DÉPARTEMENT DES COQS

 

Département des Coqs : Jacques Charlier, Éric Duyckaerts, Jacques Lennep, Jacques Lizène, Capitaine Lonchamps, Emilio Lopez Menchero, Sylvie Macias Diaz, Benjamin Monti, Raphaël Van Lerberghe, Angel Vergara, Marie Zolamian.

 

Le centre culturel « De Warande » à Turnhout produit dès le 30 janvier prochain un festival pluridisciplinaire centré sur l’art et la culture en Belgique francophone. Le festival s’appelle « Bonjour », comme le premier mot qu’on apprend en étudiant le Français. Pas de déclarations politiques qui souvent sont en désaccord avec la réalité mais une collection captivante de productions artistiques de la francophonie belge. «Le monde culturel de la Wallonie et de la partie francophone, lit-on dans le dossier de presse, est fascinant. Il bouge et évolue. Peu de Flamands en sont conscients. Nous aimerions voir changer les choses. Nous constatons que, pour les artistes, il n’y a pas de frontières, ni linguistique, ni culturelle. L’art est quelque chose d’universel qui traverse le temps et l’espace. L’infrastructure de notre maison de la culture se prête bien à le montrer par les différentes formes d’expressions artistiques».

 

Le festival est donc pluridisciplinaire. Une exposition produite par Ar-Tur portera un regard sur l’architecture contemporaine en Wallonie. Au festival de Dour a été confiée une carte blanche de musique alternative. La programmation cinéma fera la part belle au court-métrage. C’est Nicole Gillet et le Festival du Film de Namur qui ont assuré la sélection. « Les Barons », le tout récent film de Nabil Ben Yadir a, pour sa part été sélectionné par «Open Doek». On verra, côté danse, la Cie Mossoux-Bonté et l’Ensemble Musique Nouvelle, et côté scène la Cie Félicette Chazerand. Une exposition, enfin, rassemble quelques figures de l’Art contemporain en Belgique francophone. «Département des Coqs» est une coproduction du Centre culturel De Warande et de la galerie Nadja Vilenne.

 

Cette exposition n’entend pas faire un tour a à multiples facettes de la Belgique francophone artistique ; elle ne prétend pas plus en être un baromètre de la création ou constituer une ambassade. Fruits de conversations menées avec Annelies Nagels, ce «Département des Coqs» est plutôt le résultat d’un choix subjectif, de préoccupations qui nous sont proches, d’un environnement qui nous est familier. L’exposition rassemble les œuvres de onze artistes, de diverses générations, des figures toutes singulières, aux imaginaires bien trempés, aux poétiques particulières. Son titre, entre Département broodtharcien et coq hardi aquarellé en 1913 par Pierre Paulus, n’est peut-être qu’un jeu de mot plastique, géographique… Et volatile. Comme il peut être bien d’autres choses, en fonction du regardeur qui l’approchera.

 

En évoquant les œuvres, et les artistes, nous avons pensé à cette «peinture impossible» de Jacques Charlier, tant inscrite dans l’histoire, mais aussi à tous les discours théoriques dont Charlier se distancie avec un humour piquant et une étonnante lucidité. Nous avons pensé à l’avertissement «Ne neige pas qui veut» du Capitaine Lonchamps, aux «Trying to be» d’Emilio Lopez Menchero, ces tentatives d’être qui se transforment en «Let me be» lorsqu’il s’évertue un lundi de Pâques, à incarner l’un des quatre garçons de Liverpool, format LP. Mais aussi à «La main à deux pouces» d’Eric Duyckaerts, cette hypothèse qui tend à prouver que l’évolution va conduire l’humanité à la main à six doigts et deux pouces, plus commode pour la pratique de la peinture. Nous nous sommes dit qu’il y avait toutes les sculptures génétiques de Jacques Lizène, cet art de la médiocrité, ce talent du sans talent, talon d’Achille de tous les Académismes. Nous avons relu les oeuvres de Raphaël Van Lerberghe qui, toujours, ouvrent l’imaginaire à bien des conjectures. Nous avons pensé au «Vide» de Benjamin Monti, inspiré par Maurice Blanchot, à Sylvie Macias Diaz qui sonde les vertiges de la modernité. De ses exils choisis, Marie Zolamian conserve des traces de ce qu’elle a perçu qui lui était inconnu. Puis, il y avait aussi M. Bonvoisin, sculpteur de marrons, à Tania modèle pour photos de charme, En fait Jacques Lennep en grand costume de soudeur, ses devoirs quotidiens, son musée de l’Homme. Nous nous sommes souvenu de cette exposition d’El Pintor Angel Vergara, de cette longue salle de musée transformée en pinacothèque princière, ces portaits vidéographiques en plan fixe et la chorégraphie précise de la main du peintre qui, à l’avant-plan, semble repeindre virtuellement les portraits projetés. Autant d’itinéraires singuliers, d’interrogations sur l’être, sur le monde, sur l’être au monde, sur le doute existentiel. Des artistes qui voyagent, dans l’art, son histoire, et de par le monde. Autant de regards croisés. Cette exposition devait-elle être autre chose ?

 

Une série de relations s’en dégage sans doute, de préoccupations communes ; des liens se tissent, multiples, entre les uns et les autres. Un refus des conventions certainement, une approche critique aiguë, une pratique de la fiction ou du récit, de la mise en scène de soi, parfois jusqu’au burlesque ou la chute. Certains partagent un intérêt pour le recyclage, des objets, du discours, de l’image, de l’histoire de l’art. Il y a des interrogations sur l’art, la peinture en question et la peinture en soi, un intérêt souvent renouvelé pour l’image filmique et vidéographique, des figures amicales ou tutélaires attendues telle celle de Marcel Broodthaers, ou moins connues du grand public, celle d’André Blavier par exemple. On décèlera la distance que les uns et les autres entretiennent avec l’autorité des discours dominant, un humour certain ou un certain humour, un intérêt pour toute la science des solutions imaginaires, une façon de considérer le monde avec sérieux, sans se prendre au sérieux. Il y a les exils, choisis, subis, vécus, les origines diverses, les terres d’élection, un brassage de cultures qui assoit la diversité des regards. Le jeu linguistique, un goût pour la langue et tous les jeux qu’elle offre, enfin, constitue peut-être un fil rouge commun à beaucoup. Des pastiches de Charlier aux devoirs quotidiens de Lennep, de la rhétorique lizénienne aux conférences - performances de Duyckaerts, de la pataphysique pratiquée par le Capitaine Lonchamps aux recyclages de Benjamin Monti en passant par les phrasés visuels de Raphaël Van Lerberghe.

 

L’exposition rassemble des œuvres existantes et de nouvelles productions, elle comprend également un programme de films et vidéos et s’accompagne d’un livre catalogue, également titré «Département des Coqs». Son ambition est d’évoquer les œuvres montrées au plus près, comme un fil conducteur offert au visiteur. (communiqué de presse)

 

Du 30 janvier au 23 mars.

Vernissage le samedi 30 janvier.

 

EXTRAIT DU CATALOGUE

 

Le titre de cette exposition, «Département des Coqs» n’est peut-être qu’un clin d’œil à l’invitation qui nous est faite ; une sorte de jeu de mot plastique, géographique et volatile. Un croisement, entre l’une des Sections du plus célèbre des Musées belges, le «Département des Aigles» de Marcel Broodthaers, et un autre animal à plumes, le Coq wallon. À l’origine, ce coq-là est une œuvre d’artiste d’ailleurs, une commande passée au peintre Pierre Paulus en 1913. Aquarelle de bonnes dimensions, un mètre sur un, ce coq pourpre sur fond jaune orangé figure encore aujourd’hui à l’inventaire du musée de la Vie Wallonne à Liège. Sa destinée est bien connue, il symbolise aujourd’hui la Wallonie et la Belgique francophone.

 

Un moment, nous avons envisagé un autre titre, dans un même esprit, à une «Section des figures de Wallagonie» pour, cette fois, croiser Broodthaers et Charlier et reprendre cette appellation géographique, critique et exotique à la fois, inventée par Jacques Charlier.

Grand pourfendeur d’idées reçues, d’anachronismes et d’incongruités, au fil de ses satires et pamphlets, Charlier promet régulièrement à la Wallagonie de tragiques et désopilantes agonies, alors qu’elle résiste, peut-être grâce au front de libération des chiens et des trottoirs, au centre de la lèche et de la brosse à reluire ou à ses divers comités de la tarte au riz. À moins que la Wallagonie soit cette terre qui attire les rêveurs, poètes et découvreurs de «terra incognita», cette contrée aux confins de la Wallonie et de la Patagonie, ce pays où l’on cultive, si j’en crois les Pataphysiciens, la science des exceptions, celle du particulier, la science de toutes les solutions imaginaires. Parions, du moins, que la seconde pourrait être bien utile à la première. Jacques Charlier est aussi l’un des héritiers d’André Blavier qui, nous rapporte un témoin, a chanté en 1953 la brabançonne à l’envers dans une cave de Verviers, en compagnie de René Magritte et d’André Souris.

 

Et puis non, nous avons opté pour les Coqs. Remarquez, si l’Histoire n’avait pas tranché en faveur du coq, hardi et gaulois, nous aurions peut-être pu titrer cette exposition «Départements des Alouettes» ou des Taureaux, voire des Sangliers ou des Écureuils. Ces animaux-là ont aussi été proposés en guise d’héraldique régionale. Voilà bien des croisements possibles doit se dire Jacques Lizène qui, lui, fit beaucoup plus simple. Ce coq wallon, il le transforma en 1998 en «une drôle de sculpture génétique» pour une exposition de drapeaux qui circula de par le monde deux ans plus tard. Et Lizène le croisa avec le lion des Flandres. Un coq croisé lion face à un lion croisé coq ; le petit maître liégeois déclare depuis 1965, et de remake en remake, que «le monde est une immense histoire génétique». Cela jaillit de la fontaine de cheveux qu’il se gomine ou se savonne sur le crâne en sculpture capillaire, chantant les petites chansons médiocres de son «minable music-hall», cette fontaine de cheveux qui se dresse comme une houppette de clown, une sorte de navrante mais fort drôle crête-de-coq

 

Une section des figures, donc. Oui, puisque cette exposition regroupe quelques figures de l’art contemporain, des artistes francophones ; quelques figures et toutes sont singulières. Lorsque nous avons été invité à concevoir cette exposition, nous avons tout de suite réagi avec enthousiasme et répondu sans attendre à cet intérêt dont témoignaient nos futurs hôtes. Cette dimension de curiosité, d’altérité est éminemment régénératrice. Ce festival «Bonjour», c’est «Autrui comme Visage», dirait Emmanuel Levinas ; c’est peut-être pour cela que nous avons songé à cette notion de figure, par-delà Marcel Broodthaers. Sans aucun doute, et dans le contexte politique particulier où nous vivons, cette dimension est urgente et nécessaire. L’évolution de la Belgique est une réalité, l’histoire récente nous a éloigné les uns des autres.

 

Lorsqu’il fut question, dans un second temps, d’envisager l’exposition elle-même, nous nous sommes demandé à quelle sauce la mitonner. En matière d’art culinaire, je préfère de loin l’émulsion à la réduction. Bien sûr, celle-ci concentre les saveurs, mais on risque l’ébullition ou l’évaporation totale. Et réduire les artistes à une communauté culturelle particulière me semble, dans le monde d’aujourd’hui, être totalement aberrant. L’émulsion provoque, elle, une dispersion de micro-gouttelettes d'un liquide dans un autre liquide, les mélange et provoque la cohésion d'une matière avec une autre. En matière d’art, c’est peut-être plus juste. Par rapport aux héritages universels et familiers, par rapport à nos tendances centripètes, je suis moi avant tout, et centrifuges, j’appartiens à un groupe, à une communauté, par rapport aux pères que tout artiste se choisit pour aussi vite que possible s’en affranchir, par rapport à un paysage, à une terre aujourd’hui très souvent d’élection, par rapport, même et surtout, à l’histoire des mentalités.

 

Ensuite, les questions de nos hôtes ont bien naturellement fusé. Un art wallon ? Un art francophone de Belgique ? Une identité ? Une ou des traditions ? Une pratique de la relativité ? Une certaine forme d’humour ? Comment répondre à tout cela ? Me revient en mémoire cette réflexion de Laurent Busine, à propos de ce «curieux pays curieux» : «Le brassage des cultures qui est au cœur historique de la nation et du territoire wallons m’enrichit au-delà de tout car il forme la base d’une définition qui assoit la diversité des regards autant que la conscience de cette richesse. C’est un puzzle, un planisphère composite fait d’emprunts et d’échanges accumulés».

 

Des œuvres, des artistes dès lors me viennent à l’esprit: «Par-delà le M et le B aussi» d’Olivier Foulon, «La peinture impossible» de Jacques Charlier. L’avertissement «Ne neige pas qui veut» du Capitaine Lonchamps, qui psalmodie « et où pourquoi comment où ». Les « Trying to be » d’Emilio Lopez Menchero, ces tentatives d’être qui se transforment en «Let me be» lorsqu’il s’évertue un lundi de Pâques, à incarner l’un des quatre garçons de Liverpool, format LP. Mais aussi «La main à deux pouces» d’Eric Duyckaerts, cette hypothèse qui tend à prouver que l’évolution va conduire l’humanité à la main à six doigts et deux pouces, plus commode pour la pratique de la peinture. Il y a aussi les sapins croisés palmiers de Jacques Lizène. Je relis les dessins textes de Raphaël Van Lerberghe : «Au second signal, les Cavaliers se mettent à tourner autour du Salon et essayent d’enfiler la bague avec leur bâton… ». Ils furent publiés dans « Copie de Voyage » non loin d’une photographie d’André Cadéré, une image qu’Yves Geevaert a sélectionnée dans ses archives. Hasard objectif, dirait André Breton. Je pense au «Vide» de Benjamin Monti, inspiré par Maurice Blanchot. Il y a Sylvie Macias Diaz qui sonde les vertiges de la modernité. De ses exils choisis, Marie Zolamian conserve des traces de ce qu’elle a perçu qui lui était inconnu. Je pense à Monsieur Bonvoisin, sculpteur de marrons, à Tania modèle pour photos de charme. En fait quand je pense à ceux-ci surgit l’homme - art, Jacques Lennep en grand costume de soudeur, ses devoirs quotidiens, son musée de l’Homme ; il nous glisse l’air de rien «si l’art c’est la vie, cela ne mène à rien». Je me souviens aussi de cette exposition d’El Pintor Angel Vergara, de cette longue salle de musée transformée en pinacothèque princière, ces portaits vidéographiques en plan fixe et la chorégraphie précise de la main du peintre qui, à l’avant-plan, semble repeindre virtuellement les portraits projetés.

 

Autant d’itinéraires singuliers, d’interrogations sur l’être, sur le monde, sur l’être au monde, sur le doute existentiel. Des artistes qui voyagent, dans l’art, son histoire, et de par le monde. Autant de regards croisés. Cette exposition doit-elle être autre chose ? Lorsque je pense aux uns et aux autres, je me dis que l’internationalisme n’est de loin pas forcené, ce qui n’empêche pas une carrière internationale, que les ancrages sont bien réels, en ce qui, à chacun, est familier ; que ce sont des imaginaires bien trempés, que les poétiques sont particulières mais que des liens se tissent entre elles ; très certainement. Je me dis que nous aurions pu convoquer bon nombre d’autres artistes, mais qu’il était naturel de travailler dans un environnement qui nous était coutumier et habituel. Il me semble même que ce texte doit rester au plus près des œuvres qui seront exposées, que c’est là que l’on découvre le mieux ce qui mène la réflexion des uns et des autres tant sur la création que sur le monde qui nous entoure. Ce livre sera donc de toute proximité. (Jean-Michel Botquin)

 

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