CAPITAINE LONCHAMPS

LE BON POINT, INSTRUCTIF ET AMUSANT

 

Capitaine Lonchamps

Neige, 2009 (de la série Le Bon Point

Technique mixte sur imprimé trouvé, 14,8 x 13,5 cm.

CONTINUER LA SUBVERSION DES IMAGES

 

Pataphysicien, soit...Mais cela n'explique pas tout. Si la méthode d'appropriation du Capitaine Lonchamps conserve sa fraîcheur, le motif de neige qui recouvre obsessionnellement les images trouvées par l'artiste n'est pas le seul responsable (images ordinaires, fréquemment dénuées d'intérêt iconographique exceptées certaines attendrissantes illustrations enfantines). Cette neige appliquée avec une précaution maniaque, mais sans préciosité ostentatoire, est dotée d'une puissance critique qui excède le détournement post-dada et burlesque. Les conséquences de cette entreprise finalement minimaliste de l'artiste enneigeur (du Toroni hystériquement désordonné), sont incertaines pour l'oeil et l'esprit. C'est précisément la raison pour laquelle on ne se lasse pas de ce parti pris, réduit convenons-en. Réduit en effet, mais il fallait y penser! Il fallait penser à ce geste dont on ne peut décider s'il désigne (dénonce?) la sottise de la majeure partie des images produites ou s'il pointe (extrait?) la beauté secrète qui gît dans le phénomène proprement dit de l'image. C'est cette incertitude qui (me) laisse dans un suspens, un blocage même, de l'interprétation. La neige - la peinture pour tout dire – renforce-t-elle la banalité des images du monde ou dérange-t-elle les stéréotypes ?

 

J'avais rencontré les premières fantaisies du Capitaine avec ses «Courants d'air», irrésistibles blagues photographiques finalement guère plus absurdes que les temps morts d'un ordinaire film d'épouvante qui s'attarde sur des portes et des fenêtres entrouvertes des maisons hantées et suggérant ainsi d'effroyables fluides invisibles et autres ondes maléfiques traversant l'espace. Il y a plusieurs types d'enneigements . En premier lieu, il y a celui auquel j'ai fait allusion, ces appropriations d'images trouvées. S'agit-il de maculation critique ou d'une poétisation? Bien que la neige ait servi toutes les mièvres roucoulades poétiques, il n'en demeure pas moins que le dripping de Capitaine Lonchamps invite à une incontestable songerie.

En second lieu, un autre enneigement résulte de l'apparition de «Snowman», sorte de vampire feuilladien tacheté qui occupe de manière incongrue les situations sociales photographiées (ou peintes) les plus diverses. «Snowman» occupe, s'immisce, s'impose, pollue les regroupements d’individus pour l'occasion d'une saisie photographique commémorative ou familiale, de portraits collectifs peints : personnage fantomatique, sorte de Zélig pictural qui rend dérisoire tout ce qui l'entoure en concentrant la reconnaissance sur sa seule ombre mouchetée. Cette série m'a évoqué cette histoire drôle déclinant le phénomène du principe d'omniprésence d'un personnage. À côté du pape habillé de blanc, la question humoristique est alors: «qui est le mec en blanc à côté de X ?», ce personnage anonyme toujours présent partout! Fantomatique disais-je… En trop, bien que le noir pointillé de blanc prenne la place, recouvre un personnage de la photo de groupe désormais effacé, indésirable en quelque sorte. «Snowman» s'invite à la table des représentations, invité pictural non attendu.

 

Je ne pouvais m'épargner ce retour sur les «courants d'air», les «enneigements», et «Snowman», pour évoquer cette nouvelle série de travaux à partir de cet hebdomadaire pour l'enfance du début du 20ème siècle, Le Bon point amusant. C'est un travail qui conjugue l'appropriation par le même motif - trame blanche sur fond noir - et omniprésence de cette silhouette dans les récits en images. Les vignettes narratives se dotent ainsi d'une « inquiétante étrangeté » - comment ne pas recourir à cette formule freudienne trop souvent empruntée, mais à la pertinence évidente ici. Mais l’intervention du Capitaine constitue de surcroît un quotient évaluatif de la qualité de ces images qui sont tout simplement belles, et fréquemment sur le point de verser dans une subversion des images digne d'un Paul Nougé. Surréalisme survivant dans l'une d'entre elles comme dans tant d'autres, où un homme tire dans un escalier une vache dont le recouvrement enneigé rappelle soudain celle qui traverse un plan de L'Âge d'or...ou cette autre vignette qui montre des agents de police sur le point d'attraper un personnage (somnambule?)maquillé en Fantômas par la patte du Capitaine. Mais la trouvaille ce sont les versos des pages. La peinture (ou l'encre) noire a traversé le papier et des silhouettes détachées de leur contexte apparaissent comme des fantômes dénués de toute origine narrative au sein des pages recouvertes d'écriture. Le lecteur est invité à s'interroger sur l'origine de ces ombres. De quel monde et de quel temps révolus remontent-elles ou chutent-elles ? Depuis quelle pratique ancienne et mystérieuse survivent-elles? Elles sont engendrées par la conviction entêtée d'un artiste: peindre pour ajouter de la pensée aux images dont il sait bien qu'elles ont toutes été déjà faites. Et puis, Capitaine invite en définitive, avec ces spectres qui émanent des pages imprimées, à des questions fondatrices : les images s’engendrent-elles des mots ou ces derniers naissent-ils pour nommer les images ? On conviendra que Capitaine Lonchamps est un artiste plus sérieux qu’il en a l’air… (Dominique Païni)

 

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016