multiples et mouvants. Nul ne peut prédire la croissance naturelle de l’arbre, c’est le sens même du processus, entre matière et énergie. Une branche. Des billes de polystyrène en poches de plastique. Le féminin, le masculin, encore. Un phylactère d’ouate. Inge, la muse, cette fois, sans livres : ce cube de plexiglas est espace de l’intime. La couronne de l'arbre enfin, les branches constituées de petits masques respiratoires. Ils sont ronds comme des pommes. L’Arbre est la vivante respiration du monde.

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016