HIMMELSLEITER - HIMMELWEG - CHEMINS DE PARADIS

 

Maastricht, theater aan het Vrijthof et T'Brandweer

Durant la TEFAF, du 6 au 16 mars

Festival de performances le mercredi 12 mars de 15 h à 23 h

 

À l’occasion du festival «Tijdens TEFAF», le théâtre du Vrijthof à Maastricht tisse des liens entre la célèbre foire des Antiquaires et l’art d’aujourd’hui, en privilégiant les pratiques de performance, cet art de ce qu’il advient, et en présentant une série d’œuvres contemporaines pleinement participatives avec le public. Le théâtre, au cœur d’un programme plus vaste encore et dédié aux arts de la scène, s’ouvre ainsi à une série de pratiques qui touchent à la sculpture d’aujourd’hui, à l’art vidéo, aux performances et à leurs résidus, à la musique contemporaine, à la photographie, à la représentation. Confiant ce programme à la galerie Nadja Vilenne, le théâtre inscrit cette manifestation dans une perspective eurégionale et internationale.

 

Durant cette semaine où toute la ville de Maastricht vibrera au tempo de sa célèbre foire, dans l’enceinte du théâtre, on cheminera au fil des interventions artistiques permanentes ou éphémères et suivant deux pôles : une exposition et moment phare, le 12 mars, journée et soirée où se succéderont les performances, un programme qui se veut ascensionnel.

 

Dans un bassin industriel, comme l’est l’Euregio, on se souvient de ces images de salles des pendus, typiques des anciens carreaux de mines, là où les hommes suspendent leurs vêtements et à des cordes ou des chaînes avant la descente. Défroques de corps, voici ces ballots de vêtements envoyés vers le ciel comme dans les cintres d’une scène de théâtre, promesse de remontée : l’himmelsleiter, l’échelle vers le paradis, la remontée de l’enfer de la mine. Si l’image fonctionne parfaitement bien avec la performance que produira Tsuneko Tainuchi, elle est aussi comme un fil conducteur lorsqu’on aborde l’ensemble de ce programme où il est question de l’enfer, du paradis, de l’épreuve vécue et du corps exposé. Cette salle des pendus, c’est comme un imaginaire générique à ce programme mis dès lors à l’enseigne de l’himmelsleiter, l’himmelsweg, le chemin du paradis.

 

UNE PRISON SUR LA PLACE

 

Les oeuvres de Leo Copers puisent régulièrement dans notre inconscient collectif, au creux des symboles universels; elles procèdent souvent de ce qui participe de notre culture immémoriale. Régulièrement, elles investissent également ce qui touche au conflit, à la violence, à la mise en danger. En concevant sa VIPAG, prison volontaire, individuelle et automatique, Leo Copers renoue avec la haute tradition médiévale du pilori planté sur la place publique, destiné à exhiber au regard de tous le fauteur, le pécheur, le condamné. Mais le pilori de Copers est contemporain : il ressemble à une cabine téléphonique, à une sanisette, s’intègre au paysage citadin comme un très commun mobilier urbain. C’est une cellule aux forts barreaux d’acier, dotée d’un monnayeur. Car la prison est volontaire : on n’y est pas enfermé pour payer ses crimes ou sa dette envers la société, on paie pour y pénétrer. Nul besoin de geôlier. Si l’utilisateur décide d’entrer seul en prison, usant de son libre-arbitre, il en gérera également les modalités, décidera lui-même du temps d’enfermement, paiera en conséquence. Copers nous propose—t-il de faire pénitence ? Est-ce un geste rédempteur que de glisser un euro dans le monnayeur ? Une transaction par rapport à nous-même ? Un geste de libération ? Au vu de tous, l’usager aura le temps d’y réfléchir assis sur le métal froid du bas flanc de cette cellule singulière.

Installer la VIPAG sur le Vrijthof à Maastricht renoue en tout cas avec le génie du lieu. C’est à cet endroit que s’érigeait le cloître des «Witte Vrouwen, penitenten van de Heilige Maagd Maria». Parmi celles-ci on compta Mariken van Nieumeghen, qui entretint commerce très charnel avec un homme appelé Moenen, le comédien borgne, celui qui sur scène tient le rôle du diable. Bigre, nous sommes au théâtre ! Tous deux furent accusés d’être responsable d’une terrible épidémie de peste qui ravagea Anvers au 16e siècle. La tradition littéraire rapporte que le pape condamna Mariken à porter les fers durant vingt-cinq ans afin de faire pénitence mais elle ajoute aussi qu’un ange libérera miraculeusement celle-ci de ses entraves et menottes, lui garantissant la voie du paradis. Il ne faut sans doute pas rappeler aux Maastrichtois que la «Generaalhuis» qui abrite aujourd’hui le théâtre fut aussi durant le siècle dernier bureau de police. Copers, installant sa prison volontaire renoue avec la garde-à-vue. A vue, c’est le cas de le dire dès le moment où l’on installe un pilori.

 

LE GÉNIE DU MAL

 

Tisser des liens, donner du sens, c’est aussi le propos de Jacques Charlier. Himmelsweg (1986-89) est comme une image romantique qui nous parle de la séduction, du mal et du péché d’oubli. Ce Génie du Mal de la cathédrale Saint-Paul de Liège, signé du ciseau de Guillaume Geefs (1848), est une œuvre de commande censée symboliser le «triomphe de la religion sur le génie du Mal». L’ange déchu aux ailes de chauve-souris, ce diable-là, sera si sublime, au grand risque de distraire les jeunes paroissiennes, que la Fabrique d’église refusera cette sculpture trop séductrice. Guillaume Geefs retravaillera cette divine et masculine beauté satanique de façon plus conforme à l’esprit du temps et ses codes moraux, sculpture désormais installée sur l’arrière de la chaire de vérité de la cathédrale liégeoise. Et Charlier lui passe les fers aux pieds, sous le guéridon posé face à la photographie de l’ange déchu, tandis qu’il scelle l’installation de trois livres déposé sur la crédence : une étude carmélite sur Satan, un livre scientifique sur l’Air, le mémorial des Juifs belges exterminés à Auschwitz. «Himmelweg», horreur du cynisme nazi, ce sont aussi les derniers pas qui mènent aux chambres à gaz. Le chemin du paradis mène à l’enfer ; la chute est si proche de la rédemption. Le génie du mal séduira-t-il dans l’oubli ?

 

ROI, REINE DE SA PROPRE VIE

 

Il n’est sans doute pas simple d’oser s’enfermer dans la cellule de Leo Copers. C’est une expérience éprouvante. Celle que propose Michel Antaki, Grand Jardinier du Paradoxe et du Mensonge Universel, fondateur à Liège du Cirque Divers, actuellement directeur du mensuel C.4 et de l’espace «Une certaine Gaité», sera peut-être plus paradisiaque : oser être roi ou reine un instant. S’asseoir sur le trône du Sultan de Bouillon, qualité dont s’est investi Antaki, explorateur syrien, poète de l’opportunité, et rêver le temps d’une photographie d’être roi ou reine de ses propres désirs, de sa propre vie. Michèle fut reine des fouets de cuisine, Yannick roi des crocodiles dandys, Thiemoko roi de la noix, Julie reine des prés, Suzanna reine de la tranquillité, Louis roi de ses maîtresses… Les rois et reines se succèdent sur le trône du sultan. Chacun, ainsi, est invité à sculpter son propre imaginaire, à devenir acteur de ses envies les plus folles ou les plus simples. A chacun son chemin de paradis avec la complicité de Frank, ange de la photographie.

 

PEINTURES NULLES

 

Antaki est là, Lizène ne peut être loin. On entend déjà sa voix nasillarde inviter «les collectionneurs avertis à acquérir un Lizène d’art médiocre pour mettre en valeur, par opposition, leur mobilier de qualité et leurs tableaux de maîtres» (art auto-publicitaire, 1975). Usant de la parodie, chantre d’un réel dépourvu d’illusion, rebattu sur lui-même, fonctionnant en circuit fermé, le petit-maître liégeois de la seconde moitié du 20e siècle, n’a de cesse de purger l’art de ses mythologies. Le voici qui installe deux grandes toiles nulles sorties d’on ne sait quel placard et qui agissent comme le décor du théâtre de notre propre existence, là où le scorpion se mord la queue. Nulles, ces toiles le sont assurément, mais non sans références, à un art néo-rupestre, aux fenêtre géminées de l’art roman, à la modernité des avions anamorphiques de Picasso, des avions comme Picasso n’en a jamais dessiné, aux cariatides, celle-ci masculine et ithyphallique, celle-là féminine, ce qui laisse penser qu’elles finiront par s’accoupler, alors que l’artiste, lui, a délibérément choisi de ne pas procréer. Sont-elles nulles ces toiles ? Avec les contorsions qu’on lui connaît et cet art consommé de la petite fantaisie artistique, continuant sans cesse à poser cette question génétique qui le turlupine, Lizène se propose non pas de rédimer cet art de la médiocrité, mais d’enrichir le décor des portraits génétiques des visiteurs du moment, croisements hybrides de toute humanité. Où donc pourrait être le chemin du paradis ? Assurément, il est inutile de poser la question.

 

LUNDI DE PÂQUES

 

La vidéo porte un titre qui, peut-être, n’est pas aussi sibyllin qu’il n’y paraît : «Lundi de Pâques». Le titre fait-il simplement référence au jour du tournage de cette œuvre récente (2006) ? Ou serait-ce le jour d’après résurrection, encore une fois cette promesse de Paradis ? Ce film aurait pu tout autant s’appeler «Trying to be John Lennon». L’artiste, en des tentatives pathétiques et un huis clos familial d’un saisissant réalisme, tente d’être John Lennon un moment seulement, ou plutôt l’image mythique de Lennon, celle de la photographie live d’une pochette de disque. Lundi de Pâques, c’est bien le jour où se pose la question de l’incarnation. Emilio Lopez-Menchero, lui-même hybride hispano-belge, tente régulièrement les réincarnations les plus diverses : essayer d’être Balzac, ou Picasso, ou Rrose Selavy, ou Che Guevara, ou Frida Kahlo, ou Raspoutine, ou Harald Szmemann, ou un chef indien, ou encore un sumo dandinant. À moins qu’il ne se prenne pour Tarzan jetant le célèbre cri de Johnny Weissmuller par-dessus les toits de la ville. Transformiste, déclinant toutes les flamboyances, même celles de pacotille, c’est à chaque fois l’image de l’artiste et de son double que l’artiste resculpte. Comme un karaoké photo ou vidéographique, un voyage mimétique au travers de quelques mythes, sachant que ceux-ci révèlent à la fois le mensonge et la vérité. Voilà l’artiste, en quête d’identité, rangé au rayon des héros domestiques.

 

LA PETITE MUSETTE CASQUÉE DE MERLIN SPIE

 

Quel feu intérieur anime Merlin Spie tandis que se consume cette cigarette placée dans sa main droite et que renouvelle régulièrement une assistante durant le temps de la performance ? De quelle force ascensionnelle a-t-elle besoin pour rester ainsi immobile, engluée dans le sirop de Liège? C’est le ciel, l’enfer et la terre de Jérôme Bosch, comme en triptyque ; «Die butter ist alles», de Haertfield. Mais ici tout est sirop, le paysage tectonique, doux, odorant, enflammé, vision saturée, décadente, sombre, lugubre, sensuelle, tactile, étouffante. L’artiste, nue, assise, immobile, hiératique comme la grande Baigneuse d’Ingres, est petite musette casquée, couverte elle-même de sirop des pieds à la tête. Seul son dos est nu, sculpté par la cristallisation du sirop. Elle est Kiki de Montparnasse, photographiée par Man Ray, le dos comme un violon. Une trompe lui emprisonne le visage : du sirop ruisselant de partout, elle semble se nourrir ; à moins que celui-ci ne l’étouffe. La Musette est une petite danse de société baroque, sur une musique jouée par une cornemuse ou un harmonica ; et deux danseurs aux mouvements tranquilles et nobles balaient délicatement l’espace où ils oscillent. Merlin Spie donne à voir un équilibre contrôlé et maintenu, une harmonie à haut risque, tandis que bouillonnent les forces intérieures. C’est là un acte, une œuvre, qui prend fait et cause tant ses lectures peuvent être multiples, violence contenue et vécue.

 

TSUNEKO TANIUCHI, NEUF PORTRAITS DE FEMMES

 

«Dans mes performances, qui s'intitulent micro-événements, déclare Tsuneko Taniuchi, j'allie le réel, manifesté par ma présence physique et la fiction qui se déroule à partir d'un scénario, d'une mise en scène. Mon travail consiste à affronter de par ma seule présence la réalité de la société, les dysfonctionnements du monde social ou culturel en partant de questions relatives à mon identité de femme, mon statut d'artiste et d'étrangère. Je me pose comme un pur objet de consommation, une marchandise offerte aux gens dans le plus petit détail. Je me laisse vampiriser. C'est très impressionnant car on est d'une certaine manière en danger, moralement et physiquement».

C’est sans aucun doute l’une des performances les plus stupéfiantes que Tsuneko Taniuchi réitérera sur la scène du théâtre, une performance déjà actée à Bourges à l’occasion de «Transpalette» en 1999 et au musée d’art moderne de la Ville de Paris un an plus tard, «micro-événement» de plusieurs heures où l’artiste se laisse enfermer dans un cube transparent pour y incarner face au public neuf personnages caractérisés chacun par un geste simple et un costume différent. Tsuneko Taniuchi est ici à la fois une femme récit, une serveuse, une SDF, une lycéenne et une écolière, une boxeuse et une démonstratrice de couches culotte pour bébé, une Ninja girl et la bimbo de service, Ganguro girl aux semelles compensées et visage ambré par les UV. Elle endosse les oripeaux de ces femmes, acte les gestes de ces neufs caractères, sans romantisme, sans héroïsme, dans un sidérant va-et-vient de stéréotypes frisant le grotesque ou l’excentrique, de gestes émancipateurs, de situations qui toutes caractérisent autant de mécanismes sociétaux. L’artiste se donne à voir sans complaisance, se livre au regardeur. Profitant des moyens techniques qu’offre une scène de théâtre, elle proposera de plus au public de l’envoyer littéralement dans les cintres comme l’un de ces vulgaires ballots de vêtements de mineur. Himmelsleiter, jeu comique, jeu du cirque, cruel.

 

CHARLEMAGNE PALESTINE, LE SON SCULPTURAL

 

À l’écoute de Charlemagne Palestine, on grimpera assurément ce chemin de paradis tant sa musique performative est d’une fascinante ivresse, quête inlassable d’une essence spirituelle de la musique, recherche d’une certaine « vision du son » au travers d’une continuelle recherche de nouvelles expériences sonores. Charlemagne Palestine, ce sont ses cigarettes indiennes et son inimitable accent, comme ce sont les ours en peluche qui accompagnent toutes ses performances. On se souvient de «Good Bear» cet ours en peluche à trois têtes et deux corps de six mètres de haut qu’il réalisa à la Documenta VII (1987) de Kassel. C’est là l’élément central de son œuvre visuelle.

Né en 1947, Charlemagne Palestine, pianiste virtuose, chante dès l’âge de 8 ans dans la chorale d’une synagogue à Brooklyn. Une expérience qui oriente définitivement son approche de la musique. C’est grâce à sa rencontre avec Tony Conrad - qui tourne à l’époque avec Terry Riley, La Monte Young et John Cale - que Palestine fait connaissance avec le minimalisme. Cependant cette étiquette ne répond que partiellement au mystère d’une recherche ancrée dans le spirituel et le rituel.

C’est une oeuvre généreuse qui définit son propre temps et se nourrit de différentes traditions (juive, tibétaine, balinaise, indienne …). Contemporain de Philip Glass, de Phill Niblock, et de Steve Reich, Palestine écrit dès les années 70 une musique intense Intéressé par la sonorité pure dans la musique électronique, il se met en quête du “Golden Sound”, ce son spectral qui donne des toiles musicales vibrantes comparables aux monochromes de Rothko. Le son de Palestine, de plus en plus enveloppant et sculptural, devient une véritable expérience physique. Incomparable.

 

T'BRANDWEER, ANTIQUITÉS CONTEMPORAINES DE JACQUES LIZENE

 

Cela sonne comme du flambant neuf ! Dans l’ancienne caserne des pompiers, Jacques Lizène expose ses antiquités contemporaines. Les tableaux sont au placard, les chaises sont corporelles et génétiques, les beaux-arts sont carnavalesques, le corps est contraint à s’inscrire dans le cadre et sur les écrans défilent les performances médiocres de l’artiste. Jacques Lizène est un amateur d’art, partisan aussi de cet abolissement de la notion de jugement chère à Duchamp. À l’occasion de cette intervention, il partage ses cimaises et lotit la caserne des pompiers. Qu’on se le dise : tous les artistes sont invités à venir accrocher une œuvre, une copie d’œuvre et à partager un accrochage festif !

 

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